Langage et pouvoir symbolique

      Malgré leurs efforts, les linguistes "purs" ne peuvent pas expliquer le pouvoir dont jouissent certains discours. Prétendre le contraire serait oublier les démarches abstractives de Saussure et de Chomsky qui, pour instituer l'objet de leur théories, en refoulèrent les lois sociales de construction. Or, parmi ces lois, Pierre Bourdieu rappelle que, non seulement toute communauté linguistique est un produit politique, mais que l'intégration à cette communauté conditionne et instaure déjà un rapport de domination dont seule une analyse sociologique pourrait rendre raison. Dans Ce que parler veut dire (Arthème-Fayard, 1982), Bourdieu avait donc regroupé les documents, essais et conférences, qui devaient servir de base théorique à ce qu'il a appelé "une sociologie structurale de la langue". Son projet était clair: réussir là où les spécialistes échouaient, percer le mystère de l'empire linguistique. Dès lors, les études se sont succédées qui ont mis à jour les mécanismes en jeu dans des phénomènes de pouvoir toujours plus complexes. Depuis près de vingt ans, armés de concepts tels que l'hexis, l'éthos et l'illusio, Pierre Bourdieu procède à cette démystification aussi controversée que nécessaire. Les institutions bien sûr (dont la performativité discursive n'est plus à démontrer) mais aussi le marché philosophique (et ses paralogismes), celui de la production idéologique (l'effet d'oracle), le champ politique même (dont le fétichisme n'est pas la pire des perversions) ont ainsi été passés au crible de la méthode bourdieusienne. Autant d'ajouts qui permettent de mieux saisir la fécondité de cette approche logique et qui complètent avec bonheur cette nouvelle édition du texte fondateur.