Revue électronique de sociologie
Esprit critique
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Vol. 02 no. 08 - Août 2000
Editorial
Quand la médecine fait de la sociologie !
par Jean-François Marcotte
 

      J'ai lu récemment un article de journal où l'on discutait des travaux de recherche d'un médecin. L'article débutait en exposant les découvertes d'un chercheur et jusque là, tout allait bien. Soudainement, il se mit à discuter des applications possibles de sa recherche pour l'amélioration des conditions sociales. J'étais assez surpris mais je me disais qu'on avait simplement affaire à un chercheur un peu trop enthousiaste. Enfin, l'article se terminait avec les changements que ces applications pouvaient apporter pour corriger certains problèmes sociaux et il y allait même de ses recommandations pour contrôler certains comportements. Attention, qui se croit-il pour savoir ce qui est bon pour la société? Qui est-il pour suggérer des moyens de contrôle social pour assurer le bien-être de la population? Et, de toute façon, sur quoi s'appuie-t-il pour juger du bien fondé de ces interventions sur la société? Pas d'étude sociologique en vue, seulement que des jugements de valeur venant de la bouche d'un médecin!

      La médecine s'aperçoit que les explications génétiques sont très limitées pour expliquer le développement de certains phénomènes médicaux. En effet, la médecine discute de plus en plus souvent des facteurs psychologiques et sociaux de certains problèmes médicaux. Les médias demandent aux médecins de s'exprimer sur les facteurs qui engendrent les problèmes médicaux et les questions sociales liées à la santé. Il est vrai que les questions de santé, d'alimentation, de manipulation génétique, d'incubation, d'avortement, de suicide et de la mort sont très près de l'objet de la science médicale. Mais, il est incontestable que ces phénomènes sont d'ordre social et non médical! Ainsi, il faut avoir les outils et les méthodes scientifiques appropriés pour réaliser des analyses sérieuses de tels phénomènes. Pourtant, on questionne de plus en plus souvent les médecins pour expliquer les causes de certains phénomènes liés à la santé publique.









 

      Il y a longtemps que les citoyens sont invités à réfléchir sur les problèmes sociaux qui les entourent. Hélas, il y a aussi longtemps que les gens font de la sociologie de salon! Mais lorsqu'il s'agit d'une autre science qui vient fournir une explication objective d'un phénomène social, sans avoir les outils pour le faire, là c'est autre chose. Mais attention, il ne s'agit pas ici d'un discours en faveur de la parcélarisation des disciplines scientifiques, et encore moins d'une propagande haineuse à l'égard de la médecine, il s'agit ici de mettre en garde face aux jugements de valeurs qui prennent parfois un caractère scientifique. Je crois d'ailleurs qu'il est du devoir d'un scientifique de s'intéresser aux autres disciplines et de collaborer lorsque les recherches interdisciplinaires sont nécessaires.

      La première chose à craindre de cette tendance est au niveau du développement social et des sources d'explications de la société. Ces jugements de valeurs sans fondement qui se font passer pour être objectif peuvent avoir des répercussions négatives. En effet, le danger provient du fait que le citoyen n'a souvent pas les moyens de vérifier la crédibilité des résultats de recherche qui sont diffusé dans les médias. La portée médiatique d'un commentaire transforme parfois une parole en une vérité, une vérité non-vérifiable! De plus, ces fausses explications sociologiques pourraient être pris en compte dans les secteurs décisionnels. Les médias grand public se donnent de plus en plus le chapeau de celui qui peut expliquer et ne vont pas toujours chercher l'information au bon endroit. Ensuite, les entreprises privées pourraient se mettre de la partie et se faire passer pour une source d'information objective, en masquant leur intérêt financier...
[suite]


      La deuxième chose à craindre, pour nous sociologues, est de perdre le rôle qui est supposé être le nôtre, utiliser les outils et les méthodes qui ont été développés en sciences sociales, pour fournir des analyses sérieuses sur les phénomènes sociaux. Quand je dis que le sociologue doit apprendre à se médiatiser, ce n'est pas une blague! Si nous ne prenons pas les moyens pour que les résultats de recherche en sociologie soient entendus, d'autres prendront notre place! Et cette place, nous pourrions nous la faire subtiliser plus rapidement que l'on peut le croire. À combien d'années d'ici évaluez-vous la mort de la sociologie? Moi, je fais encore le pari que les sociologues contemporains sauront entreprendre les gestes nécessaires pour assurer le rôle important que la sociologie se doit d'avoir dans la société. Il ne faut jamais oublier que la finalité d'une recherche sociologique n'est pas sa simple publication mais plutôt sa réintroduction dans le développement social.

     

 

     

     

 
Jean-François Marcotte
 
Marcotte, Jean-François. "Quand la médecine fait de la sociologie !", Esprit critique, vol.02, no.08, Août 2000, consulté sur Internet: http://espritcritique.ctw.net
 
 
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