Revue électronique de sociologie
Esprit critique
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vol.03 no.09 - Septembre 2001
Compte rendu critique
 

Les prisons de la misère

Par Jérôme-Alexandre Nielsberg
 

Ouvrage:
Loïc Wacquant. Les prisons de la misère. Editions Raisons d'agir, 2001. 189 p.

      Il y a quelques semaines, m'eut-on demandé ce que je pensais de l'arrêté municipal pris à Tours, interdisant aux mineurs de moins de treize ans d'être dans la rue non accompagnés après vingt-deux heures, je n'aurais pas eu la moindre idée de réponse. L'utilité, si ce n'est l'efficacité, de tel arrêté m'échappait absolument. La présence même de mineurs de moins de treize ans, la nuit, posait-elle à ce point problème? Dans quel programme cet arrêté prenait place? Quels en étaient les objectifs? Déjà, quelques lectures m'avaient prévenu contre l'inflation dans les discours politico-médiatiques d'expressions telles que: "violence urbaine", "délinquance accrue des jeunes", "quartiers sensibles", etc., toutes prétextes aux replis identitaires et déclarations de principe sécuritaires. Aujourd'hui, je sais que ces notions, loin de définir des phénomènes sociaux dont la visibilité est par tous constatée, s'inscrivent "dans une vaste constellation discursive de termes et de thèses" qui accompagnent le bouleversement politique le plus important de ce début de XXIe siècle: "la redéfinition des missions de l'Etat qui, partout, se retire de l'arène économique et affirme la nécessité de réduire son rôle social et celle d'élargir, en la durcissant, son intervention pénale". Ainsi, pour reprendre l'exemple de Tours, n'est-il pas étonnant, d'apprendre que ce genre de mesures "disciplinaires" participe outre-Atlantique d'un vaste programme sécuritaire, défendu notamment par les maires des plus grandes villes des Etats-Unis et dont le fleuron internationalement connu se nomme: Tolérance Zéro? Mesure dont ces maires "ont le sentiment" qu'elle a "contribué à la baisse actuelle de la délinquance juvénile", mais dont personne n'a jamais même mesuré l'incidence sur cette délinquance. Mesure qui, ayant franchi les océans par la grâce d'Hubert Martin, conseiller pour les affaires sociales auprès de l'Ambassade de France aux USA, est arrivé sur le bureau de Lionel Jospin sous forme de note annexe au rapport intitulé "Réponses à la délinquance des mineurs".

      Cet exemple donc, conjugué aux dizaines d'autres qui émaillent le dernier essai de Loïc Wacquant, Les prisons de la misère, corrobore une analyse selon laquelle la criminalisation de la pauvreté constitue le pendant nécessaire à la généralisation de l'insécurité salariale et sociale. Car la thèse de l'auteur est simple en effet, simple mais remarquablement argumentée: à l'affaiblissement de la capacité d'intervention sociale de l'état correspond idéologiquement l'expansion du traitement pénal de la misère. Et, c'est inquiet que l'on se prend à ré-entendre ces discours dont le vrombissement dans les champs politiques de France et d'ailleurs sont aussi enivrants que les parfums artificiels des fruits autour desquels ils tournent.

 
 
Nielsberg, Jérôme-Alexandre. 'Les prisons de la misère', Esprit critique, vol.03 no.09, Septembre 2001, consulté sur Internet: http://critique.ovh.org
 
 
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