Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.04 No.07 - Juillet 2002
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Numéro thématique - Été 2002
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La recherche en travail social
Sous la direction de Hervé Drouard
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Articles
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De l'insertion à l'exclusion: à chacun son RMI...
Par Laurence Bignon

Résumé:
L'axe central de notre mémoire de maîtrise se voulait ouvert, nous l'avons posé en ces termes: en tant que facteur de cohésion sociale, le RMI (revenu minimum d'insertion) remet-il en cause la problématique de la pauvreté, c'est à dire ce qu'elle véhicule comme stigmatisation, reproduction des inégalités sociales et exclusion en général? En quoi le RMI constitue-t-il un progrès social? Qu'est-ce qui pourrait être amélioré dans les pratiques au regard du terrain? Pour ce faire, nous avons choisi le questionnaire afin de cerner les représentations sociales du RMI et l'entretien (suivi de cohorte d'un an) pour questionner les trajectoires sociales, les modes de vie et l'insertion de la population étudiée: les hommes de 25-30 ans résidant dans la région nantaise. Les résultats évoqués ici ne présentent évidemment que les grandes lignes de notre recherche et insistent particulièrement sur les propositions qui en ont découlées.


     En guise de présentation, nous rappellerons simplement que dans l'article 1 de la loi instaurant le RMI (revenu minimum d'insertion), votée le 1er décembre 1988 par le parlement, il est indiqué que "toute personne qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation de l'économie et de l'emploi, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. L'insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté constitue un impératif national."

     Les trois objectifs visés sont donc: garantir un revenu minimum mensuel par une allocation différentielle, permettre l'accès à des droits sociaux (santé, logement, etc.) et favoriser l'insertion sociale et professionnelle selon un principe contractuel.

     Notre questionnement de départ, à savoir Le RMI pouvant être envisagé comme facteur de cohésion sociale, remet-il en cause la problématique de la pauvreté?, permet de tester l'efficacité même de cette loi dans sa lutte contre la stigmatisation, la reproduction des inégalités sociales et l'exclusion en général.

     Quatre axes d'étude ont été retenus: les représentations sociales sur le dispositif RMI et ses ayants droit, par le biais d'un questionnaire passé auprès de 82 personnes non bénéficiaires du RMI et résidant en Loire-Atlantique (plus ou moins représentatives de la population française); les trajectoires sociales, les modes de vie et l'insertion, dans le cadre d'entretiens individuels renouvelés trois fois sur une période d'un an, avec sept bénéficiaires du RMI de sexe masculin, ayant de 25 à 30 ans et résidant dans la région nantaise.

I - Résultats de la recherche

1) Les enjeux d'une politique de discriminations positives: entre stigmatisation et reconnaissance sociale

     Le RMI, appartenant au système de protection sociale, fait l'objet d'une politique de discriminations positives en tant qu'entorse au principe d'égalité et permettant d'aider temporairement les plus défavorisés. Au sein du RMI, on identifie une population "pauvre" afin de lui proposer un soutien financier et moral.

     Dans cette optique, il procure à ses bénéficiaires une visibilité sociale, comme en témoigne les 98.8% de personnes sondées[1] qui connaissent le RMI. Partant de ce postulat, deux conceptions peuvent être admises:

  • Les bénéficiaires du RMI sont stigmatisés

     Si l'on considère le travail comme la norme dominante, et qu' "il est "enchanté", au sens où il exerce sur nous un "charme" dont nous sommes aujourd'hui prisonniers"[2], être hors travail, c'est être hors norme.

     Le RMI concerne, par définition, des personnes démunies de ressources donc n'occupant pas d'emploi rémunéré (ou très faiblement). Le bénéficiaire de cette allocation se retrouve "hors norme" et repéré comme tel.

     Sa situation peut donc être perçue comme stigmatisante, le RMI devenant "salaire de l'exclusion" aux yeux de l'opinion publique. C'est sans doute ce qui en fait un dispositif inadapté aux yeux des personnes interrogées.

     Mais cette stigmatisation, constatée par rapport aux ayants droit, a des fondements plus profonds, basés sur une certaine morale que l'on pourrait qualifier d'ancestrale.

     Elle témoigne en effet d'une condamnation toujours active de la "paresse" prenant ici la forme d'un assistanat ou d'une "trappe à inactivité", au sens où le bénéficiaire du RMI profiterait du système d'aide sociale, en abuserait. C'est la figure du "chômeur fainéant".

     Elle évoque également la peur collective face à ces situations de "misère". Le "pauvre" (ou le "RMIste") est potentiellement anti-social, donc dangereux pour le maintien de la paix sociale, en même temps qu'il symbolise une certaine "déchéance sociale". C'est la figure du légendaire "vagabond".

  • Le dispositif génère une reconnaissance sociale

     Le RMI est également conçu théoriquement dans l'espoir que "l'égalité des droits" devienne "l'égalité des chances".

     De ce fait, cette même visibilité sociale désigne les ayants droit comme devant être aidés par la société et reconnus comme tels.

     Ce dispositif donne accès au "minimum social", permettant de se nourrir, se loger, se soigner, etc. et en cela confère à l'individu un peu d'autonomie, de dignité et de respect de soi.

     De plus, il comprend une prise en charge individuelle, un suivi dans "l'insertion", afin que le bénéficiaire ne soit pas seul face à ses difficultés, qu'elles soient sociales ou professionnelles.

     Le RMI est donc envisagé pour la plupart des gens interrogés comme indispensable.

     Ces différentes représentations sociales sont influencées par la religion, le contexte économique, le traitement politique et la médiatisation du RMI. Elles vont varier notamment en fonction de critères tels que l'âge et la tendance politique.

2) Le RMI reflète l'évolution de la pauvreté héritée à la pauvreté conjoncturelle

     Si la reproduction des inégalités sociales se constate encore au sein de la pauvreté, et parmi les bénéficiaires du RMI interrogés, c'est davantage en termes de ruptures que vont se caractériser leurs trajectoires sociales. La nouvelle pauvreté ne suit pas les mêmes règles que l'ancienne.

  • Irréductibilité de la reproduction des inégalités sociales

     Les origines sociales des personnes interrogées sont diverses, ce qui démontre, d'un premier abord, qu'il n'y a pas de corrélation stricte entre ce critère et le fait d'être au RMI.

     Néanmoins, l'idée de reproduction des inégalités sociales n'est pas à écarter complètement car elle se constate pour ceux dont les origines sociales sont modestes. De plus, il est difficile de ne pas citer la théorie de Pierre Bourdieu, notamment ses concepts d'habitus et de capital, voire de domination symbolique, qui nous rappellent que selon ses origines sociales, on n'a pas les mêmes chances au départ. Ceci peut être confirmé par les exemples étudiés, si l'on compare leur rapport à l'aide sociale notamment.

  • Des causes collectives et individuelles définissent la nouvelle pauvreté

     L'égalité des chances, loin d'être une réalité comme on vient de le voir, peut malgré tout servir de support théorique. En effet, des points communs apparaissent lorsque l'on compare les trajectoires sociales. Leur récit révèle le fait qu'ils se qualifient par des différences, c'est-à-dire qu'ils mettent en évidence une opposition par rapport au système dans leur enfance ou leur adolescence.

     De même, leurs premières expériences de travail semblent déterminantes dans la logique qui conduit au RMI: emplois précaires, non choisis, salaire faible ou inexistant, chômage non indemnisé, problèmes relationnels dans les structures, etc.

     L'obtention des 25 ans, l'âge minimum requis pour accéder au RMI, est pour tous le déclencheur de la demande, et non pas une situation à un moment précis. C'est sans doute parce qu'ils y pensaient déjà avant leurs 25 ans, du fait de leur situation "instable".

     Mais plus globalement, le trait dominant des trajectoires sociales envisagées ici est le cumul de ruptures qui interviennent à différents niveaux selon les cas. "Les moins de 25 ans sont de plus en plus nombreux à cumuler échec scolaire, ruptures familiales, chômage et absence de revenu ou de logement. Et les situations de détresse frappent les jeunes de plus en plus tôt."[3] Ces événements vont être handicapants dans le sens où ils remettent en cause les stabilités de trajectoire.

     Aussi, ces "cassures" définissent la nouvelle pauvreté par opposition à l'ancienne, c'est-à-dire qu'elle tient plus à des accidents de parcours dont personne, aujourd'hui, n'est à l'abri.

     Nous avons retenu ici l'idée d'une précarisation des institutions socialisatrices, telles que l'école, la famille, l'armée ou le travail pour expliquer leurs trajectoires sociales, ce phénomène se constatant plus globalement à l'échelle de leur génération.

3) Des modes de vie spécifiques et une insertion à deux vitesses

     Le RMI a été pensé comme un dispositif dynamique qui, à l'inverse d'un assistanat pur, doit conduire ses bénéficiaires vers l'indépendance. Ici, l'insertion devient l'enjeu majeur de cette politique sociale. Mais au sein de la pauvreté, peut-on réellement endiguer les mécanismes d'exclusion?

  • Investissement de "sous-champs" faits à leur image

     Le travail comme on l'a vu plus haut, constitue un espace-temps qui est la norme de société. Etre au chômage, c'est être hors de cet espace-temps, dans un "no man's land".

     Envisageant le positionnement des bénéficiaires du RMI dans les champs de l'espace social, on constate un déficit effectif dans l'investissement des champs traditionnels. Néanmoins, leurs activités et sociabilités, qui peuvent être envisagées comme "non-ordinaires", vont appartenir à des "sous-champs" spécifiques ayant leur propre logique.

     En effet, le RMI ne couvrant que les besoins de base, ses ayants droits vont chercher, par le biais d'activités précaires ou non-déclarées, des revenus complémentaires. Mais ces différentes activités les mettent d'ores et déjà hors des sphères traditionnelles d'emploi.

     Egalement, le temps dont ils disposent va leur permettre de développer des sociabilités sur un mode festif et des relations amicales au quotidien. La santé est un domaine souvent délaissé par méconnaissance de leurs droits en la matière. L'enquête du CREDES[4] met aussi en évidence de fortes irrégularités sociales dans le recours aux soins, notamment entre chômeurs et personnes ayant un emploi.

     La politique ou la vie associative ne les attirent pas. Ils se cantonnent dans des espaces plus intimes, où le jugement ne leur fait pas défaut.

     Peut-on ici parler de culture propre aux "RMIstes", comme on parlerait d'une culture d'entreprise ou d'un milieu social? Si leurs moeurs sont semblables sur certains points, il n'en demeure pas moins une grande variabilité des situations et des valeurs.

  • Insertion professionnelle: l'échec du contrat

     Insertion sociale et insertion professionnelle marquent d'emblée un RMI à deux vitesses formalisé dans le contrat.

     Pour les plus éloignés de l'emploi, le RMI est une vraie chance d'insertion sociale, de par ses multiples prestations.

     Pour les autres, plus proches de l'emploi, le dispositif RMI ne constitue pas le tremplin adéquat pour une réelle insertion professionnelle.

     Devient-il, par le fait, un substitut à l'assurance-chômage couvrant de nouveaux entrants sur le marché du travail ou des actifs en situation d'emploi très précaire?

     De plus, on observe une récurrence à être dans le dispositif RMI car les gains engendrés par le retour au travail (souvent dans des emplois non choisis et mal payés) peuvent être inférieurs aux avantages acquis. Enfin, le fait d'être "RMIste" peut faire peur à un employeur et constitue un handicap à la reprise d'emploi car "un bénéficiaire se signale comme ayant eu des difficultés d'insertion qui pourraient signifier une inadaptation à l'emploi convoité"[5].

     Ces constats amènent à penser que le RMI fait plutôt office de sécurité du présent, mais pour la plupart, un présent qui dure et qui transforme le "passage" en "état". C'est une vision au jour le jour qui structure leur vie et leur avenir.

     A l'issue de notre étude, une seule personne sur sept est sortie du dispositif, chacune étant dans une dynamique différente. Néanmoins ces personnes restent actives à leur niveau et le refus affiché par rapport aux propositions qui leur sont faites marque déjà un acte, c'est-à-dire savoir ce qu'elles ne veulent pas faire.

II - Ouvertures possibles

1) Propositions d'amélioration du RMI pour les jeunes

  • Augmentation du montant de l'allocation

     Pour une personne seule et sans revenu, le RMI perçu est de l'ordre de 381 euros (soit 2500F). Le niveau de cette allocation se situe au-dessous du seuil de pauvreté (égal à 556 euros (soit 3650F) / personne / mois).

     Bien que complétée par divers services (infra-assistance, exonération de taxes, etc.) la majorité des personnes interrogées estime que le niveau de cette allocation est insuffisant et souhaiterait qu'elle soit rehaussée.

     A l'origine, le RMI était indexé sur le SMIC (salaire minimum de croissance), c'est-à-dire égal à sa moitié. Cette équation n'est plus respectée aujourd'hui puisqu'elle se base sur le coût de la vie.

     Evidemment, lorsqu'on met dos à dos un "RMIste" et un "SMICard", parfois leurs situations financières ne sont pas tellement différentes. Mais le problème ici vient du fait du niveau trop élevé des charges qui pèsent sur les petits salaires et non de l'allocation RMI.

La question reste ouverte quant à la hauteur de sa réévaluation.

  • Plus de suivi personnalisé

     Concernant l'insertion professionnelle, principal problème du RMI, les bénéficiaires estiment qu'un suivi individuel plus poussé donnerait davantage de résultats en la matière. Trop souvent, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes face à un marché de l'emploi qui leur fait peur par son opacité. Du coup, ils se découragent très vite.

     Des conseils plus personnalisés sont préconisés, avec l'idée d'une véritable orientation professionnelle et une formation en conséquence.

     Aussi, les emplois proposés dans le dispositif RMI ne correspondent que rarement à leurs aspirations, n'offrent pas de stabilité ni de salaire motivant.

     Bien sûr, ces limites s'expliquent facilement au vu de l'état actuel du marché du travail mais il est important de les souligner car le jugement est bien souvent destiné à la personne plus qu'à la conjoncture économique.

     Bertrand Fragonard (ancien délégué interministériel au RMI) rappelle que "Le RMI aurait parfaitement fonctionné dans une période de prospérité, avec des services sociaux pas trop débordés, et une large offre d'insertion. Mais, dans un tel contexte, on ne l'aurait pas créé. La crise économique est à la fois sa raison d'être et sa principale limite"[6].

     Les associations d'insertion ont ici un rôle à jouer très important en tant que médiatrices.

  • Octroi du RMI avant 25 ans

     L'âge d'obtention est un point qui a toujours fait polémique. Afin de préserver les plus jeunes d'une sorte d'engrenage de l'assistance, les politiques n'ont pas souhaité au départ que le RMI soit octroyé avant 25 ans. A cette époque, il existait d'ailleurs des aides spécifiques pour cette tranche d'âge. Aujourd'hui, il n'y a plus rien de proposé aux plus jeunes concernant une rémunération minimum en cas de besoin (excepté le RMI jeunes sous certaines conditions).

     La question est donc de nouveau d'actualité, d'autant plus que l'exclusion touche désormais les plus jeunes. Dans ce cas, de "mauvais relais" se substituant à la famille, la situation ne fait que s'aggraver jusqu'à leurs 25 ans.

     J.M. Belorgey (rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale en 1988) déclare ainsi en 1998 qu'"En ce qui concerne la fermeture des droits aux moins de 25 ans, nous avions considéré à l'époque qu'il existait des dispositifs d'insertion qui leur étaient propres. Le problème, c'est qu'il y a un nombre croissant de jeunes qui vivent dans des conditions très difficiles. Je ne suis donc pas persuadé aujourd'hui que la mise à l'écart des jeunes du RMI reste aussi fondée qu'on le croyait au début, parce que l'expérience a prouvé que les dispositifs substitutifs ne sont pas adéquats."

  • Individualisation de l'allocation

     Le fait que le calcul du RMI soit basé sur les revenus du ménage pose problème quand un des deux conjoints travaille et pas l'autre car ce deuxième devient tributaire entièrement du premier puisqu'il n'a pas droit à l'allocation dans ce cas.

     Ce procédé renforce le sentiment de dépendance, nie les droits de chacun et supprime le peu de dignité restante (dans les cas extrêmes).

  • Déclaration mensuelle en cas de travail intermittent

     La déclaration trimestrielle devient une aberration administrative lorsque la personne cumule des emplois précaires et des périodes d'inactivité, ce qui est la situation la plus fréquente.

     En effet, pendant trois mois, le bénéficiaire du RMI va percevoir son allocation et son salaire et les trois mois suivants, s'il ne travaille plus, rien du tout. Dans ce cas, cette déclaration devrait être mensuelle pour éviter des situations inextricables comme celle-là. L'assurance d'une base minimum de revenu chaque mois est donc nécessaire.

  • Limitation du RMI dans le temps

     Ces différentes propositions seraient permises par une limitation du RMI dans le temps. Que faut-il entendre par-là?

     Si les propos tenus précédemment vont dans le sens de "plus de RMI" (c'est-à-dire plus de revenu, plus de suivi, pour plus de personnes, avec des modalités plus souples), des nécessités d'ordre économique et symbolique en limitent l'effet.

     C'est pour cela que d'une part, les dépenses publiques supplémentaires engendrées par ces mesures, et d'autre part, la situation plus "confortable" ainsi octroyée aux potentiels bénéficiaires, appellent à ne pouvoir percevoir le RMI que sur une durée définie.

     Par exemple, chaque ayant droit disposerait d'un capital-temps de cinq ans, avec une limite de trois ans consécutifs. Ceci permettrait à chacun d'avoir un "filet" en cas de "chute", sans pour autant se projeter à long terme dans cette situation.

     Cette limitation apporte un plus au regard des droits Assedic, dont le principe incite souvent les jeunes à travailler par intermittence puisque leurs indemnités sont renouvelables.

     Par contre, des dérogations seraient possibles, en fonction des cas, avec des reconduites annuelles.

Pour nous, cette piste offre plusieurs avantages:

  • Le statut de "RMIste" devient plus aisé puisque l'allocation et le suivi individuel sont revus à la hausse. Ceci influe sur les représentations collectives, l'insertion économique et sociale étant meilleure, et donc sur la stigmatisation qui serait atténuée.
  • Cette situation limitée dans le temps produit une dynamique: elle motive les travailleurs sociaux chargés de l'insertion (avec un nouvel enjeu) et les bénéficiaires qui, aidés par des interlocuteurs compétents, doivent se construire un avenir professionnel.

     Mais cette idée ne solutionne pas le problème qui se pose, par exemple, face à des personnes qualifiées "d'inemployables" ou qui s'inscrivent uniquement dans la logique d'une insertion sociale (si on reprend le thème du RMI à deux vitesses). Elle aurait néanmoins le mérite de questionner le fonctionnement de notre société en tentant de comprendre pourquoi ces individus se retrouvent "exclus" et sans avenir.

     Le RMI ne doit pas être le cautionnement collectif de ce genre de situation mais plutôt constituer une chance supplémentaire de trouver sa place dans la société.

2) De l'universalisation au particularisme, deux réponses au problème de la pauvreté

  • Le revenu inconditionnel pour tous

     Dans un autre ordre d'idée, la proposition d'un revenu de base inconditionnel revient constamment.

     Prenant le nom de "revenu d'existence", "revenu de citoyenneté", "allocation universelle", "RMI bis", etc., il s'agirait d'un revenu versé à chaque citoyen, riche ou pauvre, de sa naissance à sa mort.

     Il serait cumulable avec les revenus d'activité et se substituerait, en partie ou totalité, selon les auteurs, aux transferts sociaux dont bénéficient les ménages.

     Pour les libéraux, c'est un moyen de libéraliser le marché du travail sans trop paupériser ceux qui sont en bas de l'échelle des revenus. Pour M. Aglietta et A. Bender[7], ce serait plutôt une façon de relancer l'activité économique, sans l'associer à une baisse du SMIC. Pour A. Gorz[8], la précarité serait ainsi réduite dans un monde où, selon lui, le travail intermittent deviendra la règle.

     Le droit à un minimum de ressources parce qu'on existe et non pour exister, indépendant du travail, s'appuie sur l'idée que "la capacité productive d'une société est le résultat de tout savoir scientifique et technique accumulé par les générations passées. Aussi les fruits de ce patrimoine commun doivent profiter à l'ensemble des individus "[9].

     Déjà, à la fin du XVIIIème siècle, T. Paine journaliste et pamphlétaire américain devenu citoyen français et député de la Convention, l'avait évoqué en considérant que "l'appropriation de la terre par les uns justifiait l'octroi aux autres des moyens de subsister "[10].

     Le principal risque de ce revenu inconditionnel, dont le niveau proposé à aujourd'hui est de l'ordre de 229 euros (soit 1500F) / personne / mois, rejoint celui du RMI, c'est-à-dire se débarrasser définitivement des gens pour ne plus s'occuper d'eux.

  • TRACE: une mesure destinée aux moins de 25 ans

     Pour faire face à la pauvreté chez les plus jeunes et répondre à la question du RMI pour les moins de 25 ans, le gouvernement a instauré dans la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, le programme "Trajet d'accès à l'emploi" (TRACE). Pour l'an 2000, l'objectif était de proposer "à 60 000 jeunes sans qualification, prioritairement issus de zones relevant de la politique de la ville, de bénéficier d'un parcours individualisé de 18 mois maximum destiné à leur ouvrir une insertion professionnelle durable "[11].

     189 missions locales ont été désignées comme sites pilotes et "l'accueil est plutôt favorable" selon J.M. Terrien, président de l'association nationale des directeurs de Missions locales.

     Mais "TRACE", malgré son utilité, ne peut résoudre toutes les difficultés des jeunes. Quantitativement d'abord parce que "l'objectif de 60 000 parcours est loin de répondre aux besoins non couverts aujourd'hui", selon Aline Osman de la FNARS. Qualitativement ensuite, parce qu'il n'est pas destiné aux jeunes qualifiés frappés par la précarisation de l'emploi et le durcissement des conditions d'entrée en allocation-chômage. Quant aux plus exclus, ils risquent de souffrir de l'exigence de résultat fixé par l'Etat. "L'objectif - 50% de jeunes en emploi durable à la fin du parcours - peut conduire à mettre en place une sélection à l'entrée", redoute Gilbert Berlioz. Ceux qui ont le plus de chances d'en sortir seront favorisés au détriment des cas les plus difficiles, comme les errants."

III - Le RMI: une solution pour tous?

     Bien que notre recherche se soit étalée sur trois années (1998-2001), nous n'avons pas pu, pour autant, cerner toute la complexité qu'offre le dispositif RMI.

     Parce qu'il constitue à lui seul un "fait social total", toutes les dimensions de la vie peuvent être prises en compte pour l'expliquer.

     Notre objectif, en tant que sociologue, était d'appréhender ses principaux mécanismes et, pour ce faire, la population étudiée a été très ciblée.

     Malgré cela, et de nombreuses tentatives de généralisation quant à l'analyse, un point reste à souligner: l'hétérogénéité des situations.

     Des travaux, tels ceux du CERC (Centre d'études des ressources et des coûts), du CREDOC (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie), de Serge Paugam[12], de Michel Messu[13] et bien d'autres, ont mis en lumière des grandes tendances concernant le comportement des bénéficiaires. De nombreuses statistiques sont produites chaque année.

A notre niveau, cinq cas de figure se dégagent relativement aux trajectoires sociales (regardées sur leur ensemble au vu des trois temporalités) des personnes interrogées[14]:

  • le passé, le présent et l'avenir présentent plus d'atouts que de ruptures
  • bien que le passé et le présent dégagent une majorité d'atouts, l'avenir constitue le point faible
  • le passé marqué par des ruptures laisse place à un présent et un avenir dominés par des atouts
  • le passé et l'avenir sont les points faibles, seul le présent offre une majorité d'atouts
  • le passé, le présent et l'avenir présentent plus de ruptures que d'atouts

     Ces schémas de synthèse mettent en évidence le point fort du dispositif RMI, à savoir garantir le présent (6 cas sur 7), malgré un passé souvent dominé par des ruptures (5 cas sur 7), et un avenir, à l'instar du ciel, fréquemment nuageux (4 cas sur 7) et parfois dégagé (3 cas sur 7).

     Mais le RMI est à ce point dépendant de son contexte conjoncturel économique et social, qu'il ne se laisse pas enfermer dans ces considérations théoriques, il est mouvant et hétéroclite, à l'image de ses bénéficiaires.

Enfin, deux logiques ont retenu notre attention pour la transversalité qu'elles offrent:

  • Etre au RMI, c'est "prendre son temps" pour se transformer: se soigner, se former, mûrir ses projets, faire un point, créer du lien social, expérimenter, etc. C'est un pas vers l'insertion...
  • Etre au RMI, c'est "perdre son temps" productif: se démotiver face au travail, se dévaloriser, être décalé, etc. C'est un pas vers l'exclusion...

     Alors, à chacun son RMI!

Laurence Bignon

Notes:
1.- Dans notre enquête réalisée au cours de l'année 1999.
2.- Meda Dominique, Le travail. Une valeur en voie de disparition, Alto Aubier, 1995, p.292
3.- "Des jeunes de plus en plus vulnérables - Le nombre des 15-29 ans cumulant chômage et isolement a doublé en 15 ans.", 13 janvier 1999 in Dossiers et documents Le Monde, no291, octobre 2000.
4.- Benkimoun Paul, "Le renoncement aux soins médicaux - un français sur sept n'a pu se soigner en 1998 par manque d'argent", 18 décembre 1999 in Dossiers et documents Le Monde, no291, octobre 2000.
5.- Fougere Denis et Henriet Dominique, Projet d'appel d'offres du Commissariat général du Plan sur "Revenus d'activité, minima sociaux et autres formes d'aides", 19 juin 1998.
6.- Propos recueillis par Jérôme Fenoglio, "Le RMI a dix ans", dossier internet Le Monde, 1er décembre 1998.
7.- Aglietta Michel et Bender Anton, Les métamorphoses de la question salariale, Calmann-Lévy, 1984.
8.- Gorz André, Misères du présent, richesse du possible, Galilée, 1997.
9.- Euzeby Chantal, "Pistes pour une révolution tranquille du travail", Le Monde diplomatique, avril 1998.
10.- Ibid.
11.- Martin Christiane, "Le I du RMI", Vies de famille, mai 2000
12.- Paugam Serge, La société française et ses pauvres, PUF, 1993.
13.- Messu Michel, Les assistés sociaux - Analyse identitaire d'un groupe social, Privat, Pratiques sociales, 1993.
14.- Nous avons élaboré un schéma de synthèse retraçant les trajectoires sociales des bénéficiaires du RMI interrogés au regard du passé, du présent et de l'avenir, en fonction des atouts et ruptures les qualifiant.

Notice:
Bignon, Laurence. "De l'insertion à l'exclusion: à chacun son RMI...", Esprit critique, vol.04 no.07, Juillet 2002, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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