Revue électronique de sociologie
Esprit critique
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Vol. 02 no. 09 - Septembre 2000
Editorial
 

Le marketing social et la manipulation des comportements

par Jean-François Marcotte
 

      Si la publicité semble servir essentiellement à la promotion de produits commerciaux, elle peut aussi servir à promouvoir des idées. Bien sûr, la propagande existe depuis toujours... et elle aura longtemps servi au développement public. On n'a qu'à penser à l'usage de la propagande pour entamer une révolution ou enrôler les civils en temps de guerre. Mais, qu'est-ce qui est différent aujourd'hui? C'est l'usage du marketing social à des fins lucratives dissimulées. Les instruments de promotion du marketing social et les médiums pour atteindre les individus sont plus puissants que jamais.

      Il faut bien distinguer la publicité courante et le marketing social. La publicité courante cherche à vendre un produit ou une marque. Elle utilise parfois des moyens détournés pour atteindre ses objectifs, comme essayer de faire adhérer une portion de la population à un mode de vie, une façon d'être et de l'associer à un produit ou une marque. Mais, il s'agit bien d'une publicité à des fins de vente.

      Le marketing social est autre! D'abord, il ne propose aucun produit ou service et ne met pas l'emphase sur une marque. Sa cible est l'adhésion graduelle des individus à des valeurs nécessaires pour qu'un changement social puisse s'effectuer ou pour qu'un secteur économique puisse se développer ou se maintenir. La méthode consiste à montrer la normalité d'adhérer à une valeurs et de montrer cette option comme étant non seulement utile mais nécessaire au bien-être de tous. Les secteurs qui ont le plus "flirter" avec le marketing social sont les secteurs pharmacologique, biomédical, technologique et environnemental. On n'a qu'à penser aux campagnes anti-tabac, contre la violence ou contre l'alcool au volant. Ensuite, le marketing social va au-delà du pamphlet en planifiant certains comportements à long terme. Les représentant du marketing social observe silencieusement et interviennent que lorsque cela est nécessaire.

      Le marketing social a un caractère ambigu. Il se présente comme étant dérivé du marketing commercial, de l'évaluation, des études sur la communication, de l'action communautaire, de la sociologie, etc. (1). Son objectif est d'influencer les comportements sociaux à des fins publiques ou indirectement commerciale. Son déploiement est appelé à se développer car il sait convaincre ceux qui détiennent le pouvoir. Il se présente comme un système infaillible en se disant maître d'oeuvre de certains changements sociaux comme l'acquisition du droit de vote des femmes, l'abolition de l'esclavage, ...

      Les enjeux commerciaux s'éloignent de plus en plus des produits eux-même et la survie de certains empires commerciaux tient au fait que la population adhère à des valeurs particulières. Avec les nombreuses fusions de méga-entreprises, les financiers cherchent à multiplier leurs champs d'intervention pour survivre en cas de changement dans les prévisions économiques d'un domaine singulier. Il s'agit en quelque sorte d'une stratégie défensive. Néanmoins, l'attitude pro-active qui consiste à faire adhérer la population à une valeur se développe de plus en plus. Par exemple, il peut s'agir de promouvoir les gains que l'humanité peut retirer par le développement des technologies de l'information pour communiquer plus vite et mieux, de la manipulation génétique pour améliorer la santé publique, etc. Bref, la promotion de projets de société cogité par des intérêts financiers. Le problème est que le marketing social sait faire rêver les gens en quelques secondes en masquant évidemment les effets pervers de ce même projet de société.

      Le marketing social peut faire avaler n'importe laquelle pilule aux individus. On pourrait ainsi anticiper les soubresauts que pourraient entraîner un projet financier et déjouer l'éthique. Le marketing social a le pouvoir de faire adhérer une population mal informée à n'importe quoi. Je ne dis pas que les citoyens n'ont plus la possibilité de changer les choses, il n'y a jamais de fatalité. Les citoyens auront toujours le dernier mot. Les citoyens ont encore des réseaux sociaux pour soulever les débats, et en développent là où ils s'effritent. Toutefois, le contexte rend les citoyens très vulnérables: individus atomisés, désinformés par plusieurs médiums, ayant parfaitement intériorisé les valeurs de la société de consommation, etc. Le marketing social n'est pas nocif en soi, ce n'est rien d'autre qu'un instrument ; le danger provient évidemment des personnes qui utilisent ces outils, les intérêts qui les motivent et leur degré d'éthique ou de conscience sociale.

      Ce qui m'inquiète, c'est l'usage que l'on peut en faire pour contourner des débats éthiques qui sont nécessaires pour l'humanité afin de faire du profit le plus rapidement possible. Que l'on soit pour ou contre la manipulation génétique à des fins de reproduction ou l'usage d'aliments transgéniques, certes un débat éthique est nécessaire. Pensons un instant que le marketing social aurait pu précéder l'information et faire passer la pilule doucement par l'adhésion graduellement d'une majorité de citoyens... c'est à en avoir des frissons! Et c'est là que le rôle du sociologue intervient. Il doit surveiller ce qui se passe avec un oeil attentif aux intérêts dissimulés derrières les campagnes de marketing social. Et c'est par son esprit critique et par sa voix que le sociologue se doit d'intervenir. Il doit lancer les débats nécessaires là où certains préféreraient les éviter.

 
 
Références:
1.- Initiation au marketing social
 
Marcotte, Jean-François. "Le marketing social et la manipulation des comportements", Esprit critique, vol.02, no.09, Septembre 2000, consulté sur Internet: http://critique.ovh.org
 
 
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