Revue électronique de sociologie
Esprit critique
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Vol. 02 no. 05 - Mai 2000
Editorial
Le sociologue et la nouvelle économie du savoir
par Jean-François Marcotte
 

      Qu'est-ce que l'économie du savoir? L'exploitation capitaliste de la créativité humaine? La mise en boite du savoir dans un contenant capitaliste coloré? D'un point de vue théorique, on souhaiterait qu'il s'agisse d'un nouveau mode de régulation où la production et la reproduction de nos sociétés s'appuie sur le savoir. Entre le profit et les questions d'éthique, l'avènement de cette nouvelle forme économique fait subir de grands bouleversements à nos sociétés.

      Il y a trente ans, on mettait tous nos espoirs dans le développement de l'Etat-providence. Aujourd'hui, on valorise la concurrence, le libre-échange, la mondialisation et le profit. On encourage le développement du capital mais on craint son déploiement effréné. On aimerait un débat éthique et un plus grand contrôle du développement économique mais on souhaite la mort de l'Etat. Le capitalisme a certains avantages pour le développement des sociétés, mais laissé à lui-même, il s'avère dangereux. L'Etat a ce pouvoir démocratique d'agir, de contrôler le développement économique et de limiter les excès. Toutefois, l'Etat est pris dans de vieilles traditions bureaucratiques qui l'empêchent d'agir efficacement.

      Si la concurrence permet l'innovation, elle engendre l'escroquerie lorsque laissée à elle-même. L'objectif théorique du capitalisme n'est-il pas de favoriser la concurrence et l'innovation pour le bien de la société? La sphère privée a un sérieux besoin de conscience sociale et de limitation. Si l'Etat a la capacité de légiférer et la légitimité pour agir au nom de tous, elle a un net besoin de se renouveler pour apprendre à agir rapidement et intelligemment. Voilà deux défis qui vont de paire! La solution ne réside pas dans l'abolition du capitalisme ni dans la mise à mort de l'Etat. Elle réside dans un juste équilibre entre les moyens de ces deux mondes qui gagneraient à s'entraider.







 

      Lorsque l'on parle de l'économie du savoir, de quel savoir s'agit-il? Est-ce l'art de faire de l'argent sur la valeur des actions ou de bien gérer une entreprise en pleine expansion? Est-ce la maîtrise des connaissances informatiques? Est-ce la créativité qui permet de mettre en lien des concepts abstraits? La sociologie est un savoir, n'est-ce pas?

      Le savoir dont il est question est complexe et multiple. Il s'agit en fait d'une sorte d'hypermédiatisation des concepts, des idées et des langages. Attention, la corrélation est un concept désuet! Tout se joue dans le croisement des idées. Mixer un concept artistique avec le langage informatique, en y ajoutant des notions de physique de la lumière et un peu de mathématique, un soupçon de psychologie et de marketing, voilà le genre de savoir qui est en progression!

      Ce savoir croisé et complexe est la base de l'économie du savoir, et du divertissement, il faut bien le dire. Si, en théorie, on voudrait que le savoir se développe en fonction de l'amélioration des conditions de vie humaine, il semble que l'économie du savoir en comprend que le «divertissement» correspond à cette amélioration! Et ici, on peut aussi comprendre que le divertissement est l'alibi qui justifie la manipulation sociale en vue de faire du profit. Le savoir change, cela peut faire peur, mais ce n'est certes pas une mauvaise chose. Ce qui est plus inquiétant, c'est l'utilisation que l'on fait de ce savoir et les fins que l'on veut atteindre.
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      Enfin, on peut aussi se demander, qu'est-ce qu'un sociologue? Un intellectuel pourvu d'une vaste culture générale? Un militant marxiste-léniniste qui n'a pas remarqué que les anciennes luttes ont changé? Un passeur de savoir dans une tour d'Ivoire? Le sociologue est un être qui est né il y a à peine quelques décennies en s'appuyant sur des théories plus anciennes. Ce sociologue avait un rôle politique important à jouer à cette époque. Aujourd'hui, il a vu l'objet qui a fait sa notoriété lui glisser entre les mains. Le sociologue d'aujourd'hui n'a plus de rôle social!!! Certains voudraient soulever des débats, mais leur parole ne porte plus dans cette société atomisée. D'autres se sont repliés dans le milieu académique afin de transmettre ce riche savoir sociologique, en attendant que les opportunités se présentent à nouveau.

      En fait, la question principale serait donc de se demander: quel sera la place du sociologue dans la nouvelle économie du savoir? Ou plutôt, le sociologue aura-t-il une place dans ce nouvel environnement socio-économique? Si vous répondez "non" à cette dernière question, il est temps de vous recycler et d'aller voir ailleurs!!! Par contre, si vous croyez que la connaissance sociologique qui vous a été enseignée a une utilité, alors il faut être cohérent et passer à l'action! Comment? En observant attentivement tous les changements qui se dressent devant nos yeux et se préparer à poser des actions au moment approprié. Le sociologue doit participer à la régénération de la sphère publique et à la conscientisation de la sphère économique. Pour ce faire, il doit être attentif aux nouveaux objets en développement et apprendre à innover dans ses modes d'action!

 

      Le sociologue a une place importante dans le développement de l'économie du savoir. Cependant, il devra être vigilant et s'assurer qu'il ne se perdra pas dans cet océan de savoirs manipulés au service du Capital. Néanmoins, il est possible que les actions du sociologue prennent des formes qu'il n'aurait jamais imaginées... D'ailleurs, le sociologue doit se préparer à prendre d'autres habits que celui de l'académicien pour que ses actions soient dirigées aux bons endroits.

 
Jean-François Marcotte
 
Marcotte, Jean-François. "Le sociologue et la nouvelle économie du savoir", Esprit critique, vol.02, no.05, mai 2000, consulté sur Internet: http://espritcritique.ctw.net
 
 
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