Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Hiver 2004 - Vol.06, No.01
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Nomination et dé-nomination de l'autre: Des usages ethnonymiques à l'épistémologie discursive en milieu gitan


Jean-Louis Olive

Maître de conférences en sociologie et anthropologie à l'Université de Perpignan. Directeur-adjoint du laboratoire de la Faculté des Lettres et Sciences humaines: Voyages, Echanges, Confrontations, Transformations. Parcours méditerranéens de l'espace, du texte et de l'image (VECT - EA no 2983, sous la direction du Pr. Paul Carmignani). Responsable scientifique du groupe de chercheurs de l'Axe IV du VECT: Sociologie et Anthropologie des Labilités, des Altérités et des Mobilités (sous la direction du Pr. Ahmed Ben Naoum).


Résumé

Les groupes Tsiganes d'Europe et d'ailleurs sont connus (ou méconnus) pour avoir forgé une identité collective obscure (aux non-Tsiganes). Par une distinction singulière, on identifie sous le nom de Gitans des groupes ou des sociétés sédentarisés dans les régions périméditerranéennes. Or cet ethnonyme est moins un autonyme (créé par eux) qu'un hétéronyme (inventé par nous). Cette situation d'interaction complexe n'a guère changé en six siècles. Pour essayer d'y voir plus clair, je m'intéresse moins aux pôles de la relation qu'à sa dynamique, à sa dialogique. Je tâcherai ainsi (voir conclusions) d'apporter quelques clarifications épistémologiques et propédeutiques aux chercheurs aux prises avec leur langage.

Abstract

Nomination and denomination of the other: from ethnonymic uses to discursive epistemology in gipsy milieu

Tziganes groups from Europe and elsewhere are known (or ignored) to have forged an obscure collective identity (for the non-Tziganes). By a singular distinction, one identifies under the name of Gitans sedentarized groups or societies in the perimediterranean areas. However this ethnonym is less one autonym (created by them) than an heteronym (invented by us). This situation of complex interaction hardly changed during six centuries. To try to see more clearly, I am less interested with the poles of the relation than with its dynamics, with its dialogic. I will thus try (see conclusions) to bring some epistemological and propedeutical clarifications to the researchers struggling with their language.


"On nous a confondus avec des gens de l'Egypte ou de la Syrie, et de là vient le mot gypsy, gitano, non? Qui ne correspond pas à ce qui est gitan (...) Beaucoup de gitans, si tu leur dis qu'ils sont gitans, ils te répondent: ne m'appelle plus jamais comme çà!" (Thede, 1999, p7)

"Le mode de fonctionnement de la société gitane nous est encore largement inconnu... Le regard anthropologique me semble pallier les carences de ces approches... il répond à une tâche cruciale: celle de faire revivre la dignité de groupes méprisés et dans l'impossibilité d'expliciter l'originalité de leur système de pensée" (Pasqualino, 1994, p101).

Introduction

Les codes de socialité dénotent un problème d'identité et ils connotent un souci d'altérité, comme les deux faces d'une même réalité, ou comme deux ipséités qui renvoient à une même eccéité[1]. Afin de faciliter les processus d'identification (de soi) et d'identification projective (d'autrui par soi), nous construisons des taxinomies. Les classifications nominales spatiales permettent de distinguer des lieux, physiques ou symboliques (toponymes), et diverses entités temporelles. On distingue dieux (théonymes), saints (hagionymes), hommes (anthroponymes), et, sur un plan collectif, groupes sociaux (socionymes) et culturels (ethnonymes), sociétés et communautés - sans très bien parvenir à délimiter les peuples, nations, ethnies, cultures. Ainsi les noms d'autres (ou autres noms) passent-ils de l'espèce au genre et du genre à l'espèce.

L'usage de l'ethnonyme revient-il à dire l'autre?

L'usage de l'ethnonyme est répandu, mais qui peut le signifier précisément, sinon cet usage? La confusion vient peut-être de ce qu'aucun dictionnaire de sciences sociales n'ait spécifié ce terme (Zonabend, 1991, p508-509) ou de ce que ce terme, apparu récemment, procède d'une préoccupation ou d'une angoisse synchronique qui traverse actuellement nos sociétés (problématique ou aporie de l'identité). Sous l'apparence d'un intérêt allocentriste, l'ethnonymie procèderait d'un souci de nature ethnocentriste: le nom de l'autre (allos onoma) y est en quelque sorte établi par soi, comme une altérité nominative dont le but serait de conforter l'identité (sui generis). Le nom de l'autre (ethnos onoma) se confond donc avec le nom donné à l'autre (allos onoma). En tant qu'ethnê onomastikê, l'ethnonymie n'est donc encore qu'une science en devenir, une sorte de laboratoire dont les normes d'expérimentation seraient encore à fixer et à sédimenter.

L'usage de ce terme fut d'abord réservé à des études sur les populations nomades, et il s'agit souvent d'expérimentations vives et de champs très innovants. Dans le protocole de l'enquête linguistique ou sociolinguistique, où elle est étroitement associée à l'affiliation génétique, l'ethnonymie vient en amont: elle se situe juste après la définition du groupe ethno-culturel, et juste avant la définition du sous-groupe socio-culturel. Elle se situe à la croisée des rapports entre la force archaïsante et l'impulsion créative qui régissent la vie des dialectes et la production onomastique. Elle est le produit d'une équation constante entre tradition et adaptation. Soutenues par les deux ascendants vénérables de l'onomastique et de l'anthroponymie, les conventions balbutiantes de l'ethnonymie forment une part importante de l'héritage que la "tsiganologie" a déposé dans les réservoirs conceptuels de l'anthropologie moderne. On y trouve l'établissement d'une distinction dialectique et méthodologique importante entre les deux versants de l'ethnonyme: l'autonyme et l'hétéronyme (Williams, 1995, p10-11).

L'autonyme est par définition le résultat d'un processus d'auto-nomination, le nom par lequel ego se nomme lui-même. L'hétéronyme est le nom que lui donne son alter ego. C'est simple, en théorie, comme la distinction entre l'acteur et l'observateur, ou celle de Kenneth Pike (1967) entre emics et etics[2], et comme toute classification de type binaire. Cela dit, la réalité est tout autre, car l'autonyme peut avoir été oublié ou refoulé par son auteur, pour des raisons complexes et diachroniques, et inversement, l'hétéronyme peut avoir été approprié ou domestiqué par son destinataire. Le cas des Gitans d'Espagne et du Midi de la France est exemplaire à cet égard.

Pour un non-Gitan, l'usage de ce nom comporte toute une série de notations ou de significations associées. Pour un Gitan, ce sont encore d'autres sèmes latents qui en accompagnent la formulation. C'est bien pourquoi il s'agit d'une des questions les plus difficiles qui aient jamais été posées à l'anthropologie, celle de rendre compte de "la complexité de cette identité en miroirs" (Williams, 1995, p6). L'univers des communautés gitanes est fondé sur une dualité du réel, ou sur une ambivalence constante, que d'aucuns ont hâtivement et abusivement jugée comme pathologique, voire schizoïde (Martinez, 1975; 1986)[3], mais cette antinomie est redoublée ou reflétée par le rapport à l'autre, à la société des "paios", comme un double effet de miroir renversé. Il en découle une identité spéculaire qui est fondée sur un jeu de rapports conflictuels entre milieu envers et milieu advers, selon la classification empirique du père Joan Guillamet (1970, p66), qui fut une sorte d'homologue catalan du père André Barthélémy en France, célèbre aumônier des Roms et des Gens du Voyage[4].

Selon l'ethnologue Werner Cohn: "les Tsiganes se conduisent plus ou moins de la façon dont les non-Tsiganes pensent qu'ils se conduisent. En d'autres termes, les Tsiganes jouent "leur rôle de Tsiganes", comme celui-ci est défini par les non-Tsiganes. La question reste ouverte de savoir si l'opinion des non-Tsiganes sur les affaires des Tsiganes émane d'un fidèle reflet de la réalité ou si, au contraire, les Tsiganes ont appris à agir en fonction de ce que l'on attendait d'eux" (Cohn, 1970, p10). Pour Luc de Heusch (1966, p89): "les mensonges délibérés comme les demi-vérités concédées sont autant de mesures de protection destinées à préserver l'intégrité d'une culture en état de siège qui se veut imperméable au monde extérieur." Si ce constat est général, pour les ethnologues de l'Espagne, on se doit de considérer les relations Gitanos-Payos (en espagnol) comme une forme de fusion ou d'acculturation réciproque (a two-way acculturation: Gray-Floyd et Quintana, 1972, p23).

Aussi devons-nous veiller à l'adéquation entre le geste et la parole: c'est en cela aussi que peut se concevoir le sens de l'honneur, ou de la parole engagée. Le langage devient alors un exercice hautement complexe, une sorte de labyrinthe sémantique dont le cours serpente en permanence entre l'autonomie et l'hétéronomie (Castoriadis, 1999, p497-498) - l'autonymie et l'hétéronymie en ce qui nous concerne. Les termes Tsiganes et Gitans, considérés comme des autonymes, sont en réalité des hétéronymes; et s'ils sont couramment employés comme synonymes, ou comme paronymes, ils demandent notamment à être réformés, c'est-à-dire reformulés.

Usages diachroniques de l'ethnonyme: le cas des Tsiganes et des Gitans

Pour exemple, l'hétéronyme générique des Tsiganes sert à désigner in abstracto la totalité des groupes européens d'origine nomade. Or cet usage est dû à des chercheurs autochtones, tel Paul Bataillard, qui cédait au besoin évolutionniste de classification et d'une appellation générique des populations non-sédentaires, mobiles et insaisissables, au risque d'en faire un nom génétique. C'est bien pourquoi le nom des Tsiganes a fait problème, car il n'est emprunté à aucun groupe particulier, sinon à une citation historiographique (XIVe siècle) et à une secte hétérodoxe venue d'Asie mineure, ainsi désignée par les Grecs: Athinkani (puis Athsinkani, ou Atzigani) (Pott, 1844, I, p30), voire aussi du turc Tshinghiané, et du latin médiéval Acinganus ou Cinganus, dont dérivent la plupart des formes linguistiques européennes et balkaniques (Block, 1936, p46): Tsigani, Cigan (Bulgare), Tigani (Roumain), Ciganyok, Czigáni (Hongrois), Cykan (Russe) et Cygan (Polonais), Zigeuner (Allemand) et Zeyginer (Alsacien), Zingaro (Italien), Cingar ou Cingan (vieux français) et Cigano (Portugais) - (Vaux de Foletier, 1971, p20-21). Soit autant de variantes pour le même hétéronyme, globalement et systématiquement refusé par ses porteurs, puisqu'il a surtout une connotation négative (Mihai, 2000)[5].

Après la triple classification de J.-A. Vaillant (1856, p127-140), même si elle ressort d'un imaginaire ethnocentriste, ceux que l'on nomme les Tsiganes ont coutume de reconnaître eux-mêmes trois groupes ethniques distincts[6]. Pour simplifier, on dira et on distinguera ici: les Rom, les Sinté (ou Manu_) et les Kalé (ou Gitans). C'est le sens du récit étiologique d'Ali Chaushev, Rom de Bulgarie (Kenrick et Puxon, 1995, p11). Ceux-ci se subdivisent à leur tour en sous-groupes, selon divers critères cumulatifs et différentiels de localisation, de langue et d'activité - et ajouterais-je, d'ethos ou de style poiétique. Je ne les détaillerai pas ici, mais l'on se référera efficacement aux travaux de Jean-Paul Clébert (1962), de Jean-Pierre Liégeois (1971) ou d'Alain Reyniers (1992), qui ont établi leur trajectoire et leur répartition ethnique. On ne peut qu'insister sur le fait que chaque groupe culturel ou social est soigneusement appelé par un nom spécifique. Toute la difficulté apparaît déjà à ce premier stade microsocial, ou à cette échelle micronymique. Et toute la complexité de l'analyse (onomastique et anthroponymique) apparaît dès que l'on évoque le nom véhiculaire des Gitans: hétéronymique (nom reçu et non vécu), il procède aussi d'une convention allonymique (nom projeté par soi sur autrui malgré lui).

Tantôt appelés Bohémiens ou Grecs[7], selon le lieu et la situation, issus de Petite Egypte (Turquie et Grèce), ils n'ont d'Egyptiens (encore moins Faraons) que ce nom[8], qui est resté. Le nom actuel des Gitans est un ancien hétéronyme, qui a été réapproprié en autonyme. Branche méridionale et méditerranéenne des peuples tsiganes, ils étaient comparés et associés à des Egyptiens, ou à des "Sarrazins venus du pays de l'Egypte" (Vaux de Foletier, 1971, p22-23). Par ailleurs, on a cru pouvoir établir la différence entre Gitans du nord (Catalans) et Gitans du sud (Andalous), qui auraient passé le détroit de Gibraltar, via le Maghreb, la Libye et l'Egypte, afin d'expliquer leur division nominale. Lancée par H.M.G. Grellmann - qui fut néanmoins l'un des premiers à comparer les langues "indienne" et "bohémienne" (1783) - cette hypothèse est fausse, ou invérifiable, mais elle a laissé des traces dans l'imaginaire européen, où les archétypes du gitanisme et de l'orientalisme ont toujours partie liée[9]. Dans le sud des Alpes et dans les Pyrénées, c'est aussi aux Sarrazins et Maures, Marroni, Mani et Arani, qu'ils furent autrefois assimilés, peut-être même dès le Moyen-Âge (hypothèse d'école au Xe siècle), (Carénini, 1991; Olive, 1990).

En associant les Gitans d'Espagne et du Midi à de vagues descendants d'Egyptiens (au sens générique d'Orientaux)[10], on les inscrit dans une théorie de la connaissance, erronée mais sincère (au sens où elle est représentative de l'état de la réflexion scientifique aux XVème et XVIème siècles); or en faisant cela, on les assimile à une altérité projective, et on les inscrit dans les représentations d'un imaginaire social. L'Egyptien est autant l'heterôs de l'Européen, son contre-type, qu'il est son allôs, une forme d'altérité atypique, inclassable et irréductible (l'altérité minimale selon Vladimir Jankelevitch, 1980, p37sq.). Or nous savons qu'il ne s'agit ici ni d'Egypte, ni même de fantasmes d'Egypte, mais d'un lieu-dit "Petite Egypte", dont la localisation est différenciée, et aussi différée (Grèce, Turquie). Ce fut le nom de l'Epire, au sud de la Grèce, au XIIe siècle, et aussi celui de la plaine de Nicomédie, en Turquie (Izmit)[11]. Les Grecs disaient Gyphtoï pour désigner leurs autres, et c'est donc bien un allonyme que l'on a ainsi retenu pour les identifier et les désigner. Il s'agit d'un peuple darde ou dardo-indien issu du nord-ouest de l'Inde (Cerbelaud-Salagnac, 1992, p70), ou hindi ou rajasthani (Sergent, 1995, s95-99, p131-132; Leblon, 1990, p13), migrant depuis le Ve siècle ou le Xe siècle vers l'Occident. Tout le problème de la preuve réside dans la datation exacte et dans le caractère ethnocentriste et historiciste des documents.

Les liens historiques et linguistiques entre Gitans et autres Tsiganes ont néanmoins été établis. Il est notamment indéniable que le kaló (langue de fermeture des Gitans apparentée au Romani)[12] contient des léxèmes et des isoglosses issus du Romanès, tels le nom du mari et de la femme, rom et rumí. Ces mots dérivent de l'indo-européen dôm (Brown, 1928, p170-177), qui signifie l'homme au sens générique. Même s'il se réduit désormais à un argot et à des locutions isolées en France, le kaló est la langue originaire des Gitans, et les rapproche des autres Tsiganes (voir Becker-Ho, 1990). Or l'un des surnoms anciens des Gitans d'Espagne est justement celui de Romis, qui confirmerait leur parenté lointaine avec les Roms ou Romané: or il s'agit d'un rapprochement paronymique, car si l'on traduit ce terme par pèlerins (esp. Romeros, cat. Romeus, ou vieux-fr. Romieux), c'est aussi par allusion à leur religiosité "caractéristique" (et donc aussi par hétéronymie).

Je note enfin que l'un des traits reliant entre eux Romané, Sinté et Kalé, finalement assez peu exploré, est la référence constante au toponyme Sindh (localisé au Pakistan): l'histoire orale des Roms les y enracine, comme l'atteste Jan Kochanowski (1967), et les Manouches (de Manu_: homme vrai) s'audénominent Sinté (de Gond Sindhu). La langue Sindhi est apparentée au groupe Cachemiri, Hindi, Bengali, Panjabi, Gongrati, dérivés du Sanskrit (Vaux de Foletier, 1971, p7, p28). Plus importante encore apparaît ici la distinction autonymique (des Gitans par eux-mêmes), car elle se fonde sur un principe d'union et de différenciation fort: Zind-Cali ou Zincali, Kalé ou Calé (et parfois Calarró en Andalousie). Toutes ces terminaisons dérivent de l'adjectif sanskrit kaló, kali, kalé: noir. C'est par antagonisme différentiel aux sédentaires "blancs" qu'ils s'auto-désignent, et qu'ils sont en même temps hétéro-désignés par d'autres groupes Tsiganes (Serboianu, 1930, 308). Chez les Manouches, c'est par périphrase et par identification négative que l'on signifie ce terme: "ce qui n'est pas blanc" (Kālo: Kilo gar vejs) (Williams, 1993, p9). La couleur noire (kalo, chalo, melalo) reviendrait ainsi de droit aux Gitans, en tant que signe distinctif et en tant que marque corporelle. Un proverbe yiddish les désigne ainsi: "C'est le même soleil qui rend le lin blanc et le Gitan noir" (Champion, 1938, 325). Mais tout anthropologue sait encore que si les peuples s'auto-dénominent par opposition, c'est aussi parce que le sens des léxèmes change avec la translation ou la conversion (et l'inversion) translinguistique: on connaît divers cas d'école avec la sémantisation de la main gauche ou de la couleur noire (Goody, 1976, p129-130).

Usages synchroniques et fonctions sociales de l'ethnonyme

Selon Claude Lévi-Strauss, qui reprend les travaux de Ferdinand de Saussure, la procédure de nomination couvre trois opérations concomitantes: identification (ou distinction), classement (ou appartenance), signification (ou référence langagière), (Lévi-Strauss, 1990, p194-259). Les sociétés segmentaires peuvent domicilier des systèmes complexes; pour exemple, les groupes gitans et les groupes sédentarisés, ou communautés ethniques, pratiquent la polyonymie, selon un usage recoupé par l'anthroponymie et la théonymie (ou hagionymie). Plusieurs noms pour un seul, mais avec des distinctions de statut et de rôle, de norme et d'usage sémantique. Toute la difficulté est d'adopter l'attitude la mieux appropriée à la situation et de gérer les variations constantes du groupe en interaction avec son milieu. La théorie classique des jeux de statuts et de rôles, assignés et anticipés, n'est ici d'aucun secours, à moins de l'amender et de l'adapter, comme le recommandaient Robert K. Merton (1949, p280-290) et Aaron Cicourel, 1979, p13-52). Par contre, tout l'enjeu est alors de redéfinir les structures de parenté, d'alliance et d'échange, et de les replacer dans le double contexte des procédures normatives et des procédures interprétatives, car les identités nominales procèdent toujours de conflits et de positions "négociées" par les acteurs.

Comme le montrent les études d'Emmanuel Filhol (Bordeaux), Jean-Luc Poueyto (Pau), ou Jean-Paul Escudero (Perpignan), l'état synchronique de la langue des Gitans résulte d'un régime d'interactions fluctuantes avec l'expression contextuelle des langues environnantes. Ce processus d'interlocution (diglossique ou syncrétique selon les cas) ne peut être appréhendé qu'au cas par cas, communauté par communauté, à travers de solides et durables études de terrain.

La maîtrise scientifique de l'ethnonyme suppose donc a minima, au risque d'une aporie, une double compétence anthropologique et linguistique, la créance de l'une envers l'autre. Il est trop simple de prétendre, comme le font certains ethnologues cliniciens, que l'excès de noms trahit une absence de nominalité: "Les ethnonymes: cent noms différents, un seul peuple?" (Martinez, 1986, p20). La forme interrogative est ici particulièrement perverse et allusive, et Nicole Martinez va jusqu'à postuler une absence d'identité, lorsqu'elle pose que: "Les Roms - jadis enfants de l'Inde - ont été réduits à l'état de Gitans, ethnie fantôme inventée par les Gajo" (Kenrick et Puxon, 1995, p271; in Martinez, 1986, p29). Incorrecte au plan syntaxique et tirée d'un ouvrage honorable, la citation pourra laisser penser qu'il y a un accord de principe sur l'inexistence gitane: c'est une assertion fausse, l'extrait décontextualisé de l'ouvrage précède justement un plaidoyer pour la reconnaissance de ces peuples persécutés, alors que Nicole Martinez ne se livre qu'à une entreprise de déconstruction systématique. Son point de vue négationniste a d'ailleurs déjà été dénoncé par une majorité de spécialistes (Gutwirth, 1988, p380).

Certes, le sociologue ou l'ethnologue rencontre là une difficulté particulière, et selon Patrick Williams (1991), les groupes Tsiganes se perpétuent en recomposant sans cesse leur culture et leur forme d'organisation, au contact permanent de la société englobante, mais à ceci près que: "l'immersion n'est pas nécessairement synonyme de ségrégation" (Williams, 1991, 244-247). Pour l'observateur, même la distinction entre autonymes et hétéronymes n'est pas suffisamment opératoire pour donner une image objective des groupes nomades d'Europe et d'ailleurs. Seule la distinction antonymique ou allonymique, des Gitans ou des Tsiganes envers nous, a un caractère de totalité signifiante. A ce titre, il faut l'intégrer dans une définition minimale de l'ethnonyme. Comme l'altérité est constitutive de l'identité - on l'a déjà vu dans l'autre sens -, il ne faut donc pas se contenter de nommer, ou d'observer froidement (cliniquement) le processus de nomination, mais il faut accepter d'y insérer la manière dont nous nommons nous-mêmes l'autre et dont nous sommes dialogiquement nommés par lui, sous le regard d'un tiers. Nous ne pouvons nous abstraire de la relation à l'autre, à moins de vivre dans une illusion monologique ou monadique.

Peuple noir (de peau, de cheveux, de couleur d'yeux, et de parure), ils s'opposent aux Paios blancs par un effet de discrimination générique (Banton, 1971, p66) et en même temps, voyageurs subissant l'interdit de culture de la terre et l'obligation d'errance, s'opposent aux paysans sédentaires. Déracinés, ils s'opposent aux enracinés. Emil-Michel Cioran (1987, p127) comprit admirablement ce trait qu'il formula ainsi: "Peuple authentiquement élu, les Tziganes ne portent la responsabilité d'aucun événement ni d'aucune institution. Ils ont triomphé de la terre par leur souci de n'y rien fonder". Or les rapports sémiologiques entre l'autochtonie et l'hétérochtonie sont au coeur des sciences de l'homme et à l'origine mythique de la civilisation occidentale. Claude Lévi-Strauss, en s'intéressant au mythe de saint Georges, comme à l'un des arcanes de l'européanité (et sans doute aussi à un des paradigmes de la science moderne), le relia à celui, générique ou structural, des fondateurs ou des sauveurs de la cité. Cadmos tue le dragon et Oedipe vainc la Sphinge, et l'anthropologue a interprété ce geste comme la volonté de "négation de l'autochtonie de l'homme" (Lévi-Strauss, 1958, p246-247), dans le sens où il a pour fonction de renvoyer le monstre en terre et en eau, dans son élément originaire - quand bien même le héros, blessé, boiteux ou claudicant, conserve la marque de son autochtonie originelle.

Hétérochtones au régime de la domiciliation, les Gitans sont aussi nos allochtones, et cela même s'ils ont fini par oublier qu'ils viennent d'abord d'un ailleurs - donc qu'ils furent aussi les autochtones d'un lieu perdu, ou d'un paradis mythique. Ils ont fait leur culture de ce non-lieu[13]. Parmi les populations européennes d'origine nomade, et pour la plupart sédentarisées, les Gitans appartiennent désormais à la catégorie que le Conseil de l'Europe a convenu d'appeler les "ethnies sans territoire" (Liégeois, 1994) - titre ou appellation collective voté en 1992 avec l'appui consensuel des tsiganologues et des ethnologues. Comme la plupart des Tsiganes, même s'ils comptent en apparence parmi les plus sédentaires (c'est en tout cas leur réputation), les Gitans revendiquent moins l'appartenance à un territoire - ce qui n'exclue en rien qu'ils se soient attachés à leur cité, à leur quartier, à leur ville - qu'ils ne définissent leur appartenance à un réseau de parenté. On entendra ce terme dans le sens où: "le réseau relie, connecte, en se constituant contre l'espace" (Balandier, 1994, p63 sq.). Le territoire gitan, c'est la famille et la communauté.

Même sédentarisés, ils occupent des "niches" écologiques spécifiques, qualifiées d'instables et changeantes, même si l'on ne peut généraliser le concept de "communautés péripatétiques"[14]. Mais en "vivant au jour le jour", les Gitans andalous manifestent un optimisme proverbial (Gray-Floyd et Quintana, 1972, p32). Et en Espagne, on a même parlé d'un refus des institutions durables et d'un goût prononcé pour "l'impermanence" (Kaprow, 1991, p221). Il faut s'assurer de l'usage des mots, des rapports entre leur fonction et leur contexte d'utilisation, et de leur décontextualisation tardive, lorsque leur usage s'autonomise. D'Austin à Bourdieu (énoncés politiques et liturgiques) et de Todorov à Tambiah (énoncés magiques), on distingue autrement les deux modalités de l'analogie empirique et de l'analogie persuasive. La première ne fait que dire ou prédire l'avenir alors que la seconde influence et change les événements futurs. La première est performative, alors que la seconde est susceptible d'une réelle performance (rituelle, culturelle, sociale ou économique).

Au plan nominal et anthroponymique, je dirais volontiers que c'est au seuil (et aux limens successifs des rites de passage) que l'on reconnaît les Gitans: j'entends par là le concept anthropologique de liminarité, au sens précis que lui confère Victor W. Turner, dans sa belle théorie de la communauté (par opposition à la structure sociale, 1990, p95 sq.). Le système culturel gitan est fondé sur une ambivalence, ou mieux, sur une "conjonction de contradiction" (_. Lupa_co).

Usages asymétriques de l'ethnonyme et dinomies astructurales

On note généralement que si les appellations particulières ou groupales sont plutôt de nature autonymique, les déterminations collectives sont de nature hétéronymique (Williams, 1995, p11). Si le moi spécifie, le soi (ou le surmoi) globalise. Il faut s'interroger sur la production récurrente de normes globales de dénomination des altérités collectives, et de systèmes classificatoires plus extensifs, nomothétiques ou nomonymiques, que j'appellerai plutôt ici macronymiques.

Non seulement on distingue entre les trois grands groupes ethnoculturels des Rom, Manuś ou Sinté, et Kalé, mais chaque communauté introduit une distinction diacritique plus précise, car les autonymes procèdent de micronymes, systèmes descriptifs intensifs, où les taxinomies servent de marqueurs culturels, idiomatiques et idiographiques (endonymes). A l'opposé, les macronymes se construisent à partir de déterminations négatives et d'antonymes (ce que l'on n'est pas). Ainsi observe-t-on en apparence une asymétrie exonymique entre Tsiganes et Gadjé, Gitans et Paios, Roms anglais et Gorgios: Gadjó, Paio ou Payo, et Gorgios, ces contre-types négatifs renvoient tous au sédentaire, dont les migrants seraient en quelque sorte les hôtes forcés et rejetés: "cette désignation souligne la distance creusée par le rejet" (Cannizzo, 1988, p12 et p22).

Le plus courant est le Gadžo (chez les Sinté et les Jeni_), Gažo ou Gajžo (chez les Rom), ou Gat_o (chez les Kalé). Englobé dans la catégorie générique des étrangers: Gage ou Gagikani (Piasere, 1985, p143), le terme Gadjó, autochtone ou sédentaire, viendrait du sanskrit grhya: domestique, dérivé de grha: maison (celui qui est dans la maison: Williams, 1995, p11). "Le Gadjo, c'est à la fois l'étranger, le paysan et le sédentaire" (Formoso, 1986, p13). Le Gorgios, emprunté au grec mais signifié en anglais (et limité aux communautés de Roms anglophones), renvoie aussi au laboureur ou au paysan; or on notera en effet de miroir la même "faiblesse conceptuelle et théorique" chez les tsiganologues (Piasere, 1989, p107).

Comme il n'y a pas de Tsiganes (ou Roms) ni de Manouches (Sinté) sans étrangers (Gadgé), il n'y a pas plus de Gitans (Kalé) sans étrangers (cat. Paios, ou cast. Payos). Cette dénomination s'est aussi sédimentée dans les langues romanes des pays d'accueil: le Paio catalan et le Payo castillan désignent le sédentaire paysan, non-gitan ou non-nomade. D'origine obscure, et sans doute médiévale, ce terme a été forgé sur le nom catalan du paysan: pagès, issu du latin pagensis, habitant du pays d'origine gallo-romaine: le pagus. En espagnol, le payo résulte de la contraction de paysano: paysan. Enfin le Busnó, aujourd'hui obsolète, équivalent du terme Gadjó en langue kaló, désigne aussi l'étranger chez les Gitans catalans. Et parmi d'autres cas de diglossie, chez les Gitans d'Andalousie, on utilise parfois le binôme Gaché y Calé, qui est parfaitement symétrique au couple hispanique Payos y Gitanos (Thede, 1999, p190; Gamella, 2000).

L'opposition classique entre hétéronymes génériques et autonymes spécifiques recouvre ici une profonde antinomie entre exonymes globalisants (projection stéréotypique) et endonymes spécifiants (auto-identification distinctive par le rejet), (Formoso, 1994, p128). Après analyse, ce rapport asymétrique ou inégalitaire entre le nom spécifique (autonyme) et la dénomination générique (hétéronyme) peut être replacé dans un contexte global de "dinomie culturelle"[15]. Si l'on prend l'opposition dialectique ou antinomique entre la culture des élites et la culture des masses, on constate néanmoins que ces rapports sont fluctuants et réversibles. Ainsi lorsque Roman Jakobson catégorisait les systèmes de signes, il distingua les formations homogènes, intermédiaires et hybrides, comme les "messages syncrétiques, qui s'appuient sur une combinaison ou une fusion de différents systèmes sémiotiques" (Jakobson, 1976, p107).

Dans un monde où le changement de structure sociale est constant (lié à la mobilité de groupe, d'alliance et d'échange), il "se pratique une véritable modulation de l'identité", à savoir que: "la modulation de l'identité ne modifie pas le système de relations, elle joue avec les relations de ce système" (Williams, 1994, p177). En l'absence de référent identitaire ethnoculturel et usuel (affiliation territoriale, traits physiques ou linguistiques partagés), les opérations de démarcation taxinomique jouent un rôle essentiel dans la construction de l'identité sociale ou ethnique. L'attribution d'ethnonymes et le processus de dénomination relèvent donc plus d'un acte performatif que d'une opération de classification (Houseman, 1994, p12-14). Les groupes ethniques produisent autant de taxa, taxons, taxums que d'entités ou d'espèces qu'ils peuvent en concevoir (genres, familles, groupes, classes), mais ils sont aussi créateurs d'actes rituels, qui dissimulent les performances réelles sous les énoncés performatifs.

Pour mémoire, les Gitans formulent entre eux une importante distinction endogène: catalans et andalous (Katalan et Andalu), ou catalans et espagnols[16]. La discrimination ne se limite pas à des différences formelles sur leur origine, linguistique ou géographique, elle repose selon eux sur leur degré d'"intégration" (pensée par inversion). Pour les premiers, majoritairement sédentarisés dans les "centre-ville" dans les provinces du nord de l'Espagne ou du sud de la France, les andalous sont plus assimilés (ils se débarrassent de leurs enfants en les envoyant plus facilement à l'école). Pour les seconds, relogés d'anciens camps en cités de transit (dans le Midi de la France), ou dans des quartiers périphériques (la Gitaneria, déjà citée par Borrow, 1893, p138), les catalans sont des privilégiés qui ont anciennement trahi le modèle nomade. Sans doute est-ce pour cela qu'ils sont appelés ou surnommés les "Gens de bien" (Gitanos benestants) ou les "Gens d'argent" (Gent de calés), selon une assertion emblématique et polysémique[17].

Les Gitans d'Espagne reprochent parfois à ceux du nord et du Midi d'être plus acculturés qu'eux, et d'être moins respectueux des règles du mariage. A Perpignan, les deux communautés se sont métissées depuis quelques décennies, et ont parfois même accepté quelques unions avec des Sinté (Manouches). Car ces deux communautés se côtoient de longue date au pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer et dans les grands rituels (catholiques puis pentecôtistes). En Languedoc, les mariages avec des Paios sont plus ou moins institués. Mais dans l'ensemble, vivant mal la sédentarisation et la professionnalisation (comme vertus cardinales de l'Occident intégrateur), revendiquant les modèles anciens du nomadisme et de la liberté, ils sont aussi des témoins réels d'une altérité idéelle. L'exemple en est flagrant dans le petit village audois de Berriac, repeuplé par une majorité de Gitans, qui viennent d'être relogés ensemble dans une même cité, mais qui possèdent tous leur caravane sur le terrain adjacent (on comptait 365 Gitans sur 553 habitants en 1990: Vicente, 1996). Faute de pratique fondamentale du nomadisme et de l'hétérochtonie, généralisée à tous les groupes tsiganes, ne serait-ce que par contrevenance à la loi et à l'histoire, les Gitans se livrent à des pratiques générales de mobilité, par tradition et par nécessité.

Usages descriptifs de l'ethnonyme, structures de parenté ou constellation nominale

En Espagne, les rapports entre les autochtones et les communautés gitanes sont codifiés par la présence de la "mauvaise honte" (vergüenza) chez les premiers, et par l'absence de timidité, de retenue ou de réserve chez les seconds (Pitt-Rivers, 1954, p184-188). L'honneur n'a rien de courtois: il s'agit d'un code, et non d'un mode (ou d'un ensemble de modalités). Au goût prononcé de "l'impermanence", cité plus haut, il donc faut ajouter une forte propension à "l'impertinence" (Kaprow, 1982, p400), l'étymologie de ce terme étant la non-appartenance.

Souvent intègres, mais aussi joueurs et hâbleurs, volubiles, loquaces, amateurs de calembours et de jeux d'esprit, les Gitans se donnent à dire ou à lire, alors que nous ne savons pas les entendre. On leur reproche souvent de donner à leurs enfants des noms inspirés de films ou de sit-coms télévisés, et de céder ainsi à la culture de masse, aux effets de mode et de publicité. C'est une représentation courante dans les milieux institutionnels, or c'est là un mécanisme connu: la langue est instituée par l'unification du marché symbolique, alors qu'à l'inverse ses formes locales, jugées résiduelles par les dominants, sont constituées en "stigmates négatifs" (Bourdieu et Boltanski, 1975).

Lorsqu'à l'école, on énumère les prénoms de Priscilla, Shirley, Madison, Johnny, Michael ou Jason, sur le seuil, lorsque les parents appellent les mêmes enfants, ils nomment Sinaï, Sara, Elisabeth, Toni, Josep ou Abraham (influences catholique puis pentecôtiste)[18]. La langue dite de sens commun est une "sagesse du moment". Elle apparaît notamment "dans des épigrammes, des proverbes, des obiter dicta, des plaisanteries, des anecdotes, des contes moraux - un cliquetis d'émissions sentencieuses - non dans des doctrines formelles, des théories sous forme d'axiomes ni des dogmes architectoniques." (Geertz, 1986, p107 et p114). Au-delà de tout jugement de valeur, il s'agit ici de "traits affinitaires et implicites", ou de "traits stylistiques", qui renvoient à l'ethos culturel du groupe, du style qui le caractérise ou l'identifie, comme d'un autre signifié, qui demeure insoumis et inaccessible aux modes et aux codes signifiants de la classification verbale. "Le Gitan n'est Gitan qu'à l'intérieur du clan, jamais on le trouve seul" (Botey, 1970, p42).

Alors que les usages hispaniques (catalan ou castillan), induisent l'alternance générationnelle des prénoms (aïeul-père-fils: A-B-A), notamment en milieu rural; dans la famille gitane, la pratique plus généralisée de l'éponymie a pour conséquence de fréquentes homonymies: cela jusqu'à 3 fois le même nom sur 3 générations (A-A-A). Si cela pose problème aux services municipaux d'Etat civil et aux services policiers de la Préfecture, les parents Gitans s'y retrouvent très bien. Car le Gitan est polyonyme, et il porte deux à trois noms. L'un des noms de l'enfant répond au besoin administratif de l'identité (le nom pour les Paios); l'autre répond au patronyme de la fratrie, ou par défaut à celui de la mère; et enfin le dernier, plus secret, qui est en réalité son véritable nom, qui peut être un simple surnom, et qui ne saurait être écrit nulle part - sinon dans la généalogie muette des ancêtres, où il a parfois été puisé. On trouve les mêmes dispositions polynominales chez les Manouches (Williams, 1993, p56-60; Treps, 2003, p55-74).

L'image stéréotypée d'un "père absent", caractéristique des sociétés modernes, n'est qu'une apparence dans le monde gitan. Car la fonction de père correspond plutôt à un statut social collectif, souvent substitutif, ce qui explique le glissement vers les frères du père et les oncles, et surtout les grands-parents et les parrains - car il y a une forte interaction entre parenté biologique et parenté symbolique, dans le mode de transmission patriarcale, alterné de modes de filiation matriarcale (transmission bilatérale), selon le genre de l'enfant. Entre les pôles antinomiques de l'espace endogène (féminin) et de l'espace hétérogène (enfantin), l'espace exogène (central, ou public, ou masculin) est occupé par la communauté des frères, la "Germanía"[19]: assignés à l'extérieur, dans les rues principales et sur les places, devant les boutiques et les bars, les hommes ont la même attitude posturale, en station debout. Ils forment et assurent les relations du groupe en milieu urbain avec la société autochtone, ou pour eux extérieure, c'est-à-dire aussi englobante et dangereuse. Or "Pour être pleinement soi-même (ce soi-même qui ne peut être nommé), il faut ne rien dire, ne rien montrer" (Williams, Préface in Thede, 1999, p7-8).

Ainsi les parrains de mariage sont-ils à la fois grand-parents et oncles, au point que le père biologique est mal identifié par les autorités civiles. La reconnaissance de l'enfant par le père se traduit ici par la transmission du nom, plutôt du prénom - véritable anthroponyme qui a plus de valeur que le patronyme - c'est-à-dire par le mécanisme identitaire de l'éponyme[20], par tradition, mais aussi par innovation. Comme j'ai étudié ailleurs ce problème, les représentations sociales de la conjugalité et de la parentalité sont confuses et brouillées, et contrairement aux apparences simplificatrices des analyses cliniques et sociologiques, il est devenu bien difficile de faire la part des systèmes de parenté et d'alliance matrimoniale, de celle des stratégies de survie ou d'adaptation (Olive, 2003a, p50-53). Ce n'est là qu'un exemple, mais la polypaternité gitane fait aussi problème. A l'Etat Civil, à l'Ecole et à la Sécurité sociale, l'enfant porte le plus souvent le nom de la mère (il y a peu de mariages à la mairie), et il arrive qu'il déclare deux noms distincts, souvent très différents, un peu comme s'il avait deux pères. Les travailleurs sociaux et médicaux y voient des modalités d'"arnaque", et certains ethnologues y voient même des "stratégies" organisées et normées (San Román, 1994, p133-134). Mais le chercheur doit aussi s'interroger sur les codes langagiers et métalangagiers, les modes gestuels et symboliques. Et pour exemple ici, l'aversion des Gitans - commuée en trait culturel par l'usage diachronique - pour le contrôle et l'identification, la numérotation et le comptage administratif ou statistique, voire l'enquête directive sous toutes ses formes (menaçant l'unicité individuelle du nom).

Les complexités subtiles de la polyonymie et de l'éponymie individuelles éclairent autrement la condition gitane, et elles ouvrent la question des catégories nominales, en rapport étroit avec la transformation des structures de parenté. Malgré un taux fort élevé de mariages endogames, les Gitans, dès lors qu'ils sont sédentarisés et urbanisés, ont tendance à admettre de plus en plus d'unions exogames et des mariages mixtes. Chez les Wik Munkan, Claude Lévi-Strauss avait aussi identifié un système à trois noms: le nom ombilical (donné à la naissance, souvent issu d'un autre clan), le grand et le petit nom, qui désignent des qualités propres au totem et qui sont indicatifs de classes (Lévi Strauss, 1990, p221-223). Sous ces trinômes se dissimulent au moins trois ordres nominaux, dont celui de l'appartenance au clan, celui de l'alliance, et celui de la personne comme être social. De même, chez les Penan de Bornéo, ce trinôme se constitue d'un autonyme, un teknonyme et un nécronyme: ils désignent la relation à soi, la relation à soi comme autre, et la relation de soi à l'autre non-nominal (éponymique), puisque dans ce cas: "On ne prononce pas le nom des morts" (Lévi Strauss, 1990, p230-236).

Usages secrets de l'anthroponyme, usages discrets de l'ethnonyme

Les Gitans ne nomment pas leurs ancêtres, oublient le nom de leurs morts et pratiquent peu les commémorations funèbres (tout en observant scrupuleusement le deuil). Par contre, ils prennent leurs morts à témoin et jurent sur eux: "Je dis la vérité, pour la gloire de mes morts!" (Dic la verí, per la salut de mos mulés!) ou "que je meure à l'instant si je ne dis pas la vérité!" (Així em pugui marà calicó si no dic la verí). Comme chez les Manouches (Williams, 1993, p9, p14-15), pour dire la vérité entre soi, on "jure ses morts", mais en-dehors de ce contexte, il s'agit d'une insulte grave qui peut aisément dégénérer en conflit. Dire "mes morts", c'est invoquer leur protection et leur bénédiction, et par inversion, dire "tes morts", c'est proférer une injure qui a valeur de malédiction. Défendant le monde envers face à l'advers, le Gitan s'assure ainsi d'aller toujours vers les Gitans, car le processus de l'identité, qui n'existe pas hors de sa relation dialectique et dialogique à l'altérité, se construit d'abord par différenciation.

Dans ces jeux d'acculturation antagoniste, l'interdit est transgressé, le dit et le non-dit inversés, et l'euphémie renversée en blasphémie[21]. Jurant les morts adverses, le Gitan se défend contre les Paios par l'injure: "puisses-tu manger ta merde!" (jalà una pul!), "que le diable te mange les entrailles!" (que el benc te pugui jalà els espurrià!), "que le diable te dévore le foie!" (aixi el benc te pugui jalà el bucó!). L'invective est la même que celle des Manouches: "mange tes morts" ou "je baise tes morts" "...et toute ta race" (Williams, 1993, p16). Or dans ce type de croyances, le monde silencieux des ancêtres est parfaitement homologue à celui des morts, qui sont associés eux-mêmes à des "revenants" ou à des "rappelés", car ils sont apparentés à des "vampires" potentiels (mulō: muló, ou mujao andalou), (Knobloch, 1953, p130; Williams, 1993, p23-24). "L'intégrité toujours. Pour que les vivants soient assurés de leur pérennité, de leur existence, il faut que les morts soient en paix" (Williams, 1993, p62).

Or il est clair que le nom gitan du défunt est ce qui "colle" à son identité, à son histoire et à sa position sociale. Le nom socialisateur ou public n'a pas de valeur, car "ce qui disparaît est ce qui caractérise l'individu: le romeno lap, les actes et les événements de son existence... et ce qui reste, qui est ce qui figure le groupe: le nom pour les Gadjé, la tombe." (Williams, 1993, p54). Un chercheur de terrain ne peut ignorer la règle du tabou de nomination (ou du tabou onomastique: taboo on names), qui porte sur la religion, le protocole interne ou l'organisation sociale (Panoff et Perrin, 1973, p195). Si l'on ne parle pas les morts, on ne peut que les chanter, car le chant procède d'une véritable codification des rapports symboliques entre Tsiganes et des rapports sociaux entre Tsiganes et Gadjé. Cet exercice oral procède du "pouvoir récupérateur", et en quelque sorte "rédempteur" - au sens où le contact des Gadjé est vécu comme une souillure. L'expérience difficile et très ritualisée de la mort appelle une purification, une régulation que, faute de "parler des morts", seul permet le chant (Stewart, 1993, p21-36; Leblon, 1990; Pasqualino, 1994; Williams, 1993).

Pierre Clastres (1972, p45 sq.) a démontré que pour les Aché (indiens Guayaki), l'identification du terme Beeru comporte une catégorie endogène, les défunts de la tribu, et une catégorie exogène, les blancs, ainsi nommés à leur arrivée. Les morts et les colons procèdent d'une homonymie ou d'une même réalité nominale, de même que dans les cultes du cargo mélanésiens, tels qu'ils sont revisités par Mircéa Eliade, Vittorio Lanternari ou Mondher Kilani. Pour Luc de Heusch, la circulation des noms et la production poiétique d'identités nominales procède d'un système d'échange entre vivants et morts. Comme dans les rites d'exorcisme, le souffle sert à expulser la maladie et, dans la mort, à expulser l'âme. Ainsi chez les Akan, dans le dernier souffle, l'homme qui meurt appelle son petit-fils et, front contre front, il lui transmet son seke ano, le pouvoir défensif et sorcier de son âme wawi (contre le pouvoir magique et destructeur de son awa ono), (De Heusch, 1971, p248). La transmission indirecte du nom procède de la loi d'incarnation, qui relie les morts aux vivants par le principe métaphorique et par la médiation d'objets sacrés (churinga, djurunga), notamment chez les Aranda d'Australie. Deux systèmes convergent ici: les morts perdent leur nom, et les nouveau-nés ne sont nommés qu'après une période de deuil. Dans cette structure de régulation des sorties (prohibition nominale des morts) et des entrées (statut nominal des vivants), les "surnuméraires" sont mis en attente de dénomination ou de renomination, et sont considérés comme des candidats à la classe. A terme, ils sont intégrés par le biais des nécronymes, et par occupation discontinue des positions. "Dès que la mort creuse une lacune dans la texture sociale, l'individu s'y trouve en quelque sorte aspiré", "au lieu de confier à des hommes vivants la charge de personnifier de lointains ancêtres, ces rites assurent la reconversion, en ancêtres, d'hommes qui ont cessé d'être des vivants" (Lévi Strauss, 1990, p27 sq). Niant la mort ruptive et interruptive, la culture permet ainsi de résoudre les problèmes inhérents aux systèmes d'oppositions (synchronie-diachronie, périodique-apériodique, réversion-irréversion du temps), (Lévi Strauss, 1990, p283 sq).

C'est ici que l'anthroponymie vient secourir et précéder, c'est souhaitable, l'ethnonymie. Car ce que font les Gitans de manière endogène (processus de nomination) est en relation intime avec ce qu'ils font de manière exogène (processus de dénomination), souvent par inversion. Ce qui est dit au-dedans ne peut être dit au-dehors, et c'est toute la différence entre le processus de nomination (Le Robert, 1967, I, p1278), qui agrège l'individu à son groupe d'appartenance, et le processus de dénomination, qui le sépare et le singularise (préfixe -dé, du latin dis), (Le Robert, 1967, I, p494). La nomination lui permet d'accéder à un état, à un statut ou à une fonction (donner un nom, ou déposer le nom), alors que la dénomination est un processus externe de désignation, ou d'affectation d'un nom (exposer le nom). C'est un jeu dialectique: le fait de nommer donne une position autonome (qui comporte l'autonyme), et le fait de dénommer procède d'une décision ou d'une disposition hétéronome (imposition ou exposition, qui comporte l'hétéronyme). C'est bien pourquoi la désignation nominale est une opération hautement sociale. Comme l'a dit Claude Lévi-Strauss, rien n'atteint un plus haut degré de complexité symbolique que l'élaboration du langage et les réseaux d'échange de signes, qui procèdent de schèmes latents ou inconscients (Lévi-Strauss, 1958, p64).

Synthèse réflexive des usages dialogiques de l'ethnonyme

Il nous faut donc considérer l'ethnonyme Žitan ou Žitane comme un classement linguistique. Chez les Gitans de France, on ne dit plus ou presque plus Kalé, sans doute à cause des connotations de la "Raza Calé", terme usité par leurs frères d'Espagne. On parle communément de Gitans (Gitanos), ce dont on déduit que l'autonyme disparaît de l'usage, et que l'hétéronyme s'institutionnalise dans le langage, et ce dont on déduit encore plus hâtivement que ces populations s'intègrent - ou s'assimilent. Or l'inverse est également vrai, notamment en Andalousie (avec l'opposition structurale Gaché y Calé).

Entre ces deux termes, intervient un troisième dénominateur, au caractère médian ou liminal, car la spécificité linguistique des Gitans catalans se base précisément sur l'appropriation d'un autre hétéronyme: les "Nois", qui signifie les enfants en catalan (noi, noia: fils, fille). Il s'agit d'un hétéronyme à l'origine, or il n'a de sens que pour les Gitans, car il désigne leur humanité (les fils de l'homme) et répond ainsi à un déni diachronique de leur identité d'hommes. Si ce terme vernaculaire dénote une appartenance dialectale au monde des Paios, il procède aussi du principe d'humanité, bien connu des anthropologues. Pour Georges Devereux, l'identité ethnique est contaminée par les auto-modèles de la personnalité ethnique et ses processus de généralisation inductive. On a parfois cru trouver cet idéal ou cet isolat chez les Eskimo du Cap York, qui se nomment "le peuple"; ou bien chez les Aranda d'Australie, qui se disent naturellement "bons" (Devereux, 1972, p134-137). Melville J. Herskovits puis Claude Lévi-Strauss ont fait la même remarque, montrant que la notion d'humanité est d'abord restreinte.

L'emploi du terme "Nois" dénote à la fois un paronyme et un mésonyme, produit d'un rapport négocié entre la contrainte linguistique du milieu et la compétence propre de l'acteur, preuve d'autonomie, plutôt que d'aliénation ou d'énonciation passive (Castoriadis, 1999, p481). Très légèrement dénotatif à Perpignan, dans les zones occitanophones voisines, ce terme prend un sens connotatif à Carcassonne, à Narbonne ou à Béziers, et plus nettement dépréciatif à Montpellier, à Nîmes ou à Avignon. Dans la zone provençale, il est relayé par l'hétéronyme "Caraques", ou "Boumians" qui indique fortement le mépris différentiel, voire la dévalorisation sociale ou raciale. On passe ainsi d'une simple remarque notative à un jugement de valeur négatif, avec des effets de marginalisation et de stigmatisation.

Sur le territoire français, en général, et dans divers pays européens, l'hétéronyme "Gitans" est employé de manière indifférenciée ou substitutive à l'allonyme "Tsiganes", qui s'applique ici aux "Roms", aux "Manouches" ou aux "Sinté". On s'y perd. En ce sens, il n'a donc qu'une valeur macronymique de simplification et de réduction (les Indiens ou les Eskimos). Or les choses se compliquent à l'échelle micronymique - ce qui explique un certain laxisme dénominal. Sur le territoire français méridional, l'usage du mot "Gitans", au sens générique, est correct, dans le sens où l'autonyme résulte d'une réappropriation de l'hétéronyme. Sur le territoire espagnol, l'usage du mot "Gitanos" est également correct, pour les mêmes raisons, mais dans le sud, il peut être redoublé ou substitué par le terme "Calé", car cet autonyme y subsiste. En revanche, dans les départements catalans et occitans du sud de la France, la transposition diglossique du pluriel "Gitanos", issu du catalan et prononcé à la française (parfois orthographié gitanots ou gitaneaux), procède d'un usage diminutif et, dans ce sens, dépréciatif. Par extension, en Languedoc (région de Carcassonne), dans un contexte de rivalité et de conflit fondé sur l'appropriation du sol et des logements sociaux, Manuela Vicente note efficacement que l'usage spécifique du féminin "Gitanes" est connotatif et dépréciatif (Vicente, 1996, p17-29). Ces formes de racisme ordinaire sont répandues et dans le piémont italien, Leonardo Piasere a démontré qu'elles servent aussi de prétexte à des traitements différentiels de l'identité (l'alibi du communautarisme projeté chez l'autre) et de l'altérité (accès au travail, au logement, à l'éducation ou aux soins). L'expert note d'ailleurs que pour appréhender et penser ces populations, il est nécessaire de rompre avec les classifications et ratiocinations unaires, et propose de les décrire par "bi-sociations analogiques" (Piasere, 1994, p23). Non binaires (disjonctifs), mais dialectiques et dialogiques (conjonctifs), ces modèles issus du terrain s'inspirent des schèmes d'analyse de la situation d'énonciation linguistique, et ils nous suggèrent une récursivité méthodologique aiguë. A nous de nous en emparer.

Pour se prémunir contre les facilités discriminantes, il faut donc veiller à l'adéquation parfaite entre le texte et le contexte, ou s'assurer que l'usage social du nom de l'autre, transmis par le chercheur de terrain à travers ses travaux et dans ses expressions, réponde aux critères de respect culturel et démocratique, de reconnaissance pluriethnique et polythétique (au sens d'une pluralité linguistique: Affergan, 1997, p95). Notre tâche minimale (et si j'ose dire liminale) n'est-elle pas d'éviter la part pauvre du discours, celle que l'on réserve trop souvent aux "autres délocutifs"[22], ceux-là même "dont on parle, de surcroît, en leur nom" (Affergan, 1997, p66). Autrement dit, ne devons-nous pas en toute circonstance considérer l'autre comme une personne à part entière (per sonna), et ne devons-nous pas appeler chacun par son nom (per nomine sui), mais en aucun cas en son nom (in nomine sui). Les catégories conceptuelles des chercheurs ne sont jamais à l'abri des stéréotypes latents, des abus cliniques, voire des dérives révisionnistes. Or, sans revenir ici sur ce que j'ai plus longuement développé ailleurs (Olive, 2003b), je me contenterai de rappeler à bon escient que: "faute de penser l'autre, on construit l'étranger" (Augé, 1994, p172).

Les généralisations abusives, les catégorisations et les typifications des Paios sont justement perçues par les acteurs gitans comme une véritable forme de discrimination, un vocabulaire d'irrespect ou de mépris (despectivo). Les ethnonymes globalisants sont plus précisément des "paroles pour offenser" (que te meten para ofenderte), (Thede, 1999, p232-233). Que le lecteur ne s'attende donc pas à ce que je l'entraîne ici dans le travers classificatoire de la définition, ou dans une "lutte intertextuelle" entre les définitions, ou entre les systèmes cognitifs des uns et des autres (Thede, 1999, p281-282). Car ce qui importe en somme, c'est d'admettre de notre interlocuteur gitan qu'il dise simplement qu'"On est gitan en vertu du simple fait qu'on est là..."

Jean-Louis Olive

Notes:

1.- On trouvera la définition de ces termes techniques dans l'éditorial du même numéro thématique.

2.- On lira à ce propos l'article de Philippe Schaffhauser. Pour une discussion critique sur la tagmémique de Kenneth Pike, voir: Ducrot et Schaeffer, 1995, p55-56 et p496.

3.- Le lecteur doit savoir que cet auteur et ses ouvrages, cités ici pour information, ont fait l'objet d'une critique défavorable et consensuelle de la part des tsiganologues et des ethnologues.

4.- En citant l'abbé Joan Guillamet, je me réfère à l'un des "bienfaiteurs" des Gitans, tels qu'en Espagne ou en France (Abbé A. Barthélémy, Abbé J. Valet notamment): ils sont connus pour avoir fondé une activité d'aide caritative et militante orientée vers ces populations, et à travers une sympathie chrétienne (voir: Bordigoni, 2002). De nos jours, l'oeuvre des prêtres ouvriers ou des aumôniers (qui participaient d'une vision active de la Réforme de l'Eglise catholique, cela notamment sous Vatican II) est également relayée par celle des pasteurs de la communauté évangéliste, ou pentecôtiste (voir les travaux de Williams).

5.- On lira ici même l'article de Carmen Mihai (et sa thèse à paraître). Il est à noter que l'on trouve la thèse inverse chez J.-P. Liégeois (1983, p53), lequel tente de "réhabiliter" cet ethnonyme générique.

6.- Il existe encore un quatrième groupe, les Yenniches (Yeni_), que les trois premiers considèrent comme non-Tsigane ou européen (germanophone), et réputé de formation récente. De même les Roms Boyas (roumanophones) ont-ils eux aussi un statut bien à part.

7.- En espagnol et en catalan Griegos ou Gringos (Constitucions de Cathalunya, 1512).

8.- Forme archaïque de l'espagnol Egipcio ou egipciano: Egiptano a donné giptano, gitano (comme l'anglais Egyptian, gyptian a donné gypsy). Ce terme est cité parmi d'autres dans le Manual de Novells Ardits, Barcelona, Consell de Cent, 9 juin 1447, II, p17.

9.- De Rochas, 1895, p546-547. Hypothèse douteuse qui est reprise par Nicole Martinez, 1986, p26; mais qui est définitivement déniée par B. Leblon, 1990, p18.

10.- Asséo, 1995, p15-22; sur les mythes de la diaspora, associée à celle des Hébreux, voir Rulleau (1966, p26-53).

11.- Chronique de Constance, 1438 (Anton Hermann). On trouve aussi un mont Gype, près de Modon en Grèce (Pélopponèse); voir: Windstedt, 1909-1910, p57-70.

12.- A l'exception de l'élite militante, les Gitans ont une faible conscience historique de leurs origines, et ils dénient largement la parenté avec les groupes Tsiganes d'Europe (qu'ils appellent eux-mêmes Hongrois), cela même si les linguistes, historiens et anthropologues qui ont étudié le problème formulent des preuves tangibles. A Villeneuve-les-Avignon, j'assistai en 1993 à la projection du film de Tony Gatlif: Latcho Drom, qui épiloguait alors sur le problème ou le mythe de la migration originelle, et j'ai constaté que les Gitans quittaient la salle. Interrogés, ils m'ont répondu: "nous n'avons rien de commun avec ces misérables, si les paios nous voient comme ça au cinéma, alors cela veut dire qu'ils ne savent rien de nous". J'ai eu beau leur expliquer que le réalisateur était aussi un "Tsigane", ils n'ont pas pu ou pas voulu me croire.

13.- Je n'entends pas ce terme dans le sens postmoderne des non-lieux de l'identité que lui a conféré M. Augé (1992, p48, p60); mais dans le sens plus spéculatif d'espaces en cours de transformation, ou de transition, de topomorphose, selon J. Duvignaud (1977).

14.- Je n'entre pas ici dans le débat, voir: Rao, 1985, p100-106.

15.- Ce terme est utilisé ici pour décrire un système bilinguistique, mais à travers une asymétrie et un rapport de domination d'une langue sur l'autre (voir Saville-Troike, 1982, p59).

16.- Plus ancienne qu'il n'y paraît a priori, cette forme de discrimination positive (entre bons et mauvais, ou vrais et faux Gitans), construite par interaction avec le monde des Payos (autour de l'invention du Flamenco), remonterait à la "Gitanilla" de Cervantès (Starkie, 1960, 131).

17.- Cette locution s'entend avec un jeu de mots implicite sur "calé, calés" (argent, monnaie) et sur "kalé" (pluriel de kaló: noir), qui passe pour être l'ethnonyme véritable des Gitans, leur autonyme (au sens où ils se l'attribuent eux-mêmes). On retrouve le même épithète polysémique chez les Rom Lovara (de Lové: argent, monnaie) en Hongrie et dans la France du Nord.

18.- On remarque d'ailleurs que, sous l'influence des conventions pentecôtistes, dans l'espace catalan et catalanophone, les prénoms actuels des enfants gitans ne sont pas sans rapports avec les prénoms canciens des ascendants des 3o et 4o degrés, conçus sous l'influence des rites catholiques.

19.- Germanía (fraternité): ce léxème est comparable à la locution qui désigne les frères Rom (Romani tchavé) en langue romani, or ce terme désigne aussi la langue propre des Gitans, lorsqu'ils s'expriment en dialecte catalan septentrional, sachant qu'il comporte des insertions d'argot et quelques expressions de la langue kaló, en voie de disparition (voir: Escudero Joan-Pau, 2003, p103-119).

20.- Le 1o enfant de sexe masculin reçoit le nom du père, le 2o celui du grand-père paternel, et le 3o celui du grand-père maternel; le 1o enfant de sexe féminin reçoit le prénom de la mère, le 2o celui de la grand-mère paternelle, et le 3o celui de la grand-mère maternelle: c'est là une règle générale à Perpignan, mais il va de soi qu'elle doit toujours être vérifiée au cas par cas.

21.- Comme dans les systèmes préchrétiens, où les noms divins sont sémantiquement renversés (voir: Huston, 1980, p34-35).

22.- Pis encore, la relation stérile ou absurde qui opposerait un objet délocutif et un sujet illocutoire, comme dans l'exemple fameux du ventriloque qui est donné par Geertz (1996, p143).


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Notice:
Olive, Jean-Louis. "Nomination et dé-nomination de l'autre: Des usages ethnonymiques à l'épistémologie discursive en milieu gitan", Esprit critique, Hiver 2004, Vol.06, No.01, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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