Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Été 2003 - Vol.05, No.03
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Dossier spécial
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Article
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Cinéma et Etat postmoderne: reflets dans la politique culturelle
Par Cristiane Freitas Gutfreind

Résumé:
Dans cet article, nous nous proposons d'essayer de comprendre comment les mutations de l'Etat dans la postmodernité ont eu des reflets dans l'idée de politique culturelle. Nous avons pris le cinéma pour illustrer notre propos car l'existence de celui-ci se doit à l'interaction entre un système socioculturel qui l'organise (l'Etat) et l'imaginaire, c'est-à-dire qu'à travers des images créées par le cinéma, nous pouvons saisir la réalité sociale dont elles sont issues.

Auteur:
Cristiane Freitas Gutfreind est Docteur en sociologie pour l'Université Paris V. Professeur à l'Université Catholique do Rio Grande du Sul (Porto Alegre, Brésil).


          Le cinéma est une technique d'enregistrement qui s'est répandue aux quatre coins du monde et celui-ci est sa source d'inspiration. Il est une articulation entre expérience vécue et fiction. Il est aussi une interaction entre l'être et l'image. De cette façon, le cinéma constitue un spectacle fonctionnant comme un lien social. Cette structure en a fait un phénomène relativement autonome, mais qui s'organise en accord avec le milieu socioculturel dont il est issu et l'imaginaire. Autrement dit, l'Etat a mis en forme leur production cinématographique. Dans ce travail, donc, nous avons essayé de remarquer les implications produites par les mutations occurues dans la postmodernité, d'abord dans l'idée de l'Etat, ensuite ses reflets dans la politique culturelle pour arriver, enfin, à comprendre qu'à travers le cinéma et les imbrications qui le constituent, nous pouvons comprendre une réalité sociale donnée.

          C'est dans ce sens que, dans son organisation, le cinéma a établi des rapports avec l'Etat qui sont restés étroits depuis sa naissance et ont accompagné les changements de valeurs, lesquels ont modifié sa nature. On peut donner quelques exemples de ce lien tel qu'il s'est constitué dans le passé. Ainsi, le cinéma a exercé une fonction de propagande idéologique et politique dans les nations dictatoriales et revêtu une valeur stratégique dans les puissances démocratiques. On sait le rôle important qu'il a joué dans l'ex-URSS, dans l'Allemagne nazie et dans l'Italie fasciste. Aux Etats-Unis, l'histoire du cinéma se confond avec la propre histoire du pays. La France, issue d'une tradition monarchiste de forte implication de l'Etat dans la vie des arts à travers une centralisation administrative, politique et culturelle de la société, a fini par créer en 1959, en s'inspirant des idées d'André Malraux, une "politique culturelle" dont tout le monde a reconnu la singularité, principalement dans le domaine de la production cinématographique. Au Brésil, jusqu'à la deuxième moitié des années 50, les relations entre l'Etat et le cinéma sont restées ténues, le premier montrant peu d'intérêt pour le second. Des changements sont ensuite intervenus, qui ont inauguré une phase où le pays a commencé à penser une certaine organisation, avant tout protectionniste, de sa production filmique pour aboutir, vers le milieu des années 60, à un processus de création d'institutions cinématographiques subventionnées par l'Etat.

          L'organisation de la production cinématographique a donc un rapport direct avec le pays d'où cette production est issue, ceci malgré les transformations par lesquelles elle est passée dans la contemporanéité. Le cinéma fonctionne ainsi comme moyen de réflexion sur les faits sociaux. Comme l'illustre bien le cinéaste brésilien Carlos Diégues en disant que "le cinéma est une production, je pense que c'est la production culturelle la plus sensible aux reflets de la réalité du pays où il est fait"[1].

          Les récits cinématographiques apparaissent de fait profondément liés à la façon de vivre d'un pays déterminé. C'est ainsi qu'ont surgi les cinématographies nationales et qu'elles ont établi un rapport intime avec leurs moyens de financement et de production.

          Le cinéma a subi beaucoup de changements tout au long de son histoire. D'importantes transformations techniques et esthétiques ont modifié sa conception d'origine, qui consistait pour le public à payer pour voir un film dans une salle obscure. Il est entré en interaction avec la photographie, la littérature, le théâtre et plus récemment avec la télévision, la vidéo et les nouvelles technologies de production et de diffusion: le numérique, le DVD, le CD-rom et Internet.

          On peut dire que le cinéma est entré en ébullition: il est devenu désormais un partenaire de la télévision sous beaucoup d'aspects, tel celui de son financement; l'architecture des salles s'est modifiée au-dedans et au-dehors et, surtout, les avancées rapides de la technique ont transformé la façon de voir les films ainsi que leur langage. Dans la postmodernité, le cinéma a donc subi des changements très importants, qui vont nous ramener à l'instant à la question qui concerne l'essence de l'image.

          Il faut ajouter - si l'on reprend les observations de Gilbert Durand et plus encore de Michel Maffesoli à propos de l'image - que celle-ci est un vecteur de communion avec l'autre. Selon Maffesoli, l'image en soi n'a pas de validité, sa valeur résidant dans sa capacité à mettre l'individu en relation avec les autres, avec la nature. C'est dans ce sens que l'image filmique doit être saisie: elle n'est pas absolue, se trouve toujours mise en rapport avec des faits quels qu'ils soient, avec des émotions. C'est ce que Michel Maffesoli appelle le "monde imaginal" (1993, p129-130), c'est-à-dire une réalité de la vie sociale postmoderne composée d'images, de ludique qui interagit avec les éléments du monde.

          L'époque postmoderne, caractérisée par un nouveau style de vie et par de nouvelles formes d'organisation sociale, renvoie, selon Gianni Vattimo (1987), à la "fin de l'histoire". Pour le philosophe italien, l'immobilité devant l'existence concrète, surtout par rapport à la technique et aux systèmes d'information, confère à l'humanité un sens non historique. Etant donné le perfectionnement des instruments de conservation et de transmission de l'information, l'idée de réaliser une "histoire universelle" est devenue impossible, l'utilisation qui est faite de ces outils de communication tendant à tout dissiper dans l'éphémère, dans la simultanéité, produisant ainsi une "dés-historicisation de l'expérience" (1987, p16). Autrement dit, l'histoire ne comprend plus un modèle de narration évolutionniste, ni des principes unificateurs d'organisation ou de transformation.

          Il est ainsi devenu possible d'écrire une pluralité d'histoires et d'utiliser le passé comme un moyen de se démarquer du présent, de le reformuler. Dans ce sens, déterminer la période où cette époque postmoderne a commencé reste sujet à controverse, surtout parce que cette phase semble écarter toute cohérence historique. Depuis le XVIIIe siècle, les concepts d'histoire linéaire et de progrès ont été le moteur de la civilisation, et le futur comme valeur directive a constitué l'élément fondamental de ce système épistémologique. Au XXe siècle, les valeurs ont beaucoup changé avec la rapidité du développement technique, vidant de son sens la notion de progrès et permettant le surgissement d'une nouvelle époque: la postmodernité. Cette époque peut être, génériquement parlant, mise en rapport formel en termes de contenu avec l'époque postindustrielle, dans la mesure où elle est symbolisée par une production en masse, et aussi par l'avènement de l'électronique. Si l'on suit cette vision, on peut dire que la postmodernité concerne la fin de la Seconde Guerre mondiale, envisagée comme le temps d'une nouvelle époque, marquée par l'avènement de la télévision ainsi que par une reconstruction physique, architecturale et environnementale d'un Vieux Monde détruit par la guerre, celui-là même qui avait été le berceau de la modernité.

          Loin du consensus qui renvoie aux milieux scientifiques, la postmodernité a été conçue, d'un autre côté, sous l'angle d'aspects spécifiques que l'on ne peut trouver que dans le champ de la culture et dans celui, plus restreint, de l'esthétique. Cette tendance est apparue comme réaction généralisée à la condition postmoderne qui était attribuée à la totalité des phénomènes sociaux vérifiés dans certains types de société. Pour certains auteurs, comme Jean-François Lyotard (1979), il s'agit en ce sens d'une notion qui ne peut s'appliquer qu'aux sociétés "développées" dans la mesure où elle désignerait les conditions générales de la culture dans ces sociétés suite aux transformations que celles-ci ont connues dans les sciences, les arts et la littérature depuis la fin du XIXe siècle.

          Par opposition à cette idée de Lyotard et conformément à celle évoquée précédemment de la non-universalité de l'histoire, nous comprenons que dans les pays en développement comme le Brésil - que nous préférons qualifier de "pays en développement contrasté", dans la mesure où leurs structures archaïques sont encore présentes tout en se mêlant aux structures développées, tant sociales qu'économiques - on trouve des manifestations culturelles similaires à celles des "pays développés". La soi-disant dépendance de la superstructure vis-à-vis de l'infrastructure procède d'une erreur de jugement. Le Brésil archaïque possède un Glauber Rocha postmodernne. Cela signifie que dans l'univers esthétique, relativement autonome, nous pouvons trouver des composantes de la postmodernité et de la pluridimensionalité qui composent la vie contemporaine. C'est dans l'interaction de ces différentes composantes que nous pouvons comprendre la socialité d'aujourd'hui.

          Ainsi, avec la postmodernité, le futur comme valeur exclusive a donné lieu aux analyses synthétiques/synchroniques, au "présentéisme", à un "vivre ici et maintenant" qui se refuse à ajourner le plaisir, et il convient de rappeler ici la formule de Michel Maffesoli selon laquelle le "présentéisme" contemporain s'oppose au futurisme moderne. Le choix du présent implique une recherche du vécu (dans l'espace et le temps) avec une ouverture conséquente sur le sensible, l'émotionnel, l'affectuel. La raison a donc perdu son intérêt comme noyau unificateur de l'expérience humaine, qui est devenue d'ordre esthétique, de même que le "devoir être", marque typique de la production intellectuelle moderne, a été remplacé par la réflexion sur l'être, sur ce qu'est "l'ici et maintenant".

          Le quotidien et le "localisme" ont pris ainsi une place fondamentale dans la socialité contemporaine, parce que c'est dans la vie quotidienne et à partir d'elle qu'aboutissent les créations humaines. Comme le dit Henri Lefebvre (1961, p50), "le plus important, c'est de noter que les sentiments, les idées, les styles de vie, les jouissances se confirment dans la quotidienneté". De ce point de vue, le vécu et sa représentation ont une grande importance pour saisir notre époque, et la connaissance du sens commun, ou en termes maffesoliens, "la connaissance ordinaire" joue un rôle crucial pour la compréhension du mythe comme complément et individuation de l'histoire.

          Le mythe doit ici être compris dans le sens que lui donne Gilbert Durand quand il écrit: "Nous entendrons par mythe un système dynamique de symboles, d'archétypes et de schèmes, système dynamique qui, sous l'impulsion d'un schème, tend à se composer en récit" (1992, p64). Dans ce sens, le mythe de Prométhée représente l'image de la modernité - en tant qu'instaurateur de la première civilisation humaine qui fut condamné au supplice éternel pour avoir entrepris de dévoiler la vérité et de par sa lutte avec le Titan, il peut fournir une analogie avec la recherche du progrès - tandis que Dionysos - dieu nomade à plusieurs visages associé au plaisir et à la fête, ainsi qu'aux arts, surtout tragiques - est l'incarnation de la postmodernité. Michel Maffesoli a bien analysé ces analogies dans son livre L'ombre de Dionysos (1982), où il démontre la perte de l'individu dans le collectif à travers la pluralité de la diversité sociale. Cette vision renforce d'autres caractéristiques de la pensée postmodernne, dont l'intégration des contradictions et la non-limitation dans la duplication de l'existence commune, ce qui laisse une place à la critique.

          L'hétérogénéité de l'époque postmodernne repose sur la valorisation de la différence et, comme conséquence, l'affaiblissement de l'institution dans toutes ses versions - l'Etat, la famille, l'école - et aussi le démantèlement des notions de représentation et de délégation. Comme la vie vécue au jour le jour est le bien majeur de la contemporanéité, le "tribalisme" (Maffesoli, 1988) est aujourd'hui compris comme l'équivalent de l'institution moderne. Après un grand moment de contestation de l'institution, marqué symboliquement par les mouvements étudiants de mai 68, les années 80 ont été marquées par la recherche d'un accommodement à l'institution et sa prolifération: sans elle, la vie banale paraît invivable, mais nous n'attendons plus d'elle la solution aux problèmes; le compromis avec l'institution se révèle dans l'identification avec ses "niches" susceptibles d'offrir autant d'endroits de pratique pour les personnes ou les "tribus". Ainsi, la notion de société rationnelle, propre au XIXe siècle, a été substituée par un "être-ensemble" se rapprochant d'un idéal communautaire vécu sous l'égide du "localisme" (du petit territoire, par opposition au grand territoire continental et homogène).

          A partir de cette acception du monde comme totalité hétérogène et fragmentée, la postmodernité a rassemblé les singularités. Au contraire de la modernité, qui a créé l'un à partir du tout, tels les Etats-nations et les identités nationales, la pensée postmoderne a accepté la multiplication de la différenciation (une totalité unie, une "unicité") en substituant à la recherche de l'identité permanente et stable les dérives vers le goût des identifications successives et provisoires. Ce processus renvoie au fait que l'individu se compose de plusieurs masques revêtant différentes significations qui le font devenir une personne, c'est-à-dire une version collective de l'individualité devenue un être social. La conséquence de ce processus d'identification est donc le déplacement des modèles de pensée positivistes (y compris du marxisme, bien entendu), la relativisation des dogmes centraux (un exemple pertinent est la fin de la culture érudite comme marque centrale de la culture et d'un projet culturel) et la fin de l'opposition entre nature et culture, nature et humanité, qui exige la domination de l'un de ces deux axes par l'autre mais aussi leur acceptation comme composantes d'un processus dynamique d'équilibre: la naturalisation de la culture.

          Ces réflexions nous amènent à constater un déclin de l'Etat et de son pouvoir qui fait apparaître des ambiguïtés et des contradictions, ce qui rend plurielle la socialité contemporaine. Ces transformations par lesquelles est passé l'Etat sont essentielles pour l'appréhension du rapport entre celui-ci et le cinéma. Nous comprenons donc l'Etat comme "l'empire des images". Cette notion chère à Gilbert Durand donne de l'importance à son rôle dans la mesure où il fait circuler, grâce aux moyens de communication, toutes sortes de thèmes et d'images, ceci à travers les différentes manifestations propres aux diverses cultures. En effet, l'Etat est une autorité qui promeut l'interaction entre les individus et les images. Les oeuvres cinématographiques incarnent ce processus; elles se reproduisent, se recopient partout dans le monde et, sous la protection de l'Etat, établissent une interaction entre les individus.

          Le déclin de l'Etat s'est aussi accompagné d'une perte de sens du politique, ce que Michel Maffesoli a appelé "la transfiguration du politique en une forme du domestique" (1992, p213). Selon l'auteur, la saturation de la logique identitaire - telle qu'elle a été mentionnée plus haut - entraînerait la saturation de l'ordre politique dès lors que si l'individu perd son rôle dans le contexte historique en tant que souverain de ses actes, il ne peut plus s'identifier aux choses stables, propres à l'essence du politique, ni à l'autorité du pouvoir, qui aujourd'hui trouve sa légitimité dans la volonté des gens. De plus, la politique, comme l'a très justement noté Patrick Tacussel, "(...) ne pose pas un véritable problème épistémologique au sociologue parce que son existence se dévoile immédiatement comme un rapport administré entre les hommes et les choses, et surtout entre les individus entre eux réunis autour d'une autorité qui dispose, selon l'admirable formule de Weber, du monopole légitime de l'exercice de la violence morale ou physique"(Tacussel, 1995, p45).

          L'expérience humaine du politique est donc d'ordre esthétique, spontanée; elle colle au quotidien, les agrégations entre individus étant ponctuelles. C'est sous cet angle qu'elle doit être apprise, en essayant de comprendre ses mécanismes de fonctionnement actuels s'agissant du cinéma.

          Ainsi, parmi les reflets immédiats de l'idée de postmodernité sur la politique culturelle, on peut trouver l'abandon de la représentation d'un processus culturel comme résultat d'une opposition entre les cultures dites érudite, de masse et populaire (cette division moderne tripartite ne rend plus compte de la complexité et de la diversité de la dynamique culturelle actuelle); l'adoption d'une pensée plus ouverte aux interactions entre les différents univers culturels et les diverses formes de sensibilité contemporaines; et aussi la recherche de formes culturelles qui privilégient l'affectuel (le sensible et le sensoriel), non pas par opposition à l'intellectuel ou à l'abstrait mais comme premier pas sur un parcours qui a la capacité ou non de devenir intellectuel.

          Ces changements ont fait que les structures typiques de l'Etat, celles traduisant une politique culturelle d'inspiration moderne, c'est-à-dire des structures fixes, peu ou pas du tout mobiles quant à leur propre organisation politique et juridique, ont du mal à survivre au "présentéisme" et à répondre culturellement à l'homme contemporain.

          La France, dont la politique entreprise par André Malraux est devenue un modèle, ses bienfaits ayant été reconnus mondialement, continue à accorder une place importante aux manifestations de soutien public envers les créateurs. Malgré les récentes polémiques sur l'exception culturelle, les attentes insatisfaites de la collectivité dans ce domaine et les dénonciations de l'épuisement de ses mécanismes, la politique culturelle continue de jouer un rôle important dans la société française. Le premier film qu'a réalisé Agnès Jaoui (Le Goût des autres, 2000) est un bon exemple pour illustrer la façon dont opèrent les rapports culturels entre les français. Le film, d'ailleurs 'très français', montre en effet la vie banale de six personnages issus de milieux intellectuels et sociaux différents et dont chacun se révèle apte à transformer ses goûts, même s'ils sont déjà marqués par son milieu. En outre, le film montre comment la culture est directement liée au plaisir plutôt qu'à l'accès à l'information. On peut donc dire que, en France, André Malraux et Jack Lang ont démocratisé les "grandes oeuvres de la culture", mais que cela ne suffit pas à réveiller l'intérêt des individus, auxquels il n'est pas possible d'imposer un goût.

          Ce nouveau contexte implique une nouvelle orientation pour la politique culturelle. Elle ne peut plus se présenter comme un instrument de développement des représentations symboliques des individus ou des communautés. Etant donné la non-croyance en la capacité de l'Etat à s'organiser de manière à résoudre les problèmes humains et l'affaiblissement des idées de délégation et de représentation, de nouvelles formes d'institution culturelle doivent être recherchées. C'est ce qui a fait que le cinéma est allé rechercher partout dans le monde d'autres partenariats pour sa production comme la télévision ou les maisons de productions différentes de ses Etats d'origine et en modifiant ses structures pour continuer à perpétuer son essence qui consiste à rassembler les gens dans une salle obscure pour voir des images en mouvement.

          Tous ces préambules visaient à mieux circonscrire notre point de vue: les mutations qui ont entraîné l'Etat dans la postmodernité, ainsi que la politique culturelle, en permettant une ré-organisation du cinéma partout mais qui continue à être un reflet du pays dont sa production est issue, soutenu donc par l'articulation entre l'organisation socioculturelle et l'imaginaire qui le soutiennent.

          Précisons que notre intérêt pour l'imaginaire se fonde sur les propositions de Gilbert Durand et de Michel Maffesoli. Nous l'envisageons ainsi comme un ensemble d'images et de relations entre elles produites par l'homme à partir, d'un côté, de formes universelles et invariantes - et dérivant de ses modes d'insertion physique et comportementale dans le monde - et, de l'autre, de formes relevant de contextes particuliers culturellement déterminés. Ces deux axes convergent vers un point commun où s'opèrent l'articulation entre l'un et l'autre et leur mutuelle détermination. L'importance que revêt l'étude de l'imaginaire pour la politique culturelle actuelle implique l'identification des unités d'images invariantes qui prédominent dans une réalité sociale donnée et leur articulation avec les unités d'images ayant été produites par les films de cette même réalité. L'intérêt pour l'Etat, comme cela a été dit, repose sur le rapport étroit qu'il a établi avec le cinéma depuis ses débuts, malgré les changements qu'a entraînés la postmodernité.

          Le cinéma, manifestation culturelle de caractère intemporel, a toujours été un moyen diversifié (grâce principalement à son langage et à son esthétique) de raconter des histoires. Des histoires sur le pays dont il est issu et visant à montrer la façon dont les gens y vivent et à le raconter sur le grand écran pour atteindre le plus grand nombre possible. C'est en ce sens que le cinéma, en raison de sa propre essence, de sa capacité à établir des liens très forts entre l'image et les hommes, peut aider à réfléchir sur ce qu'une socialité donnée pense d'elle-même.

(Cet article est une adaptation d'un chapitre de notre thèse de doctorat soutenu à Paris V en septembre de 2001.)

Cristiane Freitas Gutfreind

Notes:
1.- Entretien accordé à l'auteur en octobre 2000.

Références bibliographiques:

Durand, Gilbert, Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris, Dunod, 1992.

Feres De Freitas, Cristiane, Un cinéma possible: une ananlyse socio-anthropologique de la production cinématographique brésilienne dans la postmodernité, Thèse de Doctorat, Université René Descartes, Paris, 2001.

Lefebvre, Henri, Critique de la vie quotidienne, Paris, L'Arche Editeur, 1961, tome 2.

Lyotard, Jean-François, La condition postmodernne, Paris, Minuit, 1979.

Maffesoli, Michel, La transfiguration du politique, Paris, Grasset, 1992.

Maffesoli, Michel, La contemplation du monde, Paris, Grasset, 1993.

Maffesoli, Michel, L'ombre de Dionysos, Contribution à une sociologie de l'Orgie, Paris 1982. Rééd. Le Livre de poche, 1991.

Maffesoli, Michel, Le temps des tribus, Le déclin de l'individualisme dans les sociétés postmodernes, (Paris, 1988) Troisième édition éd. La table Ronde, Paris, 2000

Tacussel, Patrick, L'attraction sociale, Paris, Méridiens Klincksieck, 1995.

Vattimo, Gianni, La fin de la modernité, Paris, Seuil, 1987.


Notice:
Freitas Gutfreind, Cristiane. "Cinéma et Etat postmoderne: reflets dans la politique culturelle", Esprit critique, Été 2003, Vol.05, No.03, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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