Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Printemps 2003 - Vol.05, No.02
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Dossier thématique
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Compte rendu critique
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Amérique, après: imaginaire et imagination
Par Orazio Maria Valastro

Ouvrage:
Alessandro Portelli, America, dopo: immaginario e immaginazione, Roma, Donzelli, 2002, 165p.


Présentation de l'ouvrage: imaginer les histoires des femmes et des hommes

"...nous désignons le lieu du désastre, le temps du drame, l'évoquant par analogie, nous y référant ainsi de manière immédiate et aussitôt identifiable; mais également pour éviter d'y regarder dedans." (Introduzione, p.VIII)

          Pour que les événements du 11 septembre ne soient pas envisagés tout simplement comme une métonymie, un contenant employé pour désigner une réalité complexe et plurielle, éludant après tout son contenant, un réel qui ne se laisse pas examiner dans toute sa complexité, parce que dissimulé par le mythe de l'Amérique - lieu par excellence de l'imaginaire européen - l'auteur de cet ouvrage nous invite à remplacer un imaginaire stéréotypé et alimenté par les médias avec une manière plus appropriée et participée d'imaginer les histoires des femmes et des hommes. Alessandro Portelli, professeur d'histoire de littérature américaine à l'Université de 'La Sapienza' de Rome, s'intéresse particulièrement à l'histoire orale tout en donnant voix aux personnes communes, à leur mémoire et à leur imagination. Dans cet ouvrage, en conséquence, il essaie d'approfondir le discours de celles et ceux qui ont vécu cette tragédie pour comprendre comment elles-ils imaginent leur avenir après le 11 septembre.

          Dans la première partie de l'ouvrage (Parte I - L'impatto: 1. Note su un massacro) l'auteur nous présente ses réflexions sur le retentissement de la tragédie et ses possibles conséquences, analysant comment ces événements vont s'ancrer dans un débat toujours actualisé, celui des passions pour l'Amérique et du droit de critique aux Etats-Unis. La deuxième partie (Parte II - Diario, ottobre 2001) témoigne de cette quête permanente de mémoires et d'histoires de vie réalisée par le chercheur, nous pouvons ainsi apprécier les rencontres et les entretiens présentés et recueillis au cours d'un des nombreux déplacements effectués aux Etats-Unis. Dans la troisième partie (Parte III - Immaginazione e immaginario), nous avons une intéressante synthèse de l'analyse que l'auteur expose sur la tragédie du 11 septembre et sa relation avec l'imagination et l'imaginaire américain. La quatrième partie (Parte IV - Diario, primavera 2001, My Cities of Ruin) est un regard sur l'Amérique ouvrière et urbaine, les conséquences et les réactions produites par ces événements, commentées à partir des récits de travailleurs, professionnels et syndicalistes d'Ypsilanti (Michigan), Cincinnati et Youngstown (Ohio).

          Il s'agit d'un ouvrage conçu et développé conformément à l'approche qualitative suivie par l'auteur, l'histoire orale: des entretiens personnellement recueillis et des communiqués de presse, articles et témoignages diffusées dans Portside (service de presse sur internet du Democratic Correspondance Committee), des interventions des victimes ou des témoins des tragiques événements, qui vont nous rappeler comment "...l'histoire concerne des personnes et raconter l'histoire sans imaginer leurs histoires signifie la raconter de manière inexacte." (Introduzione, p.X). Une histoire orale démarrant dans une perspective du bas, pas une histoire du haut, ne méconnaît pas la complexité du monde tout en essayant de ne pas fonctionner par schèmes et modèles conçus à priori et souvent infirmés par le terrain de recherche. Nous sommes ainsi soudainement plongés dans l'allégorique et l'imaginaire: la guerre envisagée d'en haut, la guerre abstraite des bombes intelligentes, et celle du bas, l'expérience concrète des bombardements. Une approche du bas essaie de ne pas effacer l'identité des victimes et de rallier par ce "regard du bas" l'"histoire globale et l'histoire locale", "la vision d'ensemble de l'historien et la focalisation spécifique du narrateur". (Parte III Immaginazione e immaginario: 4. Così tanto dipende da un autobus rosso... Storia dall'alto, storia dal basso, bombardamenti come metafora, p.120-121).

Imaginaire et imagination

"L'imaginaire devient une réserve indienne de l'imagination, qui affirme et nie en même temps, qui produit des images pour nous dégrever d'imaginer." (Parte III - Immaginazione e immaginario: 1. La strage è già stata immaginata, p.91).

Fonction et valeur de l'imagination et de la mémoire

"...le lien entre l'imaginaire en tant que répertoire d'images, et l'imagination en tant qu'élaboration créative à partir des données de l'expérience et du possible, est très précaire." (Parte III - Immaginazione e immaginario: 1. La strage è già stata immaginata, p.90).

          Les événements du 11 septembre ont été représentés comme une tragédie inimaginable mais, en même temps, elle avait été imaginée dans toute une série d'oeuvres culturelles. C'est à partir de l'analyse de la mémoire collective des américains que l'auteur identifie des tentatives de conjurer une vulnérabilité ancestrale, l'incertitude originaire de leur propre histoire, derrière l'ostentation manifeste de l'invincibilité du pays. L'imaginaire a ainsi la fonction d'exonérer d'imaginer l'agression et la disparition expérimentée historiquement, mais la mémoire a toujours gardé et ranimé le trauma, dissimulant l'image du fortin assiégé par de nouveaux sauvages derrière l'exhibition de la puissance économique et militaire des Etats-Unis, puissance qui extériorise notamment une exigence de défense et de protection n'ayant pu exorciser complètement ses peurs centenaires.

La mort dans l'imaginaire collectif

"...l'image du massacre c'est: American lives, 'vies américaines', et donc implicitement de classe moyenne et de peau blanche." (Parte III - Immaginazione e immaginario: 2. Le torri e il transatlantico, p.105).

          Avec l'écroulement des Tours Jumelles a été détruit un symbole, lieu de travail et centre du pouvoir économique de la classe moyenne anglo-saxonne, une représentation qui semble effacer les victimes d'autres nationalités, résidant légalement ou pas dans le territoire américain. Une première image de la mort, c'est le massacre de masse et l'auteur nous rappelle que les familles de ces invisibles, les citoyens moins visibles et particulièrement les sans papier, ont fait l'objet de discours de ceux qui représentent la classe moyenne américaine uniquement pour légitimer l'exhortation à la riposte et l'appel à la guerre. Une deuxième image, c'est celle de la mort blanche, la mort qui descend du ciel sur des territoires considérés en photo: l'ennemi n'est plus directement approché et contrasté, la métaphore des interventions chirurgicales évince le nécessité d'avoir de la haine pour combattre l'ennemi et le besoin de nous purifier des blessures et du traumatisme du meurtre dissimulé des adversaires et des populations locales.

Une tragédie publique et des drames privés

"Ecouter les victimes, somme toute, c'est une condition pour éviter de continuer à en créer d'autres." (Parte III - Immaginazione e immaginario: 4. Così tanto dipende da un autobus rosso... Storia dall'alto, storia dal basso, bombardamenti come metafora, p.121).

          Les effets pervers de la vision d'en haut de la guerre, la logique des bombardements, ont dissimulé l'identité des personnes après les avoirs tuées. Des milliers de tragédies individuelles ont été également effacées par la tragédie publique du 11 septembre; c'est la tragédie publique qui a prévalu sur les drames individuels et les milliers d'émotions différentes. L'auteur souligne ainsi la nécessité de comprendre la relation qui subsiste entre ces drames privés et la tragédie publique, nous indiquant les égarements possibles d'un emploi de ces tragédies uniquement dans un contexte public: la réponse globale adressant les passions collectives dans l'essor de la guerre.

FICHE BIBLIOGRAPHIQUE DE L'OUVRAGE

America, dopo: immaginario e immaginazione / Alessandro Portelli: Donzelli Editore, (Interventi) - Roma, 2002, 165p. - ISBN 7989-679-2.

Présentation de l'auteur

Alessandro Portelli: professeur d'Histoire de Littérature américaine à l'Université "La Sapienza" de Rome; rédacteur dans le quotidien Il Manifesto, il intervient régulièrement pour commenter les événements contemporains de la société américaine. Expert d'histoire orale, il a reçu le Prix de Viareggio 2000 pour L'ordine è già stato eseguito, Roma, le fosse ardeatine, la memoria.

Sommaire

Introduzione.

Parte I - L'impatto: 1. Note su un massacro; 2. Per uno scambio di sguardi; 3. In difesa della democrazia occidentale; 4. Storie dette due volte: frammenti sull'antiamericanismo.

Parte II - Diario, ottobre 2001: 1. St. Louis, Missouri; 2. California; 3. Afghana d'America; 4. Palestinesi e afghani a Los Angeles; 5. Pershing Square.

Parte III - Immaginazione e immaginario: 1. La strage è già stata immaginata; 2. Le torri e il transatlantico; 3. Streghe; 4. Così tanto dipende da un autobus rosso... Storia dall'alto, storia dal basso, bombardamenti come metafora.

Parte IV - Diario, primavera 2001, My Cities of Ruin: 1. Ypsilanti. Il caffé del bombardiere; 2. Cincinnati. Il fronte del Reno; 3. Youngstown. La fabbrica del carcere; 4. Youngstown. La fabbrica dell'ospedale; 5. Youngstown. La fabbrica della memoria.

Abstract: "Difficile de comprendre l'Amérique. Encore plus difficile après les Twin Towers. Combien parmi nous, après le11 septembre, ont eu l'impression d'être pris entre deux feux: d'un coté l'histoire et la société des Etats-Unis représentés comme un cauchemar total, une liste de violences et d'injustices; de l'autre coté l'Amérique représentée comme une bannière de paix et de démocratie - comme si le Guatemala et Saint Domingue, le Chili et le Viet Nam, le Nicaragua et Panama n'avaient jamais existés. Est-il vraiment inévitable de supprimer des morceaux considérables d'histoire et de réalité? Est-il vraiment nécessaire d'inventer l'enfer pour s'opposer ou le paradis pour consentir? Soutenir que la CIA ou le FBI 'ne pouvaient pas ne pas savoir' sur l'attentat et ont donc laissé faire, ou même en ont été les auteurs, fait partie de la paranoïa 'anti américaine'. Dire qu'il suffit de les laisser répliquer en pleine autonomie, pour qu'ainsi ils résolvent le problème avec une technique chirurgicale, fait partie de la paranoïa 'pro américaine'. La vérité c'est que nous avons de la peine à penser l'Amérique comme un lieu peuplé de personnes vivantes. Les personnes tuées dans les Tours Jumelles vont ainsi risquer de s'évanouir derrière une statistique de morts et un prétexte pour en faire d'autres. L'Amérique est, pour la plupart d'entre nous, un lieu de l'imaginaire, pas un lieu réel; et les paranoïas se fondent sur un mixte d'admiration et de terreur: sur la méconnaissance et la désinformation d'un coté, sur le mythe de l'omnipotence et de l'omniscience de l'autre coté. Ces derniers sont en conséquence réciproquement fonctionnels: s'il y a le mythe, quelle nécessité y a-t-il de la connaissance? A quoi s'accrocher d'autre que le mythe s'il n'y a pas de connaissance? Et si nous essayons de remplacer cet imaginaire inventé et stéréotypé par une chose plus complexe? Si nous essayons de démarrer de la mémoire, des 'mémoires' de ce terrible 11 septembre? Si nous essayons - après autant d'exploitation médiatique des images - d'écouter les paroles de ceux qui portent la tragédie en (?) eux, pour voir comment ils vont imaginer leur futur? N'est-ce pas ainsi la manière plus authentique et participée pour essayer de regarder sans assujettissements et sans rancune, 'avec les yeux de l'Occident'?"

PUBLICATIONS DE L'AUTEUR

(2002) America, dopo: immaginario e immaginazione, Roma, Donzelli (Interventi), 165p.

(2002) Il Borgo e la borgata, i ragazzi di don Bosco e l'altra Roma del dopoguerra (a cura del Circolo Gianni Bosio, introduzione e coordinamento di Alessandro Portelli, presentazione di Francesco Motto), Roma, Donzelli, 148p.

(2000) Woody Guthrie e la cultura popolare americana, Roma, Sapere, [1990], 330p.

(2001) L'ordine è già stato eseguito, Roma, le fosse ardeatine, la memoria, Roma, Donzelli, [1999], 456p.

(1999) La formazione di una cultura nazionale, Roma, Carocci, 385p.

(1999) Libri parlanti, scritture afro atlantiche, Torino, Paravia (Sccriptoriu), 329p.

(1999) L'uccisione di Luigi Trastulli, Terni, Provincia di Terni, 62p.

(1997) "La politica della ricerca sul campo", in 'Il de Martino. Bollettino dell'Istituto Ernesto de Martino per la conoscenza critica e la presenza alternativa del mondo popolare e proletario', n.7, p.11-18.

(1994) La linea del colore: saggi sulla cultura afroamericana, Roma, Manifestolibri (Indagini), 241p.

(1994) The Text and the Voice: Writing, Speaking, and Democracy in American Literature, New York, Columbia University Press.

(1992) Il testo e la voce: oralità, letteratura e democrazia in America, Roma, Manifestolibri, 303p.

(1991) Taccuini americani, Roma, Manifestolibri (Indagini), 220p.

(1991) The Death of Luigi Trastulli and Others Stories: From and Meaning in Oral History, Albany State University of New York Press, 341p.

(1986) Social Change and New Modes of Expression (Alessandro Portelli, Rob Kroes, Peter Buttenhuis), Amsterdam, Free University Press, 222p.

(1985) Biografia di una ittà: storia e racconto Terni 1830-1985, Torino, Einaudi (Paperbacks - Microstorie), 369p.

(1983) Racconto: tra oralita e scrittura (a cura di Alessandro Portelli e Irene Loffredo), Milano Emme, 115p.

http://www.analisiqualitativa.com/Approccio_Biografico.htm

(1979) Saggi sulla cultura afro-americana (a cura di Alessandro Portelli), Roma, Bulzoni.

(1979) Il re nascosto: saggio su Washington Irving, Roma, Bulzoni, 319p.

(1978) Interpretazioni di Twain (a cura di Alessandro Portelli), Roma, Savelli.

(1977) Canzoni e poesie proletarie americane / Woody Guthrie, Joe Hill e altri (a cura di Alessandro Portelli), Roma, Savelli, 287p.

(1977) Bianchi e neri nella letteratura americana: la dialettica dell'identità, Bari, De Donato, 378p.

(1975) La canzone popolare in America: la rivoluzione musicale di Woody Guthrie, Bari, Dedalo.

(1969) Veleno di piombo sul muro: le canzoni del Black power (a cura di Alessandro Portelli), Bari, Laterza, 293p.

(1966) Folk songs (introduzione e versioni di Alessandro Portelli), Parma, Guanda, 182p.

LIENS

Les victimes du 11 septembre:

Site web de la CNN:
http://www.cnn.com/SPECIALS/2001/trade.center/victims/rescue.victims.html
http://www.cnn.com/SPECIALS/2001/trade.center/interactives.html;
Site web du Los Angeles Times

Site web du New York Times:
http://www.nytimes.com/pages/national/portraits/index.html.

Les victimes des bombardements en Afghanistan:

A dossier on Civilian Victims of United States Aerial Bombing of Afghanistan
http://www.cursos.org/stories/civilian_deaths.htm.

Entretiens avec Alessandro Portelli:

"Siamo tutti americani?", Enciclopedia Multimediale delle Scienze Filosofiche, Roma 24/06/2023
http://www.emsf.rai.it/grillo/trasmissioni.asp?d=923
"Pynchon, un anticipatore della cultura di rete", Media Mente, Roma 23/11/97

Articles:

"La cultura di Bush", La rivista del Manifesto, n.33, novembre 2002
"Il processo al novecento", La rivista del Manifesto, n.13, gennaio 2001

"Il nostro mondo visto da lontano", Islam
http://www.cestim.org/02islam_scontro-civilta.htm#2

Orazio Maria Valastro

Notice:
Valastro, Orazio Maria. "Amérique, après: imaginaire et imagination", Esprit critique, Printemps 2003, Vol.05, No.02, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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