Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Hiver 2003 - Vol.05, No.01
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Dossier thématique
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Article
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Le travail des professeurs, la pédagogie et l'interdisciplinarité
Par Jacques Hamel

Résumé:
L'article aborde les enjeux épistémologiques, institutionnels et pédagogiques que soulève l'interdisciplinarité. Après avoir passé au crible divers écrits sur le sujet, en particulier ceux d'Edgar Morin, l'auteur met de l'avant deux thèses: 1) l'interdisciplinarité s'affiche en définitive comme une philosophie de la connaissance et 2) la pédagogie recèle la formule grâce à laquelle l'interdisciplinarité trouve acte. Selon lui, les formules pédagogiques s'appuient sur un "bricolage intellectuel" semblable à celui évoqué par Claude Lévi-Strauss pour qualifier la pensée sauvage. Il revient donc aux spécialistes de l'éducation de prendre en charge l'analyse de la pédagogie pour exhiber les moyens et procédures aptes à mettre au diapason les diverses formes de connaissance (science, philosophie, art, etc.) en un savoir qui outrepasse la spécialisation.

Auteur:
Jacques Hamel, Département de sociologie, Université de Montréal.


          L'interdisciplinarité jouit d'une période de gloire. L'entreprise qui consiste à vouloir conjuguer diverses connaissances spécialisées a le vent en poupe. Mise de l'avant dans les différentes institutions de recherche et d'enseignement, elle semble promise au succès. L'interdisciplinarité est la formule qui permettrait de sortir de l'impasse de la spécialisation du savoir amenée par le développement de la science; or cette spécialisation fait obstacle aujourd'hui à la formation de connaissances propres à établir des ponts entre les objets, les domaines et les aspects de la "réalité" qu'elle s'évertue à réduire et à isoler sous couleur d'expliquer exactement les choses. L'interdisciplinarité se voit donc prônée dans le feu du procès intenté à la science en même temps qu'aux connaissances dites spécialisées, étendues à celles qui sont générées par la philosophie, les humanités et l'art.

          Les institutions d'enseignement, en particulier l'université, s'entêtent à vouloir décloisonner les savoirs et à les fusionner en une connaissance capable de rendre compte de la complexité des choses. Les programmes pédagogiques doivent aujourd'hui se plier à ce but et l'enseignement doit être sans retard orienté en conséquence. Les dirigeants du monde de l'éducation lancent des invites en ce sens, parfois sous la forme d'un ordre auquel tout professeur est tenu de se ranger.

          Or, la vogue de l'interdisciplinarité, traduite par une effervescence qui est sans conteste féconde et propice, ne parvient pas à dissimuler son caractère artificieux et les périls qu'elle fait courir à la formation des connaissances et à leur enseignement. Il est donc souhaitable d'envisager de tels écueils afin d'apporter les nuances qui manquent pour que l'interdisciplinarité trouve son droit et sa juste pertinence. La pédagogie, on le verra dans la suite de cet article, joue un rôle primordial à cet égard puisqu'on tentera de démontrer ici qu'elle se révèle en définitive le fer de lance de cette entreprise destinée à combiner les connaissances nées des spécialités du savoir.

L'interdisciplinarité, pivot des programmes d'enseignement

          L'interdisciplinarité est aujourd'hui le terme qui coiffe les divers programmes d'enseignement. L'enseignement primaire et secondaire s'aligne dans une certaine mesure sur cette voie, mais c'est principalement aux niveaux collégial et universitaire qu'on désire battre en brèche la spécialisation des connaissances et cela pour divers motifs.

          Selon Edgar Morin, l'un de ses plus ardents défenseurs, l'interdisciplinarité s'impose si l'on veut mettre fin au "découpage des disciplines qui rend incapable de saisir "ce qui est tissé ensemble", c'est-à-dire, selon le sens originel du terme, le complexe" (Morin, 1999a:14). La division du travail à l'oeuvre en science a eu pour effet, soutient-il, "d'apporter les inconvénients de la sur-spécialisation, du cloisonnement et du morcellement du savoir" (Ibid.: 15). La science, en décomposant la réalité, a enrôlé les connaissances nées dans ce sillage à des utilisations techniques hors de tout contrôle. L'interdisciplinarité permet donc de renouer avec le "complexe" qu'a gommé, à tort ou à raison, la science pour remplir sa vocation et avec la culture humaniste engloutie sous la spécialisation des connaissances exigée par l'application technique.

          L'interdisciplinarité a pour principe d'envisager la possibilité de "concevoir ce qui relie" les objets entre eux et le développement de l'aptitude à contextualiser et à globaliser les savoirs, cela devenant un "impératif d'éducation" (Ibid.: 27). Le but de l'interdisciplinarité n'est donc pas tant "d'ouvrir les frontières entre les disciplines que de transformer ce qui génère ces frontières: les principes organisateurs de la connaissance" (Ibid.:28). L'interdisciplinarité est, dans cette voie, le prélude à un mode d'organisation de la connaissance cher à Morin, la transdisciplinarité[1], qui fusionnerait instantanément les connaissances en un savoir capable d'embrasser le complexe sur lequel se basent les "entités naturelles sur lesquelles ont toujours porté les grandes interrogations humaines: le cosmos, la vie et, à la limite, l'être humain" (Ibid.: 39). En d'autres termes, la connaissance élaborée dans cette voie serait source de sécurité ontologique conçue par Anthony Giddens (1994: 98) comme "la confiance des êtres humains dans la continuité de leur propre identité et dans la constance des environnements sociaux et matériels".

          S'il paraît facile de donner un visage à l'interdisciplinarité, elle est toutefois compliquée à traduire sous la forme d'un programme d'enseignement. Edgar Morin s'y est risqué en acceptant de présider le Conseil scientifique chargé de faire des suggestions pour l'enseignement des connaissances dans les lycées français (voir Morin, 1999b: 7 et suiv.). L'interdisciplinarité semble chez lui prendre corps par la création de nouvelles divisions entre connaissances portant des noms imagés, marqués au coin de l'humanisme. Il suffit en effet de remplacer sciences naturelles par sciences de la Terre, sciences biologiques par sciences de la vie, sciences humaines par sciences de l'humanité (voir Morin, 1999a: 7-15) et de leur attribuer la volonté de jeter des ponts pour que l'interdisciplinarité trouve son droit et sa légitimité.

          Il est difficile de saisir sur cette base les vertus de ces nouvelles dénominations sur le plan des connaissances vers lesquelles elles ouvrent la voie, tout comme du reste sur celui de leur apprentissage. Comment en effet se formule et s'acquiert le savoir qui veut englober le "complexe cosmo-physico-bio-anthropo-social"? L'objet de l'interdisciplinarité et la pédagogie qu'elle sous-entend demeurent des points aveugles de la réforme du savoir proposée qui, d'ailleurs, est restée sans lendemain au grand dam de son auteur pressé d'en découdre avec la "sur-spécialisation" actuelle de la science[2] et les "inconvénients du cloisonnement et du morcellement du savoir".

L'interdisciplinarité et la science vont-elles de pair?

          Car la science est mise au premier chef au banc des accusés pour la raison qu'elle dénature la complexité de la réalité, la transforme en objet inerte et engendre des connaissances spécialisées entre lesquelles il est impossible de jeter des ponts. L'interdisciplinarité vient donc brutalement mettre en cause la science, du moins la conception qu'en donne l'épistémologie. Le philosophe des sciences Gilles-Gaston Granger propose en effet de la définir comme une connaissance par objet et par concepts, elle-même générée par un travail qui obéit à l'objectif de représenter toute chose associée à la "réalité" sous une forme distincte de sa nature propre. Sous ce chef, la science exige le découpage de la réalité en un objet dans le but de la "manipuler" pour en isoler les éléments et tenter de reproduire leur imbrication et leur fonctionnement grâce à une représentation expressément et uniquement façonnée par le moyen de symboles et de concepts, c'est-à-dire par des abstractions considérées comme des moyens pour représenter, non pas pour séparer ou disjoindre comme invite à penser ce terme pris au pied de la lettre.

          La science ainsi envisagée semble au premier abord prêter flanc aux reproches qui donnent son sens à l'interdisciplinarité. Or, sans vouloir faire preuve d'un scientisme de mauvais aloi, l'anathème jeté sur la science manque singulièrement de nuances. Il convient de les apporter à propos de la façon dont se conçoivent l'objet et le sens épistémologique que revêt la réduction dans son rayon.

          En premier lieu, en science, par objet il faut entendre la réduction de la "réalité" que l'une ou l'autre des sciences opère dans le but de traduire sa représentation au moyen de concepts. Cette réduction est nécessaire à la science et en est le premier pas. Sans conteste, réduire revêt un statut positif dans l'orbite de la science. La réduction se révèle le premier signe de la visée qui anime la science. Le terme "réduction" équivaut donc à découper la réalité et à la rendre provisoirement amorphe pour qu'elle s'ouvre de cette manière à la connaissance scientifique que Granger, en mots imagés, conçoit comme un "détour par le royaume infiniment ouvert des abstractions pour rendre plus pénétrant, plus puissant et plus précis le contact avec la réalité" (Granger 1986: 120).

          Le découpage n'a rien ici d'une volonté manifeste de disjoindre et de séparer dans les faits et, par conséquent, de briser définitivement "ce qui est tissé ensemble". Il obéit à une fonction épistémologique destinée à entrer en contact avec la réalité de façon précise et pénétrante en mettant entre parenthèses, pour ce faire, sa "complexité" puisque c'est là la condition même de la connaissance scientifique. Toute science, en déterminant son objet, qui lui devient propre, doit payer ce prix pour trouver son droit d'exister, sa pertinence et la fécondité de l'exercice qui porte son nom.

          Voilà la visée de la science, qui lui donne tout son sens et avalise la réduction qui marque d'une pierre blanche la connaissance qu'elle produit. Si toute science se reconnaît dans la même visée, chacune détermine et doit déterminer son objet sans que cela n'entraîne la fermeture à d'autres disciplines, ou la spécialisation à outrance.

          Dans cette perspective, on voit bien que la complexité, au sens où l'entend Edgar Morin, n'a guère de part ni de droit en science. Il en va de même pour la pensée complexe dont cet auteur se fait l'ardent défenseur. Elle enfreint ou, pour mieux dire, elle outrepasse la visée de la science qui, jusqu'à preuve du contraire, lui donne sa raison d'être en tant que connaissance fondamentale, c'est-à-dire une connaissance basée sur un objet qu'elle cerne et étudie à fond, et dans le cadre d'une discipline dont les adeptes peuvent se targuer d'en être les spécialistes. L'aptitude à contextualiser et à globaliser qui donne son lustre à la pensée complexe déroge de la visée même de la science, au but qui anime toute son entreprise, bref à l'orientation qu'elle donne à la connaissance. Il est par conséquent vain de lui intenter un procès pour ce motif puisque contextualiser et globaliser ne peuvent d'aucune façon figurer au programme de la science.

          Si la science réduit à des fins épistémologiques, c'est-à-dire pour être apte à formuler la connaissance qu'on attend d'elle, engendre-t-elle une attitude réductrice chez ses adeptes? Il est exagéré de penser que tout scientifique, sur la base de l'objet dont il est spécialiste, s'imagine tout connaître, y compris dans sa propre discipline. Il est plus raisonnable de penser que la spécialisation ne parvient pas à annuler la volonté de savoir. Au contraire, elle l'avive et l'amplifie d'emblée. Le spécialiste, pour justement cibler son objet, doit nécessairement chercher à en cerner les différentes facettes et celles-ci constituent souvent l'objet d'autres spécialités. Les sociologues de l'éducation ne peuvent se permettre d'ignorer les théories et travaux des sociologues de la culture et du langage, ainsi que ceux des psychologues, par exemple. Ils peuvent difficilement faire fi des progrès de la neurobiologie et du domaine des sciences cognitives. L'horizon s'élargit à d'autres disciplines, à la philosophie, voire aux domaines du savoir dit appliqué. La volonté de savoir devient donc une obligation pour qui se réclame d'être un spécialiste. Elle incite tout spécialiste à déborder le rayon des connaissances qui forgent son objet d'élection.

          Il reste que les connaissances spécialisées peuvent et doivent se coordonner dans le principe même de la science et au nom de quoi la cumulativité des connaissances trouve son sens et sa raison d'être dans l'orbite des disciplines. Le dialogue se noue naturellement entre chercheurs dont les objets voisinent de près ou de loin. Ils sont conduits à faire abstraction du découpage né dans leur sillage pour additionner leurs connaissances afin d'avoir l'un et l'autre un "contact plus précis et pénétrant" avec leurs objets respectifs. Le cumul des connaissances est donc de mise en science grâce à des échanges qu'on peut sans faute qualifier d'interdisciplinaires.

L'interdisciplinarité et l'application de la connaissance

          Les échanges interdisciplinaires n'ont rien de neuf en science. Comment alors expliquer la soudaine frénésie à vouloir fédérer les disciplines scientifiques et, plus largement, à enrôler par injonction toutes formes de savoir sous l'étendard de l'interdisciplinarité? Au risque de se voir accusé de manquer de nuance, sinon de prudence, on peut affirmer que l'interdisciplinarité est à l'ordre du jour depuis que des applications pratiques sont attendues de la science, de toutes les sciences, sinon de toute connaissance au nom de la société du savoir proclamée de nos jours à cor et à cris. En effet, la mondialisation de l'économie et l'autoroute de l'information vont à l'encontre de la connaissance qui réduit et isole, et à laquelle on associe abusivement la science, par exemple. Voilà le contexte qui a mis en exergue la "complexité" et la nécessité de " contextualiser et globaliser ". L'interdisciplinarité se fait vertu pour répondre à des problèmes de nature pratique et globale qui, assure-t-elle, entrave la spécialisation des connaissances scientifiques en vigueur dans leurs lieux de production, comme l'université.

          Les problèmes écologiques de la planète, la circulation rapide de l'information et des capitaux à l'échelle internationale, l'épidémie du VIH responsable du sida, entre autres, requièrent d'autorité le concert des disciplines scientifiques et l'aptitude à contextualiser et à globaliser que Edgar Morin associe à juste titre à la pensée complexe qu'illustre dans son esprit l'interdisciplinarité.

          L'application ainsi conçue est entièrement valide et ne saurait être mise en cause. Si le concert des sciences fait partie de la raison d'être de la science, force est d'admettre que c'est bel et bien ce contexte qui l'a fait aboutir. Il est responsable de la nécessité de jeter des ponts entre sciences, de coordonner les connaissances qu'elles produisent, de s'ouvrir à la pensée philosophique et pratique.

          Toutefois, l'application qui rend justice à l'interdisciplinarité soulève des questions. Sans en renier la nécessité, doit-elle être la raison voire l'unique motif qui commande aujourd'hui la production des connaissances scientifiques et autres? Faut-il admettre que tout savoir doit être d'office canalisé vers l'application? Que l'université, sinon l'école, soit orientée dans sa direction, point final? Que des injonctions de tous ordres sont lancées afin que toute connaissance se plie immédiatement à la résolution de problèmes pratiques? La spécialisation doit-elle conserver son droit d'exister à l'université, par exemple? L'interdisciplinarité, alignée strictement sur l'application, risque de faire préjudice à la science, certes, mais également à la nécessaire spécialisation des autres domaines du savoir: humanités, philosophie et art.

          Résoudre des problèmes sur le plan pratique commande en effet une action et celle-ci rappelle que la société, par exemple, est en réalité complexe et marquée par l'interdépendance de ce qui la constitue. Elle oblige ainsi à la levée des réductions opérées par les disciplines scientifiques, telle la sociologie, dans le but d'en obtenir un contact "plus pénétrant, plus puissant, plus précis" sous forme d'un objet d'étude. C'est bel et bien dans cette perspective que les disciplines et leurs spécialités trahissent leurs limites; or celles-ci ne portent aucun préjudice aux réductions nécessaires à leur vocation première. L'annulation de ces réductions engendre alors un contact qui ne relève plus d'une visée de connaissance, mais d'une action.

          L'application devient alors nécessité et le dialogue entre disciplines scientifiques indispensable. Les problèmes soudain criants des jeunes, de la pauvreté, de la pollution, de l'exclusion, appellent ce dialogue et réclament des forums où chaque discipline, par la voix de ses artisans, doit offrir son apport en vue de les endiguer. Pour ce faire, elle doit ouvrir son terrain d'exercice et la connaissance spécialisée dont elle se réclame à la volonté manifeste de jeter des ponts entre disciplines.

          Notons cependant que ce dialogue ne saurait précéder la formulation des connaissances spécialisées, propres à chaque discipline, ni le fait que leur application éventuelle peut ou doit présider à la formation de l'entreprise en vertu de laquelle la science prend corps.

          Or, même pour résoudre des problèmes pratiques, l'interdisciplinarité connaît des ratés. Le dialogue entre disciplines est loin d'être facile à établir dans ce but. Le fonctionnement chaotique et la pauvreté des résultats de recherche des équipes interdisciplinaires en témoignent sans conteste. Le concert des disciplines scientifiques exige la levée, voulue et provisoire, des objets et des théories spécialisés. Il oblige du même coup à traduire les connaissances acquises dans chaque domaine dans la veine des autres disciplines qui entrent en ligne de compte. Il apparaît vite que les spécialistes des disciplines sont, pour remplir cet office, de piètres candidats. L'interdisciplinarité réclame les services de traduction ou de médiation apparentés à des enjeux intellectuels qui débordent largement la science. À mon sens, ils sont d'ordre philosophique. En effet, ils ont trait au sens que revêt la connaissance, toute connaissance, considérée comme expérience de l'espèce humaine alignée sur sa volonté de savoir et sa survie biologique. Sans vouloir insister sur ce point, il apparaît que l'interdisciplinarité relève en définitive de la philosophie de la connaissance propre à "décrire et à faire comprendre le sens, la portée et les procédures de l'effort de rationalisation qu'exprime le mouvement de la science" (Granger, 1986: 114) et celui des autres formes de la connaissance.

          La philosophie se démarque de la science par le fait qu'elle n'est pas une connaissance par objet, née de la réduction de la réalité, mais une démarche interprétative capable d'éclairer le sens d'une entreprise comme la science où dominent les savoirs spécialisés. Sous son égide et dans cette optique, le dialogue entre sciences peut être harmonieusement créé tout comme, du reste, peuvent s'établir des liens sur la lancée entre la science et la philosophie, l'art, voire la religion.

          L'interdisciplinarité révèle ainsi sa véritable nature, philosophique. Elle est du ressort des philosophes qui trouvent à cette occasion leur juste place aux côtés des scientifiques forcés d'accepter sans rechigner leur présence et de reconnaître leur contribution en respectant la partition des savoirs et des compétences. Les scientifiques qui s'improvisent philosophes, à l'instar d'Albert Jacquard (1997), font souvent piètre figure sur ce terrain parce que, justement, la philosophie n'est pas leur domaine d'élection. Les théories scientifiques qui, sous la férule de leurs auteurs, se tournent vers la philosophie sont, de la même façon, dénoncées comme dérives de l'argumentation scientifique (Terré, 1998) ou vertiges de l'analogie (Bouveresse, 1999).

          L'esprit sarcastique d'Alan Sokal et Jean Bricmont (1997) n'a pas eu de peine à démontrer que les domaines interdisciplinaires, à l'instar des Cultural Studies, ou les oeuvres comme celle de Jean Baudrillard (1992), qui se targuent d'allier théorie du chaos et philosophie sociale en faisant mine d'érudition, se révèlent vite des impostures intellectuelles aux yeux du moindre spécialiste desdits domaines.

Les enjeux de l'interdisciplinarité dans la recherche et l'enseignement

          Les institutions du savoir sont exposées aux avatars de ces entreprises qui semblent riches en promesses au premier abord. Les gestionnaires des universités les voient comme des mines d'or pour, sous leur gouverne, donner le pas à l'interdisciplinarité dans leur institution. L'interdisciplinarité soulève ainsi des enjeux institutionnels fondamentaux qu'il est nécessaire d'examiner plus à fond.

          L'interdisciplinarité a également la cote dans le domaine de la recherche. En vue de fonder des instituts ou des centres de recherche d'envergure, les universités incitent, sinon obligent les chercheurs à tisser des alliances ou à établir des partenariats susceptibles d'additionner les subsides gouvernementaux qui, à l'échelle des disciplines, se sont rétrécis comme une peau de chagrin. Les alliances de recherche conduisent des disciplines qui, à première vue, ne semblent pas près de faire bon ménage. L'étude de la délinquance juvénile met ainsi à contribution la sociologie et l'épidémiologie, la génétique même, dans des forums de recherche qui drainent vers eux l'énergie de dizaines de chercheurs ainsi que des sommes d'argent astronomiques. L'interdisciplinarité a beau jeu dans cette voie.

          L'heure des bilans viendra bientôt et c'est à ce moment qu'il faudra bien établir en des colonnes distinctes les profits et pertes comparés à la connaissance produite et à la performance des entreprises de recherche nées dans le sillage de l'interdisciplinarité. Les premières évaluations laissent passablement songeur. Les sommes d'argent en apparence somptuaires sont en réalité minimes à l'échelle de chaque chercheur. En effet, la division des fonds obtenus par le nombre de chercheurs associés de gré ou de force à ces entreprises ne tarde pas à révéler le mirage qu'elles font planer au chapitre des ressources financières dont elles devaient bénéficier pour produire des connaissances sous le signe de la synergie des énergies et des moyens. Le montant qui leur est individuellement dévolu accuse une baisse par rapport aux crédits ordinairement reçus.

          Les résultats sont souvent décevants par rapport aux ressources budgétaires accordées. Ils ne parviennent pas non plus à masquer les barrières entre les connaissances que les forums de recherche devaient en principe abolir. En effet, les étiquettes des disciplines en présence affleurent au terme de l'exercice qui devait pourtant les faire disparaître.

          Leur présence trahit les tiraillements entre disciplines nés de la mise en oeuvre de ces forums de recherche. Ainsi la sociologie jumelée avec l'épidémiologie pour rendre raison du décrochage scolaire avec l'éclat des sciences de laboratoire peut en arriver à reléguer dans l'ombre toute tentative d'expliquer des relations sociales impossibles à observer sous la loupe expérimentale. La sociologie paie ainsi le prix du lustre scientifique qu'elle cherche à acquérir par l'entremise de l'interdisciplinarité et fait les frais de ce qui ressemble à un marché de dupes.

          La collaboration aux laboratoires de recherche sous le sceau de l'interdisciplinarité n'a rien de facile quand il s'agit de mettre au diapason des chercheurs de toutes obédiences qui ont naturellement tendance à concevoir l'objet de recherche qui les réunit sous la loupe de leur discipline de prédilection et dans la ligne de l'objet et des concepts qui leur donnent corps.

          Il est toutefois trop tôt pour tirer des conclusions de cette nouvelle formule de financement de projets de recherche et des résultats atteints dans cette voie. Les changements qu'a depuis des années insufflés l'interdisciplinarité à l'enseignement peuvent être toutefois passés au crible.

Survol rapide des expériences de programmes d'enseignement sous le signe de l'interdisciplinarité

          L'enseignement doit être également en harmonie avec l'interdisciplinarité afin de battre en brèche la spécialisation à l'honneur depuis la réforme de l'université proposée par Humboldt en 1809 et au nom de laquelle fleurissent les départements propres à chaque science et, de ce fait, à chaque spécialisation du savoir. La culture scientifique s'est, depuis, écartée des humanités, de la philosophie et de l'art pour en venir, par son formidable développement, à les placer sous son joug. Il faut donc inventer des programmes éducatifs capables de relier les connaissances spécialisées dans le but de donner une vision globale à l'image de la phrase de Pascal: "La connaissance du tout a besoin de celle des parties qui ont besoin de celle du tout." La pensée du philosophe trouverait acte dans les leçons de connexion grâce auxquelles, selon Edgar Morin, on enseignerait que "l'homme est à la fois totalement biologique et totalement culturel, que le cerveau étudié en biologie et l'esprit étudié en psychologie sont les deux faces d'une même réalité, et soulignant que l'émergence de l'esprit suppose le langage et la culture" (Morin, 1999a: 88).

          Souscrire à cette orientation sous-tend dans les foyers d'éducation "le recours, non pas à des enseignements séparés, mais à une pédagogie conjointe groupant philosophe, psychologue, sociologue, historien, écrivain et ceci se conjuguerait avec une initiation à la lucidité" (Morin, 1999a: 56). La formule et les moyens pour parvenir à cette fin restent toutefois les points aveugles de cette pédagogie ouverte dans son principe à l'interdisciplinarité[3]. Des expériences ont été tentées dans ce sens et servent de laboratoire d'initiation à la lucidité.

          Voilà près de trente ans, l'Université de Montréal a résolu de créer la faculté des Arts et des Sciences dans le but de nouer des liens entre les sciences, les sciences sociales, les humanités et les arts. L'entreprise se réclamait des universités américaines où, sous l'égide des Arts and Sciences, les étudiants sont conviés à se frotter aux sciences et à la philosophie, à la littérature et aux humanités dans l'espoir d'en faire des esprits meublés par un ensemble de connaissances dignes de ce nom. La formation acquise dans ce cadre se teinte de culture humaniste nécessaire à celui ou celle qui, selon Abraham Moles, se décrit en ces termes éloquents: "pour faire un homme cultivé, enseignons-lui quelques grands concepts, ces concepts carrefours: principes de géométrie, éléments du latin et de langues étrangères, grandes idées philosophiques; il disposera d'un fil d'Ariane, d'une trajectoire, d'un mode d'emploi, qui lui permettront d'appréhender les événements, de les jauger, de les mesurer, de les coordonner dans son esprit par rapport aux autres, de leur trouver une place toute préparée dans son cerveau" (Moles, cité par Rioux, 1969: 96).

          À l'initiative de la dite faculté, les programmes des diverses disciplines ont d'abord incité, puis contraint les étudiants à s'inscrire à des blocs de cours d'autres disciplines, sans grand succès. Ce choix demeurant libre, aucun étudiant ne le faisait de son plein gré. L'obligation qui leur est désormais faite en ce sens conduit les étudiants à suivre ces cours durant la dernière session de leur baccalauréat, session d'ailleurs considérée par eux comme une épreuve propre à diminuer la moyenne cumulative de leurs notes. Les relevés officiels des étudiants témoignent effectivement d'une baisse des notes consécutive à un manque d'intérêt ou de compétence en des disciplines dont ils sont peu informés[4].

          L'évaluation de cette formule destinée à orienter l'enseignement vers l'interdisciplinarité montre que les étudiants sont loin de se familiariser avec la "complexité" et l'"aptitude à globaliser et contextualiser". L'incursion dans un autre domaine du savoir à laquelle ils ont été contraints leur a prouvé noir sur blanc qu'ils sont les spécialistes d'une discipline et que, pour cette raison, en maîtriser une autre se révèle une rude épreuve. Les leçons de philosophie ont certes leur intérêt pour les étudiants de sociologie qui, toutefois, ne tardent pas à découvrir les limites de leur culture philosophique et de leur motivation à l'acquérirqui se limite à vouloir donner du relief à leur discipline d'élection, la sociologie.

          Ils sont d'autre part nombreux les étudiants qui n'ont pas spécialement goûté l'enseignement de la philosophie, entre autres parce que la pédagogie mise de l'avant n'était pas particulièrement adaptée à un auditoire de néophytes.

Les enjeux pédagogiques de l'interdisciplinarité pris sur le vif

          Car l'interdisciplinarité n'est pas sans incidence sur la pédagogie. Elle soulève des enjeux de cet ordre qu'on aurait tort de ne pas envisager. Toute personne, titulaire comme moi de cours expressément destinés à un large public, toutes disciplines confondues, peut les mesurer sur le vif.

          Sous le titre "Culture, connaissance et idéologie", il est certes stimulant d'aborder, dans ce cadre, l'anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss, la grammaire générative du linguiste américain Noam Chomsky, l'interaction communicationnelle proposée en philosophie par Jürgen Habermas, sans oublier la théorie des champs de Pierre Bourdieu, pour ne pas être en reste avec sa propre discipline. En revanche, il est bien difficile pour ce professeur d'admettre que ses exposés sur de tels sujets seront brefs, sinon superficiels! Ils décevront assurément l'étudiante en anthropologie qui, levant la main au fond de l'amphithéâtre, vous reproche de ne pas suffisamment distinguer le structuralisme de la méthode structurale, alors qu'une large partie de l'auditoire voit mal la pertinence de cette distinction et pour qui, de surcroît, le nom de Lévi-Strauss correspond à celui d'une marque de jeans. L'étudiant en philosophie qui s'est déjà frotté aux écrits de Jürgen Habermas à qui il voue une profonde admiration se résout à vous signaler sans méchanceté aucune qu'il n'a pas réellement appris quelque chose de neuf, tout en vous félicitant pour votre exposé évidemment destiné à d'autres que lui. Il soulignera au passage certaines erreurs d'interprétation et certaines références erronées. L'étudiant en question a habituellement le tact de vous adresser ces remarques ou ces reproches durant la pause ou à la fin du cours. Quel effroi, pour ce professeur, de penser qu'ils auraient pu être soulevés à haute voix devant une légion de témoins...

          Le titulaire d'un tel cours est obligé de reconnaître les limites de sa culture interdisciplinaire, ce qui ne va pas de soi, désireux qu'il est de souscrire au mot d'ordre de son institution de mettre l'interdisciplinarité à son programme d'enseignement. Il est également forcé d'admettre que les ponts qu'il jette entre diverses disciplines s'élaborent en fonction de leur supposée contribution à la définition théorique et méthodologique de la culture ou de l'idéologie pour ne citer que ces deux exemples. Cela en s'insérant dans l'orbite de sa propre discipline, en l'occurrence ici la sociologie.

          Sans ce point d'attache, la pédagogie placée sous l'autorité envahissante de l'interdisciplinarité peut rapidement conduire, à mon sens, à la dilution des contenus de cours. La vogue de l'interdisciplinarité masque donc des débats qu'il faudrait avoir le courage d'engager dans l'intention d'établir des liens entre disciplines. L'invitation à s'initier à diverses disciplines s'alignera sur des buts et des motifs qui auront l'éclat et la légitimité de la formation diversifiée à laquelle on associe l'interdisciplinarité. Il restera néanmoins à traduire cette formation diversifiée en une démarche d'apprentissage qui n'ait pas l'allure de la mosaïque ou de l'éparpillement.

La pédagogie comme vecteur d'interdisciplinarité

          La pédagogie peut faire les frais de l'interdisciplinarité quand elle répond au seul but gestionnaire de réduire le nombre de cours ou de séminaires qui, par un jeu de bascule, attirent un large public de diverses disciplines. L'interdisciplinarité revêt évidemment d'autres formes à l'université et se plie à de plus nobles objectifs pédagogiques.

          Nombre de professeurs s'ingénient à concevoir les formules pédagogiques indispensables au dialogue fécond entre sciences, entre connaissance scientifique et connaissance philosophique, entre celle-ci et la pensée qu'engendrent l'art, la politique, le journalisme et le cyberespace. Le bricolage pédagogique auquel ils s'adonnent, par essais et erreurs, revêt une richesse souvent ignorée ou passée sous silence dans les écrits sur l'interdisciplinarité. Or, me semble-t-il, il témoigne de la philosophie de la connaissance à laquelle correspond dans mon esprit l'interdisciplinarité. Il représente, à juste titre, le dialogue entre connaissances que réclame l'exposé de " problèmes pratiques " en classe ou dans les autres tribunes autour desquelles gravitent les scientifiques, les philosophes, les intellectuels, les politiques, les journalistes et les gestionnaires.

          Ce bricolage, on l'a compris, se révèle la mine d'or de l'interdisciplinarité. Il en constitue la clef de voûte. L'interdisciplinarité s'affiche donc comme une philosophie de l'éducation dont il faudrait circonscrire le visage en exhibant et en systématisant le bricolage dont font foi les formules pédagogiques mises au point dans le but de faire communiquer les connaissances. Elles lui donnent acte et en constituent le terrain d'exercice par excellence. Voilà pourquoi il faudrait sonder les initiatives et formules pédagogiques surgies de l'esprit des pédagogues pour fondre des connaissances au nom d'un problème pratique auquel on veut remédier ou d'un thème qu'on refuse d'envisager en tant qu'objet propre à la science ou à l'une ou l'autre de ses disciplines. Le mot thème signifie ici que ce qui est placé sous son égide n'est pas considéré comme objet, mais comme sujet ouvert à la réflexion qui déborde largement la science, par exemple. Sur cette base, il importe de porter au jour les ressorts de la pédagogie pour découvrir les lignes directrices de la pensée en raison de laquelle prend corps le dialogue des connaissances. Le vocabulaire utilisé, les passerelles qu'il jette et les exemples auxquels on recourt pour l'illustrer devraient être passés au crible afin de découvrir à l'oeuvre dans la pédagogie la traduction ou la médiation sur laquelle s'appuie l'interdisciplinarité.

          Sur la lancée - l'expression le trahissant - l'interdisciplinarité s'aligne en définitive sur le "bricolage intellectuel" évoqué par Claude Lévis-Strauss pour qualifier la pensée mythique comme la forme de pensée qui recourt principalement au raisonnement analogique et qui construit sur cette base des ensembles ordonnés en mobilisant toutes les homologies repérables dans les divers domaines de l'expérience sensible. Les formules pédagogiques en sont l'antichambre, sinon la porte d'entrée.

          Les professeurs chargés d'établir des liens entre des connaissances de divers ordres orchestrent à cette fin une pédagogie qui recèle en elle la formule grâce à laquelle l'interdisciplinarité trouve acte. En effet, à coups d'analogie et de rapprochements, ils parviennent à introduire un fil d'Ariane entre des connaissances sans rapport évident pour ainsi les gratifier de la capacité d'éclairer la "complexité" en recomposant la "réalité" sous sa forme de totalité et dans cette voie être en mesure de répondre aux "grandes questions humaines: le cosmos, la vie et l'être humain". Ils puisent dans leur répertoire de connaissances, plus ou moins étendu, et, avec imagination, par dosage relatif, les enchaînent en outrepassant la visée, le découpage et l'objet que renferme chacune d'entre elles. Les professeurs doivent être aptes à formuler le plus large savoir possible sans le subordonner aux objets et aux concepts des spécialistes.

          La pédagogie n'est donc pas sans analogie avec le bricolage sur le plan pratique. Le bricoleur est en effet "apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées; mais, à la différence de l'ingénieur, il ne subordonne pas chacune d'elles à l'obtention de matières premières et d'outils conçus et procurés à la mesure de son projet" (Lévi-Strauss, 1962: 31). Elle correspond dans cette voie au bricolage intellectuel à l'oeuvre dans la pensée mythique que cible le chef de l'anthropologie structurale. Selon Lévi-Strauss, la réflexion mythique se situe à mi-chemin entre "les images concrètes et les concepts" et, de ce fait, fait office d'intermédiaire que décrit éloquemment l'exemple du bricoleur. Si on le regarde à l'oeuvre, "excité par son projet, sa première démarche pratique est pourtant rétrospective: il doit se retourner vers un ensemble déjà constitué, formé d'outils et de matériaux; en faire, ou en refaire, l'inventaire; enfin et surtout, engager avec lui une sorte de dialogue, pour répertorier, avant de choisir entre elles, les réponses possibles que l'ensemble peut offrir au problème qu'il lui pose". Sur cette base, il faut reconnaître "que tous ces objets hétéroclites qui constituent son trésor, il les interroge pour comprendre ce que chacun d'eux pourrait "signifier", contribuant ainsi à définir un ensemble à réaliser, mais qui ne différera finalement de l'ensemble instrumental que par la disposition interne de ses parties" (Ibid.: 32).

          Il ne saurait y avoir meilleure illustration de la pédagogie ouverte dans son principe à l'interdisciplinarité. Celle-ci, on l'a vu, revêt une nature philosophique et correspond en définitive à une philosophie de l'éducation propre à percer à jour les formules pédagogiques en vertu desquelles s'enchaînent les connaissances. À l'instar de la philosophie de la connaissance, elle doit chercher à décrire et à comprendre le sens, la portée et les procédures qui donnent corps à l'interdisciplinarité en ciblant la pédagogie qui en est le principal vecteur.

          Il revient donc, par un étrange paradoxe, aux spécialistes de l'éducation de prendre en charge l'analyse de la pédagogie qui renferme sur le plan pratique la formule apte à mettre au diapason les diverses formes de la connaissance en un savoir qui outrepasse la spécialisation. L'"impératif d'éducation" auquel on associe l'interdisciplinarité serait sous leur gouverne une véritable "initiation à la lucidité" pour en trouver la clef.

Jacques Hamel

Notes:
1.- Selon Morin, "inter-disciplinarité peut vouloir dire échange et coopération, ce qui fait que l'inter-disciplinarité peut devenir quelque chose d'organique. La poly-disciplinarité constitue une association de disciplines en vertu d'un projet ou d'un objet qui leur est commun; tantôt les disciplines y sont appelées comme techniciennes spécialistes pour résoudre tel ou tel problème, tantôt au contraire elles sont en profonde interaction pour essayer de concevoir cet objet et ce projet. En ce qui concerne la trans-disciplinarité, il s'agit souvent de schèmes cognitifs qui peuvent traverser les disciplines, parfois avec une virulence telle qu'elle les met en transe" (Morin, 1999a: 136)
2.- Voir Morin 2001: 195 où la science y est conçue comme une entreprise strictement vouée "à connaître pour connaître" sous le signe de la disjonction.
3.- Morin souligne toutefois que son propos n'aborde pas les questions pédagogiques et se limite à noterpar exemple que "des leçons de connexion bio-anthropologiques devront être fournies, indiquant que l'homme est à la fois totalement biologique et totalement culturel, que le cerveau en biologie et l'esprit étudié en psychologie sont les deux faces d'une même réalité, et soulignant que l'émergence de l'esprit suppose le langage et la culture" (Morin, 1999a: 88). Il reste à savoir comment s'élaboreront pratiquement ces leçons de connexion sur le plan pédagogique et en termes de "méthode".
4.- Cette formule interdisciplinaire reste malgré tout en application en fonction de motifs qui ne sont nullement d'ordre pédagogique. La multiplication des enseignements de cet ordre correspond à bien des égards aux mesures d'économie mises de l'avant par les gestionnaires des universités pour contrer les effets des fortes réductions du financement public dont elles ont été l'objet.

Références bibliographiques:

Baudrillard, Jean (1992) L'illusion de la fin. Paris: Galilée.

Bouveresse, Jacques (1999) Prodiges et vertiges de l'analogie. Paris: Liber.

Giddens, Anthony (1994) Les conséquences de la modernité. Paris: L'Harmattan.

Granger, Gilles-Gaston (1986) "Pour une épistémologie du travail scientifique", dans Jean Hamburger (dir.), La philosophie des sciences aujourd'hui. Paris: Gauthier-Villars: 111-122.

Habermas, Jürgen (1992) "Citoyenneté et identité nationale. Réflexions sur l'avenir de l'Europe", dans Jacques Lenoble et Nicole Dewandre (dir.), L'Europe au soir du siècle. Paris: Éditions Esprit: 39-45.

Habermas, Jürgen (1998) L'intégration républicaine. Paris: Fayard.

Jacquard, Albert (1997) Petite philosophie à l'usage des non-philosophes. Paris: Calmann-Lévy.

Lévi-Strauss, Claude (1962) La pensée sauvage. Paris: Plon.

Morin, Edgar (1999a) La tête bien faite. Repenser la réforme, réformer la pensée. Paris: Seuil.

Morin, Edgar (1999b) "Introduction", dans Relier les connaissances. Paris: Seuil: 7-15.

Morin, Edgar (2000), Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur. Paris: Seuil.

Morin, Edgar (2001), "Le monde comme notion sociologique", dans Daniel Mercure (dir.), Une société-monde? Les dynamiques sociales de la mondialisation, Québec, Presses de l'Université Laval-De Boeck Université: 191-197.

Rioux, Marcel (1969) "L'éducation artistique et la société post-industrielle", Socialisme 69, no 19, 1969: 93-101.

Sokal Alan et Jean Bricmont (1997) Impostures intellectuelles. Paris: Odile Jacob.

Terré, Dominique (1998) Les dérives de l'argumentation scientifique. Paris: Presses Universitaires de France.


Notice:
Hamel, Jacques. "Le travail des professeurs, la pédagogie et l'interdisciplinarité", Esprit critique, Hiver 2003, Vol.05, No.01, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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