Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.04 No.04 - Avril 2002
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Numéro thématique - Printemps 2002
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L'intervention sociologique
Sous la direction de Orazio Maria Valastro
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Compte rendu critique
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Se raconter: l'autobiographie comme thérapeutique du soi
Par Orazio Maria Valastro

Ouvrage:
Demetrio Duccio, "Raccontarsi: l'autobiografia come cura di sé", Milano, Raffaelo Cortina Editore, 2000, [1e ed. 1996], p. 229.

Résumé:
Présentation du texte de Duccio Demetrio concernant l'approche biographique. Tout travail individuel ou accompagné dans la création de tranches de mémoire, est aussi un projet éducatif et de formation personnelle et sociale. Le travail autobiographique nous conduit à reconsidérer notre vécu en passant du registre de la pensée autobiographique au registre du travail autobiographique. Tout en expérimentant un temps et une histoire sociale en mouvement dans un parcours apparemment en retrait de ce que nous allons devenir, le travail autobiographique s'aperçoit comme l'expérience d'une autoanalyse de notre vécu. L'autobiographie comme thérapeutique du soi, une fonction reconnue et considérée depuis longtemps, n'est pourtant pas toujours envisageable n'étant pas une thérapeutique sans contraintes opérantes au niveau de notre histoire sociale.

L'autobiographie: entre éducation et formation.

     Tout travail individuel ou accompagné dans la création de tranches de mémoire, est aussi un projet éducatif, de formation personnelle et sociale. J'ai examiné ainsi l'invitation de l'auteur à considérer l'autobiographie comme un moyen et en même temps une ressource personnelle, pour entreprendre un travail sur soi-même capable d'apporter des issues profitables aux problématiques de l'existence humaine, un travail pouvant se caractériser comme moment étayant des personnalités en développement. Les histoires de vie ont, en conséquence, des aboutissements pragmatiques et fonctionnels dans le domaine de l'éducation et de la formation ainsi que dans les pratiques professionnelles.

     L'intention de la pédagogie était, dans le sens originaire du concept, celle de défendre et protéger le développement social de l'individu, impliqué et plongé pleinement dans les processus communautaires. La pédagogie, dans le sillon de cette acception, peut utiliser aujourd'hui l'histoire de vie comme un véritable instrument pour éduquer, ouvrir des perspectives nouvelles ou insolites sur soi-même et sur les autres, et former, réactualiser la situation de l'individu par rapport à soi-même et aux autres. La pensée autobiographique, c'est pour l'auteur un événement courageux et simultanément un moment de soulagement par le bien-être qu'elle procure; il est nécessaire pourtant d'examiner les conditions de sa praticabilité et les procédures à suivre pour raconter sa vie et se raconter aux autres.

     L'autobiographie, elle, est envisagée comme une méthode en éducation, dans la formation des individus, par ses capacités à examiner et ordonner notre vécu individuel et social avec des procédures pouvant ainsi solliciter et renforcer l'identité des individus. L'approche biographique en sociologie nous a permis, d'autre part, de recueillir et produire des connaissances concernant des phénomènes sociaux et des expériences sociales, nous aidant à comprendre la phénoménologie de l'expérience humaine: comment les individus évoquent leur expérience et leurs pratiques sociales tandis qu'ils réfléchissent sur eux-mêmes et leur vécu, comment s'organisent dans leurs histoires de vie les processus mentaux, émotionnels et sociaux mis en jeu.

Le travail autobiographique: une pratique d'auto-réflexivité appliquée à notre vie.

     Reconsidérer notre vécu avec une activité structurée et lucide, tout en donnant une signification actualisée de notre vie, établit une transition du registre de la pensée autobiographique au registre du travail autobiographique.

"La pensée autobiographique, l'ensemble des souvenirs de notre propre vie passée, de ce que nous avons été et de ce que nous avons fait, c'est donc une présence qui nous accompagne à partir d'un moment donné pour le reste de notre vie. C'est une compagnie secrète, méditative, communié aux autres seulement par d'épars souvenirs, à moins de ne pas devenir un but dans la vie. Seulement dans ce cas, en plus de devenir un projet narratif achevé, un journal intime rétrospectif, histoire de vie et roman, donne à nouveau du sens à la vie elle-même." (Chapitre 1, 'Un jour, peut être par hasard: autobiographes par passion', p.10.)

     La pensée autobiographique, comme ensemble de souvenirs d'expériences vécues, une fois activée en tant que méthode d'organisation et analyse de ces mêmes souvenirs, nous assiste dans la possibilité d'énoncer un discours réfléchi et temporairement achevé, donnant en définitive un nouveau sens à notre existence. Cette activité, développée par un processus de représentation et de reconstruction, se traduit dans l'accès au registre du travail autobiographique.

     Analyser notre histoire correspond ainsi à un parcours de formation personnelle placé dans le registre du travail autobiographique. Nous arrivons à ce stade à travers différents intervalles produits par un travail rétrospectif synthétisant notre vécu; l'interprétant tout en le déformant, le commentant et l'expliquant, donnant lieu à une véritable création concevant des expériences, des cycles de vie, des biographies parallèles, dans le devenir de notre histoire singulière.

"L'espace autobiographique, comme instant parsemé de longs intervalles, entre un souvenir et l'autre, devient parcours plus systématique d'auto-réflexivité appliquée à sa propre vie, parvient à une idée de maturité plus mure. (...) La maturité se montre de cette façon comme une conversation intime et toute personnelle, entre la compréhension des propres limites et la fantaisie de leur dépassement. C'est pour cela que l'autobiographie nous rapproche et nous éloigne, nous présente plus réels et plus imaginaires, plus sûrs et incertains." (Chapitre 2, 'Age adulte et espaces pour soi-même: la trêve intime d'un moi tisseur', p.40- 41.)

     L'observation des identités multiples que nous avons demeuré, dévoile l'incessant travail individuel de transformation et rétablissement d'une identité cherchant sa signification dans le devenir de notre biographie. Un parcours de vie conçu comme un perpétuel travail d'assemblage d'instances individuelles et sociales, doit considérer nos multiples identités en construction, concilier ces instances et intégrer ces identités tout en examinant à nouveau nos expériences.

Les conditions pour accéder à notre histoire de vie et l'accepter: contraintes et pouvoirs thérapeutiques de l'autobiographie.

     L'autobiographie comme thérapeutique du soi, une fonction reconnue et considérée depuis longtemps, n'est pas toujours envisageable n'étant pas une thérapeutique sans contraintes opérantes au niveau de notre histoire sociale.

"L'autobiographie, quand nous voulons la parcourir en entier, sans rien laisser de coté, est thérapeutique mais uniquement à certaines conditions. (...) Chacun découvre à ses dépens, et en fonction de son histoire auto-réflexive (chacun d'entre nous a et a eu une biographie consciencieuse bien que sommaire et pratique, appliquée aux choses faites dans le passé et l'advenir du présent), dont l'une ou l'autre modalité est un soulagement et une aide." (Chapitre 3, 'Le conte qui soigne: le plaisir de la solitude', p.43.)

     La valeur thérapeutique de l'autobiographie a ses contraintes et ces mêmes contraintes imposent la nécessité de garantir certaines conditions: l'acte de se souvenir ne peut pas être un acte de douleur mais doit étayer un agrément du souvenir, le bonheur du souvenir alimente ainsi le "pouvoir thérapeutique du détachement" mental et émotionnel. Il faut aussi considérer le rapport aux autres et dans l'action de communiquer, de raconter notre passé, nous retrouvons un soulagement nous aidant à affirmer notre identité: c'est le "pouvoir communicatif" de la relation humaine.

     Recomposer différentes dimensions de notre expérience par l'introspection, avec sa capacité de formuler un canevas intérieur d'images et d'histoires, d'événements n'étant plus des simples mobilisations d'expériences vécues ou des évocations sommaires de personnes et de faits, mais se transformant par la construction individuelle et personnelle d'une trame existentielle qui nous dispose à nous penser et nous concevoir avec les autres. La capacité de remémorer organisant les connexions des matériaux de notre histoire, puisés dans la richesse du vécu individuel et social tout en parcourant les souvenirs dans l'analyse de leurs traces, affirme le "pouvoir de l'invention".

     La capacité d'évoquer produit une construction originale et inédite s'éloignant des implications émotionnelles, se regardant de l'extérieur et se détachant des événements, pouvant ainsi se rapporter des expériences avec un autre regard. L'autobiographie comme acte thérapeutique et d'auto-formation peut se détacher du particulier par cette condition particulière, une condition de "dépersonnalisation" en oeuvre dans la pensée et dans le travail autobiographique: ainsi elle ne va pas rester intimement liée aux vécus émotionnels émergents dans la rétrospection. Les chercheurs, avec des méthodes et des instruments complexes, arrivent eux aussi à s'intéresser aux histoires de vie expérimentant cette même condition.

Ecrire sa propre autobiographie: des modèles en oeuvre dans le travail autobiographique.

     Des modèles en oeuvre dans le travail autobiographique nous aident à retrouver "la syntaxe" de notre vie tout en parcourant la voie des mots.

"C'est en considérant les différentes pages des objets et des connexions animatrices que l'on commence à expérimenter, après avoir choisi le genre d'autobiographie que vous entendez écrire, le pouvoir des paroles. Les paroles qui décrivent, transforment, créent des émotions, fouillent, évoquent, châtient et font du bien, parlent d'elles-mêmes, incitent la pensée, enchantent et troublent, construisent toujours, même seules, mondes et décors. Les paroles construisent des genres semblables à l'autobiographie qui, pour quelques uns, peut encore provoquer certaines craintes." (Chapitre 9, 'Commencer à écrire: à la recherche de pages et de choses', p.155.)

     Comment pouvoir représenter la complexité de notre vie? Nous retrouvons ici des renvois à la littérature et à la sociologie, M. Kundera et Ph. Lejeune. L'écriture débute avec une "syntaxe" de l'autobiographie, une construction stylistique s'aidant par le schéma de répertoires à partir desquels développer cette syntaxe: le répertoire des souvenirs, les personnes fondamentales de notre vie, les objets intimes, les paysages, les amours, et d'autres encore. Il faut retrouver ensuite les liens entre ces différents répertoires, construire le réseau de cette syntaxe, retrouvant les liaisons fondamentales, déployant la formulation d'un discours autobiographique. Il s'agit ici de trouver d'autres contenants après ceux des répertoires pouvant recueillir tous ce qui a animé et a rendu vivant les objets, les personnes et les émotions que nous avons articulées. Reconnecter ces choses pour retrouver une coordination conforme ou plausible du contenu de ces répertoires avec tout ce qui a animé la phénoménologie de l'existence; la recherche du plaisir, de l'argent, du succès, l'aventure, la liste est infinie. Ce qui a animé et stimulé l'existence humaine doit alors retrouver un cadre temporel. Nous allons ordonner dans un tableau les répertoires et les âges traversés; le contenu des répertoires, les objets, les paysages, les émotions et les amours, vont se positionner en relation aux intervalles de nos âges.

     L'histoire de vie récupère, avec la linguistique, une structure et une trame pour développer l'autobiographie par le biais d'un autre exercice d'écriture. Un modèle successif nous est ainsi présenté avec ses trois moments, trois autres contenants: "Incipit", "Ruit" et "Exit". Les "Incipit" sensoriels, métaphoriques et dramatiques, des souvenirs et réflexions, personnes importantes et faits fondamentaux, vont donner un commencement à notre histoire de vie. Ces éléments sont ensuite élaborés dans les flux de l'existence. Le "Ruit" donne le mouvement et le développement de notre vie, notre éducation, famille, environnement, et des épilogues provisoires. L' "Exit", conclusion provisoire, est le dernier contenant dans lequel situer nos expériences de vie, résultats, capacités, buts, programmes ultérieurs et liens avec ces conclusions.

Autobiographie et discours biographiques: un parcours thérapeutique et de formation continue.

     La production d'un discours autobiographique, avec les critères et les formes d'écriture proposées, est aussi un lieu de rencontre d'identités différentes et de capacités d'écouter, d'observer, décrire et interpréter, aussi distinctes que les histoires biographiques singulières et spécifiques qu'interagissent entre elles et nous définissent.

"Chacun a une histoire de formation donnée, et nous pouvons désormais conclure qu'elle n'est pas conférée par la somme de ses différentes biographies (d'autres histoires spécifiques de formation: intellectuelle, amoureuse, politique, philosophique, religieuse, etc.) mais par leur interaction et intégration. Les différentes biographies inter-agissent entre elles quand, bien qu'elles s'articulent et se touchent, elles gardent presque leur autonomie; elles s'intègrent, par contre, quand l'une se considère dans l'autre, donnant lieu à un mélange dans lequel il est difficile (surtout ayant présente la biographie des passions) de défaire les noeuds et d'indiquer avec précision les débouchés." (Chapitre 10, 'Aller par biographies: en tant qu'autobiographes et chercheurs d'histoires de vie', p.180.)

     Tout en expérimentant un temps et une histoire sociale en mouvement, dans un parcours apparemment en retrait de ce que nous allons devenir, le travail autobiographique se distingue comme l'expérience d'une autoanalyse de notre vécu.

"L'autobiographie nous invite à nous regarder en arrière et en même temps en avant, si nous la vivons soit comme parcours thérapeutique soit comme itinéraire de formation continue. (...) C'est le témoignage que nous avons vécu et nous nous sommes manifestés dans cette planète pour une période donnée; uniques, parmi des milliers d'individus qui nous ont précédés, qui nous sont contemporains et que nous suivrons." (Chapitre 12, 'Un bonheur mûr: quand l'autobiographie s'arrête', p.207.)

     Le travail autobiographique, comme un bilan élémentaire de notre vie et de notre condition existentielle, peut nous apprendre à vivre avec les autres ayant d'abord appris à vivre avec nous-mêmes. L'autobiographie, dans l'approche éducative, soutient les individus dans l'acquisition d'une conscience considérable d'eux-mêmes, avec une concentration sur soi et une attention particulière de notre personne pour développer des parcours d'autonomie, bien qu'avec une activité lassante et pénible mais en même temps passionnante.

     Le travail autobiographique, c'est un instrument de formation et un outil thérapeutique soit quand nous réalisons une autobiographie, soit quand nous sollicitons des histoires de vie les rendant ensuite à leurs créateurs. Des biographies encore en développement et en construction ont des capacités d'introspection sur l'expérience vécue par l'expérimentation de la re-construction d'une période de notre vie, avec laquelle nous pouvons acquérir une certaine conscience de notre parcours. Dans le champ de la formation, les histoires de vie sont un instrument pour étudier des situations sociales et des processus de formation, découvrant par le travail autobiographique la phénoménologie latente des existences en formation.

     La sollicitation par la méthode de l'autobiographie à une réflexion personnelle, autonome ou assistée, pouvant s'ouvrir aussi à découvrir les histoires de vie du groupe social d'affiliation, avec une biographie collective, peut postuler en définitive un changement dans la participation et la collaboration entre les individus par le rapprochement de vécus parallèles. L'utilisation des histoires de vie dans le domaine de la formation appliquée aux adultes, par exemple dans le cadre spécifique d'interventions dans les organisations, ainsi que la simple visée thérapeutique dans l'exercice et dans le travail autobiographique, nous signalent les potentialités de l'approche qualitative dans les contextes sociaux comme instrument réalisable dans la recherche sociale mais aussi dans le cadre d'une sociologie d'intervention, orientée dans l'analyse et le changement du social.

     L'approche biographique en sociologie, l'étude de l'individu et des groupes sociaux, peut rendre compte des événements sociaux et la recherche sociale s'intéresse ainsi aux significations et aux images de soi, produites par les individus et analysées dans le cadre des processus culturels. Une sociologie d'intervention orientée à promouvoir le changement peut apprécier cet instrument et ses capacités dans la sollicitation de nouveaux comportements nécessitant un développement de la personnalité.

     L'entrée des histoires de vie dans l'analyse qualitative en sociologie comme instruments de recherche sociologique, a mis en évidence comment cet instrument décline histoire et biographie, société et individus, analysant les expériences sociales et produisant des connaissances. Je réfléchis énormément, à partir de ces acquis, sur l'approche biographique comme instrument pouvant fonctionner dans le cadre d'une sociologie clinique, dans le champ de l'éducation et de la formation, en tant qu'instruments capables de révéler l'organisation de la personnalité et le comportement humain dans son contexte, son environnement et ses relations sociales, ainsi que les modèles culturels de référence, et en tant que méthode qualifiée pour développer l'"autobiographie comme thérapeutique du soi".

Orazio Maria Valastro

Notice:
Valastro, Orazio Maria. "Se raconter: l'autobiographie comme thérapeutique du soi", Esprit critique, vol.04 no.04, Avril 2002, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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