Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.04 No.04 - Avril 2002
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Numéro thématique - Printemps 2002
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L'intervention sociologique
Sous la direction de Orazio Maria Valastro
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Articles
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Vers une recherche et des formations doctorales en travail social en France.
Par Hervé Drouard

Résumé:
Quelques précisions historiques ou sémantiques pour éclaircir un débat de légitimité sans cesse renaissant, en France mais aussi en Europe. Il est clair que les sciences, production de l'intelligence humaine, n'ont qu'un seul champ à explorer et donc à se partager: l'homme et son environnement. Ce qui va spécifier, différencier, plus que le partage de morceaux du champ seront les angles d'approche, les points de vue (et donc les positions, les places du chercheur) et les instruments d'investigation. Pour s'en tenir aux sciences humaines, on peut décliner un certain nombre de regards particuliers, inclusifs et non exclusifs: - les sciences dites humaines s'intéressent à la totalité de l'homme en société, - la sociologie privilégie les phénomènes sociaux, les inter-actions humaines, - la recherche sociale s'attache à ce qui fait problème, à certains moments, dans une société donnée; elle peut ou non prendre en compte les interventions volontaires des institutions et acteurs préposés au règlement de ces problèmes; on peut donc imaginer un point de vue original, - une recherche en intervention sociale, qui, à partir de la position d'intervenant, se centre sur l'action, sur l'acte de changement social; - enfin, depuis une vingtaine d'années et dans un cadre très situé historiquement et sociologiquement, un courant de "praticiens-chercheurs" lutte pour faire advenir une "recherche en travail social" qui s'intéresse plus précisément à l'intervention des professionnels d'un certain type d'intervention, celle des travailleurs sociaux, strictement repérés.

Introduction: Intervention sociologique et recherche en travail social.

     Le jeu sémantique du thème proposé pour ce numéro de sociologie critique tourne autour de 3 termes que chaque auteur va conjuguer et dont la combinaison semble poser de redoutables problèmes: - sociologie qui se veut science, connaissance d'un objet épistémè; - intervention qui dit action, perturbation de cet objet, praxis; - recherche, processus de découverte qui peut prétendre à la fois éclairer et transformer l'objet. J'en ajoute un quatrième qui vient spécifier les 2 précédents: travail social comme intervention professionnelle et comme recherche au coeur de cette intervention.

     Les enjeux de ces conjugaisons sont loin d'être de pure abstraction et jeux de l'esprit. Ils participent à des mouvements de structuration de professions, de légitimation de postures et partage de champs et d'objets.

     Je voudrais, dans ce premier article, amorcer le débat à partir de la situation française, sachant qu'il se retrouve et se poursuit, sous d'autres formes, dans la plupart des pays. Comment et par qui s'est nouée la conjonction de nos quatre termes en confrontation et des acteurs impliqués: sociologues, universitaires, professionnels et formateurs en travail social?

     Dans le domaine de la formation des travailleurs sociaux, l'exception française a été et surtout demeure; celle-ci est assurée très majoritairement par des Centres de formation privés de type associatif, financés, pour la plupart des formations initiales de niveau III, (Baccalauréat + 2) par des subventions d'Etat. Cette particularité, fruit de l'histoire mouvementée de la création, dans la première moitié du XXème siècle, des métiers et diplômes du social et de la crispation des universités françaises sur la construction et l'enseignement de savoirs disciplinaires détachés longtemps des ensembles professionnels, a entraîné une série de malentendus, suspicions, conflits entre deux entités en concurrence. Les centres regroupés en un Comité de liaison des Centres de Formation continue et supérieure en Travail social (créé en 1974) et l'Université commençant à créer des Maîtrises en Travail social (les initiateurs se regroupent dans le RIFF, Réseau inter-universitaire de formations de formateurs, en 1973). La mobilisation des centres aboutit à la création co-signée par le ministère des Affaires sociales et celui des Universités, en 1978, du DSTS, Diplôme supérieur en Travail social, à orientation fortement professionnelle.

     Avoir enfin pour les principaux métiers du social un diplôme au niveau maîtrise (niveau II), obtenu par un mémoire de "recherche en rapport avec l'expérience professionnelle et appliquant les acquisitions de la formation à la pratique professionnelle" va forcément induire un certain nombre de conséquences:

  • l'obligation pour les centres de penser la formation à la recherche pour des Travailleurs sociaux qui n'avaient, en majorité, reçu aucune initiation dans les formations initiales;
  • la nécessité de débats entre formateurs, entre formateurs et universitaires (et administrations de tutelle), pour interpréter les textes et définir la spécificité du "produit demandé" aux candidats;
  • et, à partir du moment où "les productions" vont se multiplier, une forte demande de reconnaissance: en dehors de l'attribution du diplôme, quelle valeur, quelle utilité, quel prestige, quel statut accorder à ces nouveaux producteurs de recherche, à ces nouveaux produits, et, par ricochet, à ces nouveaux lieux de production que sont les centres non universitaires? Pas étonnant que le Comité de liaison des centres cherche à orchestrer ces interrogations en lançant 3 colloques sur la recherche!

     La question des rapports entre recherche et action sociale avait déjà été soulevée dans les dernières décennies, et, pour resituer le débat, nous rappelons brièvement comment la Revue Informations sociales (Revue de la CAF, Caisse d'allocations familiales, créée dès 1946) pose le problème, successivement en 1964 (avec son numéro 7, intitulé "Recherches et Action sociale"), en 1973 (2 numéros: 7 & 8 "Sciences humaines et Travail social", enfin en juin 1983 (numéro 6 "La Recherche en Action sociale"). Ces 3 coupes diachroniques suffiront à poser les décors, les contextes intellectuels et sociaux, en même temps qu'elles permettent de saisir les continuités ou les ruptures sémantiques, les filiations et les originalités. Nous reviendrons ensuite à une présentation succincte des 3 colloques en gardant notre hypothèse d'une 2ème bataille avec l'Université (après celle de la création d'un diplôme professionnel de niveau II).

1. De la "Recherche sociale" à "la Recherche EN Action sociale".

  • En 1964, l'UNCAF (Union nationale des CAF) parle de "recherche sociale" pour qualifier l'ensemble des recherches qu'elle promeut et fait réaliser en cherchant à associer des chercheurs "extérieurs" et son personnel social ("enquêteurs associés"). L'objectif de ces "recherches appliquées" est de mieux connaître les "besoins sociaux" en vue de la "planification sociale" (c'est l'époque des RCB, rationalisation des choix budgétaires, des "méthodes coût/avantage", qui exigent de quantifier les besoins et les équipements ou services chargés d'y répondre!).

  • En 1973, au contraire, un article de F. Marquart pose la question: "la recherche peut-elle être sociale?" Il dénonce les dangers d'une recherche trop orientée vers l'action, au service des institutions "normalisatrices". C'est l'époque de la sociologie critique, de l'analyse institutionnelle. On parle de recherche "appliquée, active, intégrée", d'équipes mixtes de travailleurs sociaux et de chercheurs. Et, dans une expérience de recherche en service social, on se félicite d'avoir empêché de décrocher de la réalité, en ayant "des AS (assistantes sociales?) devenues chercheurs et des chercheurs demeurés AS".

  • En 1983, on passe à la "recherche EN action sociale" en titre, même si, à l'intérieur, beaucoup d'auteurs continuent à employer l'expression "recherche sociale" pour désigner les recherches faites dans le secteur social, par des travailleurs sociaux - ou sur les problèmes sociaux. Parce qu'elles se multiplient, il est temps d'institutionnaliser. Les Assises de la Recherche, le rapport Godelier[1], la MIRE (Mission Recherche expérimentation - Ministère des Affaires sociales et de l'Emploi?) créée par les ministères de la Recherche et de la Solidarité nationale, tous, ont donné le mot d'ordre général de la collaboration entre chercheurs et praticiens.

     M. Chauviere, un premier chargé de Mission à la MIRE, marque "son souci d'opérer une symbiose entre les organismes et les partenaires impliqués car on a pâti des mésententes entre chercheurs et travailleurs sociaux" (p.10 Informations sociales numéro 6). La recherche sociale gagne du terrain; il dénonce cependant les ambiguïtés de la recherche-action.

     M.H. Soulet, enseignant-chercheur à l'université de Caen et devenu ensuite titulaire de la Chaire de Travail social à Fribourg, intitule son article "Champ de bataille" où il voit trois partenaires s'empoigner: l'Etat commanditaire, le chercheur, le travailleur social.

     E. Leplay, assistante sociale, directrice d'un centre parisien, L'ETSUP (Ecole Supérieure de Travail Social), alors présidente du Comité de liaison, présente les trois colloques (le premier vient de se tenir). Elle est la seule, dans cette revue, à reprendre l'appellation "recherche EN travail social" qui avait fait son apparition dans l'arrêté ministériel de 1978 créant le DSTS et que la lettre-circulaire de 1983 sur l'accord-cadre université/affaires sociales avait pris soin de remplacer par "recherche SUR le travail social". Manifestement, ou, pour l'instant, plutôt sournoisement, on assiste à un déplacement du champ de bataille: après la victoire d'un diplôme original, professionnel, il va s'agir de faire reconnaître une recherche spécifique EN travail social. Rude bagarre sur le terrain miné des nombreuses écoles, équipes, clans de chercheurs, officiels ou marginaux.

     En tout cas, remarquons que la Revue Informations sociales, pour ne pas prendre parti dans cette querelle byzantine, croit s'en tirer en titrant son numéro "la recherche EN action sociale" mais sans aucunement s'en expliquer dans l'éditorial.

2. Problèmes d'existence et d'essence pour la Recherche EN Travail social.

     Fidèle à son approche pragmatique des problèmes vitaux qu'il lui faut résoudre (rappelons-nous: "la formation supérieure en travail social existe dans nos centres, il faut la reconnaître et la valoriser"), le Comité de liaison va commencer par manifester l'existence et braquer les projecteurs de l'analyse sur les productions des "praticiens-chercheurs" pour faire sortir ensuite l'ensemble des questions qu'elles soulèvent.

2.1. premier colloque: inventaire, typologie, questions clés.

     Le premier colloque réunit, les 1er, 2 & 3 juin 1983, 160 professionnels du travail social ou leurs formateurs. Ils vont travailler sur 131 recherches qui ont été envoyées au préalable à une commission qui propose une typologie. 24 praticiens-chercheurs dans 8 carrefours exposent une synthèse de leur propre recherche comme base d'échanges pour formuler les questions clés de la recherche en travail social. Les actes de ce colloque ont été publiés par le Comité de liaison. Nous nous contenterons de rapporter les premières catégories élaborées pour classer ces productions et de résumer l'analyse structurale qu'il nous avait été demandé d'appliquer aux travaux des carrefours.

2.1.1.- Typologie: la commission a distingué 2 grandes préoccupations qu'elle formule ainsi:

2.1.1.1. - une tentative d'évaluation de l'action sociale à travers une approche critique de l'adéquation besoins/réponses. Cela représente 98 travaux sur 131 dont:

  • 34 sur les pratiques professionnelles,
  • 26 sur les "usagers",
  • 14 sur les organisations, institutions, équipements,
  • 11 sur les "problèmes sociaux",
  • 9 sur la clientèle des services sociaux,
  • 9 sur des interventions,
  • 5 sur la politique d'action sociale,
  • 2 sur l'élaboration d'un projet d'action.

2.1.1.2. - les professionnels s'interrogent sur eux-mêmes: 33/131 dont:

  • 10 sur la formation,
  • 9 sur la construction d'une identité professionnelle,
  • 8 sur les relations professionnelles.

2.1.2.- Systématique.

     En mettant noir sur blanc les oppositions qui structuraient les débats des praticiens-chercheurs[2], j'avais regroupé l'ensemble autour de deux pôles: Action/Recherche et Des (sous-)recherches/La (vraie) Recherche. Et constaté une sorte d'auto-dénigrement pour tout ce que faisaient les travailleurs sociaux et une survalorisation des activités de recherche (la vraie!) réservées aux scientifiques qui produisent le savoir et le diffusent dans le cadre de l'université ou des centres officiels. Gémissements entre soi: "on n'est pas reconnu" et appel à débattre avec les "contradicteurs" du pôle scientifique.

2.2. deuxième colloque: aspects méthodologiques et organisationnels de la Recherche en Travail social.

     Le 2ème colloque se tient les 9, 10 & 11 mai 1984 et réunit plus de 200 personnes. Conformément aux voeux exprimés, lors du 1er colloque, il a été préparé par 12 Ateliers régionaux et a bénéficié des apports de grands théoriciens (2 textes d'Edgar Morin, une interview d'Alain Touraine, des interventions de Guy Berger et Jacky Beillerot des Sciences de l'Education). En outre, il est ouvert par M. Thierry, directeur de l'Action sociale au ministère de la Solidarité.

     On fait état des collaborations établies entre universitaires, chercheurs officiels et praticiens (éventuellement praticiens-chercheurs). On parle surtout épistémologie des sciences sociales et humaines, pensée complexe et implication. On revient sur des exemples de méthodologies qui sont décortiquées. Les chercheurs insistent sur les difficultés du métier de chercheur.

     Au fond, on est passé en un an de la valorisation un peu fantasmatique de la théorie, de la recherche, de la science propre à des néophytes à l'ambiance de remise en question, de doute épistémologique qui agite le monde des sciences dites "molles". Des alliances se dessinent qui vont conforter la légitimité d'une recherche spécifique, originale, créatrice: les chercheurs en éducation confrontés à la même suspicion et aux mêmes difficultés pour définir leur champ et leur objet au sein des universités disciplinaires, les partisans de la pensée complexe et transdisciplinaire.

     C'est pour digérer toutes ces interrogations et ambitions que le Comité de liaison reportera à 3 ans la tenue du 3ème colloque qui devra définir la Recherche EN travail social et réfléchir à la formation, la diffusion de cette recherche productrice des savoirs du travail social.

2.3. troisième colloque: Produire les savoirs du travail social.

     Dans les actes de ce colloque des 13, 14 & 15 mai 1987, trois grands titres recouvrent et classent les interventions très nombreuses. Nous les donnons dans le désordre:

  • sur des réalisations de recherche en Travail social,
  • vers des dispositifs d'organisation et de diffusion de la recherche en Travail social,
  • pour des définitions de la recherche en Travail social.

     Dans ce moment du colloque: "pour des définitions", il s'agissait de nommer ce qui était fait ou ce qu'on pensait utile de faire réaliser par les praticiens-chercheurs. Quatre personnalités impliquées dans la formation et la recherche en travail social expliquent leur conception de la recherche qu'ils développent chez les travailleurs sociaux, les modèles auxquels ils la rattachent et les appellations qui conviennent.

  • Le docteur Claude Veil, directeur d'un Institut de formation d'éducateurs, promeut une "recherche clinique".

  • Monsieur Christian Bachmann, alors maître de conférences à l'université Paris-Nord-Villetaneuse plaide pour "l'ingénièrie sociale".

  • Monsieur Maurice Parodi, professeur d'économie à l'Université d'Aix-Marseille II se rattache au courant de la "Recherche-Action" telle que formalisée par Henri DesRoches.

  • Monsieur Michel Duchamp, directeur du Collège coopératif de Lyon, argumente pour une "recherche praxéologique", c'est-à-dire partant de et portant en priorité sur les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux.

     Tout cela fait très sérieux. On aura remarqué le chemin parcouru depuis le premier colloque: on affirme désormais que le travail social/la recherche en travail social est une "discipline" (au moins d'enseignement!), qu'il existe des "savoirs spécifiques en travail social" qu'une recherche protéiforme est chargée de produire, améliorer, agencer. Et qu'il devient nécessaire de diffuser ces "savoirs pour l'action" en créant une collection "Travail social" et en pensant à une revue scientifique nationale et des revues régionales. Nous entrons ainsi dans notre troisième période: le combat pour le positionnement de la spécificité de la recherche EN travail social.

3. Vers une recherche POUR l'action (à partir de 1988).

     Beaucoup de problèmes ont été soulevés qui vont demander d'être approfondis, confrontés aussi à d'autres courants et expériences. La légitimité à chercher et à former à la recherche désormais affirmée, démontrée, reconnue par le ministère de tutelle et certains grands universitaires ne vont supprimer ni l'oscillation permanente dudit ministère, ni la suspicion récurrente de l'Université par rapport aux centres et à ce qu'ils font.

     Le Comité de liaison, à travers ses instances régulières (journées d'études, tous les 2 mois) ou des commissions ad hoc va donc continuer sa réflexion et la diffuser. Dès le lendemain du 3ème colloque, 2 groupes sont constitués avec des "formateurs-chercheurs", l'un en vue de réaliser un premier livre-manifeste sur "quelle recherche et quelle formation à la recherche pour les travailleurs sociaux?", l'autre, pour faire de la Revue Forum, "la revue de la recherche en travail social". Il s'agit, dans les deux cas, de positionner à la fois théoriquement et pratiquement ce que peut être "une recherche dans et pour le travail social" Commençons par la Revue Forum.

3.1.Valoriser les Recherches des praticiens-chercheurs: la Revue Forum.

     Le titre "Forum" a d'abord couvert un simple bulletin de liaison du Comité. Né en octobre 1976, il se contente de publier les comptes rendus des réunions et des travaux; il s'installe rapidement dans une parution trimestrielle. Avec le no 14 (octobre 80), il commence à donner des relations d'expériences, d'actions innovantes conduites par des travailleurs sociaux; puis, avec le no 24 (mars 1983), des études ou recherches réalisées par des formateurs ou des travailleur sociaux.

     A partir du no 28 (mars 1984), sa couverture est cartonnée, il s'étoffe et essaie d'étendre sa diffusion au-delà des centres adhérents. Le principe est que chaque centre assure, à tour de rôle, le contenu d'un numéro.

     La "nouvelle formule", annoncée en avril 1989 et inaugurée en octobre 1989 par nos soins avec le no 49 veut traduire l'esprit des colloques dans les faits, en le transformant en une véritable revue. Des rubriques régulières sont instituées: présentation des colloques ou recherches réalisés par les centres, recensions d'ouvrages intéressant le social, abstracts des mémoires DSTS. L'essentiel est constitué par un "Dossier" qui sera toujours une recherche réalisée par un praticien-chercheur (ou une équipe).

     Il s'agit de prolonger le travail de positionnement, de reconnaissance, amorcé par les colloques. L'ambition exprimée: "faire exister les sciences du travail social en France, à l'instar des sciences de l'éducation, les faire reconnaître comme une discipline à part entière ayant enfin l'ensemble de ses titres universitaires (DESS, DEA, Doctorat). C'est un enjeu capital de l'heure présente pour la reconnaissance du travail social et son positionnement dans l'Europe de demain"[3]. On verra en conclusion que l'idée fait son chemin, orchestrée par un groupe de travail dans une commission interministérielle (Affaires sociales et Université) sur la valorisation universitaire des formations du travail social.

     A ce jour (janvier 2002) sur les 39 numéros parus sous notre responsabilité, 27 dossiers ont été faits à partir d'un DSTS reconnu brillant par le jury, 2 à partir du doctorat d'un formateur, 7 avec un CAFDES (diplôme des directeurs d'établissements sociaux), 2 avec un mémoire de formation initiale, ayant obtenu un prix national, le dernier avec le travail de recherche d'une équipe en formation longue.

3.2. - Quelle recherche par et pour des praticiens du travail social? Un premier livre.

     Le combat pour un DSTS avait abouti à faire exister un diplôme reconnu par l'université mais gardant son caractère professionnel. Un mémoire de niveau "maîtrise" ne pose pas de problèmes aux universitaires puisqu'il sanctionne, dans toutes les disciplines, la fin d'un cursus de 2ème cycle. Par contre, les précisions données par l'annexe de l'arrêté ministériel de création n'ont cessé de faire difficulté. Il est demandé que le sujet de mémoire choisi soit "en rapport avec l'expérience professionnelle, les acquisitions réalisées en cours de formation, l'intégration de ces acquisitions et leur application à la pratique professionnelle"; il est donc question de cette "recherche en travail social" dont personne ne sait ce qu'elle recouvre. Il y a de quoi relancer tous les débats sur la science et l'action, la théorie et la pratique, l'universitaire et le professionnel, la recherche disciplinaire et... les autres!

     Les colloques avaient agité ces questions et tenté de rattacher cette recherche à des modèles connus: la clinique, la recherche-action, l'ingénierie, la praxéologie. Le groupe constitué, dans l'orbite du Comité de liaison, pour rédiger le premier livre de la collection "Travail social: des savoirs pour l'action" a essayé à son tour de prolonger la réflexion. Il est constitué, en majorité, d'enseignants-chercheurs, issus du travail social et responsables de formations supérieures en travail social. C'est dire que le 2ème critère d'évaluation du mémoire DSTS édicté par le ministère et présenté comme tout à fait essentiel: "élaboration d'un projet de transformation des pratiques professionnelles"[4] est très présent dans les débats. La recherche en travail social part d'un problème de la pratique, doit articuler théorie et pratique et aboutir à de la transformation, de l'innovation dans les pratiques professionnelles.

     L'accord se fait donc assez rapidement sur un certain nombre d'éléments de la spécificité de la recherche EN travail social:

  • elle concerne le champ du travail social professionnel;
  • elle est conduite par des praticiens intervenant dans ce champ (travailleurs sociaux, formateurs, chercheurs);
  • elle porte sur l'intervention, le "faire", les pratiques professionnelles. En ce sens, elle est bien praxéologique.

     Accord aussi sur le fait qu'elle doit être une "véritable recherche" et donc satisfaire aux critères reconnus de toute démarche scientifique classique. Le premier chapitre du livre en rappelle l'esprit et les opérations.

     Mais le groupe achoppe sur le problème de l'articulation recherche/action et la contradiction entre les deux logiques. Comment passer de la recherche au "projet de transformation" demandé? Jacky Beillerot[5] propose une recherche PAR l'intervention et non SUR l'intervention et, se référant au modèle de l'expérimentation scientifique, décline les 4 phases nécessaires à ce type de recherche (nous avions nous-même présenté ces 4 phases aux premiers étudiants en DSTS du centre EPSI, Ecole Pratique Sociale Interrégionale, de Clermont-Ferrand en 1981):

  • étude préalable,
  • projet d'action innovante,
  • effectuation de l'intervention,
  • évaluation de l'intervention.

     Mais il ajoute en Nota Bene que la majorité des DSTS ne dépasse pas la phase une. N'est-ce pas prendre acte que les principes de l'expérimentation, valables dans certaines disciplines, ne peuvent être transposés et appropriés à la complexité du social, que la méthodologie de la recherche classique centrée sur l'analyse rigoureuse des "états de chose" et leur explication doit céder le relais, dès qu'il s'agit de projet, à l'approche systémique des processus et de leur compréhension DANS et POUR l'action.

     Le travail social, les praticiens n'ont-ils pas intérêt à s'emparer de tous les acquis des sciences de la conception et le DSTS à dissocier pour sa validation Recherche et projet d'action?

     A suivre donc, cette histoire mouvementée, dans le numéro thématique de Juillet 2002 intitulé "La recherche en travail social" où nous ferons le point actualisé de l'état de la question.

Hervé Drouard

Notes:
1.- On sait que, à l'initiative du ministère de la Recherche, un colloque national sur la recherche et la technologie s'est tenu en janvier 1982, précédé d'Assises régionales, dès septembre 1981. Le Professeur Godelier était chargé du rapport, paru en 1982 à la Documentation française. Tome I Les sciences de l'homme et de la société en France, tome II - Rapports complémentaires.
2.- Drouard H. - 1983, Analyse structurale des conclusions des divers groupes du colloque, texte ronéoté, 14 pages.
3.- Présentation de Forum nouvelle formule, avril 1989 in Forum no 49.
4.- note no83 1164 du 12/04/83 repris par la circulaire no25 du 25/04/85.
5.- Duchamp M., Bouquet B., Drouard H., 1989, - La recherche en travail social, Paris, Le Centurion p.110.
Notice:
Drouard, Hervé. "Vers une recherche et des formations doctorales en travail social en France.", Esprit critique, vol.04 no.04, Avril 2002, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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