Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.04 No.02 - Février 2002
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Le sociologue professionnel et la construction sociale de sa pratique.
Par Orazio Maria Valastro

Résumé. L'activité professionnelle des sociologues en situation d'intervention hors cadre universitaire, présente des expériences et des pratiques produisant une confrontation indispensable entre l'activité scientifique et l'exercice d'une sociologie appliquée. Les politiques sociales, formulant une demande en termes d'interventions professionnelles et de compétences sociologiques spécifiques, posent un enjeu considérable: la reconnaissance et l'applicabilité des compétences sociologiques au problématiques sociales et la légitimité de ces mêmes pratiques professionnelles.

Les conditions établissant la reconnaissance des compétences sociologiques.

      Une réflexion sur le travail de terrain du sociologue, avant de saisir l'importance de l'analyse du contexte social dans lequel il agit et la portée de l'intervention qu'il engendre dans le cadre de la complexité sociale, demande aujourd'hui une attention particulière aux pratiques professionnelles d'une nouvelle génération de sociologues en situation d'application et d'intervention hors champ universitaire.

      La distinction sémantique et conceptuelle entre métier-science et profession-application[1], une différenciation des pratiques sociologiques observées analysant les écrits et les énonciations de sociologues ainsi que l'évolution de l'organisation sociale des disciplines, nous aident à saisir les nouvelles problématiques sur la reconnaissance sociale des compétences sociologiques.

      Le modèle du métier-science, expression d'une pratique sociologique se reconnaissant fondamentalement dans l'activité scientifique, se confronte avec le modèle émergeant de la profession-application et les potentialités opérationnelles de ce dernier par rapport à la reconnaissance de la complexité sociale par les acteurs sociaux. Il faut toutefois considérer la relation entre les deux modèles comme un continuum[2], sans trancher tout court entre sociologie académique et professionnelle de manière plutôt arbitraire et inutile. La connexion entre théorie et pratique, située dans la logique rigoureuse de la discipline sociologique et dans son applicabilité aux problématiques sociales, peut correspondre aux exigences de l'amplification de la demande sociale en termes d'interventions spécialisées dans différents domaines.

      L'action de légitimation de la sociologie au sein des structures universitaires italiennes, amorcée en 1970 avec l'institution des premiers diplômes universitaires en sociologie et l'indispensable formation de chercheurs, capables de consolider et promouvoir une image positive des départements de sociologie et du rôle de la sociologie dans le processus de développement du pays, a souvent négligé le problème des débouchées professionnelles des sociologues. La recherche désintéressée et théorique a été plus consolidée que la pratique spécifique de la profession sociologique, privilégiant l'affirmation du pôle métier-science dans ce continuum proposé entre théorie et pratique sociologiques.

      Les récentes analyses des données sociales au sujet du destin professionnel des diplômés en sociologie[3] ont mis en évidence une réduction considérable des temps d'attentes pour l'insertion dans le marché du travail, avec des activités professionnelles beaucoup plus orientées vers des secteurs et des rôles appropriés à une profession sociologique. Des considérations qui vont dans le sens des projections moins récentes sur les extraordinaires occasions envisagées pour le développement de la profession des sociologues dans la société, des opportunités destinées à rénover les administrations en particulier et le corps social plus en général[4].

Politiques sociales et compétences sociologiques spécifiques.

      Dans le domaine des politiques sociales garantissant et promouvant les droits sociaux et favorisant une qualité de vie capable de garantir l'affirmation d'identités sociales singulières et autonomes, nous retrouvons une demande et en même temps une reconnaissance de l'intervention nécessaire de professionnels capables d'offrir des compétences sociologiques spécifiques. Ces orientations favorables à l'activité professionnelle des sociologues sont toutefois contradictoires, étant donné comment l'absence des sociologues professionnelles et même académiques dans plusieurs secteurs institutionnels soit toujours importante. Il devient alors nécessaire de développer un processus d'affirmation professionnelle capable de mieux répondre aux exigences de reconnaissance et de valorisation de la profession du sociologue dans tous les domaines où elle peut déployer son activité[5].

      L'engagement souhaité pour soutenir les sociologues professionnelles dans l'établissement d'un réseau de communication et d'échange conduit à la réalisation d'un espace de reconnaissance et de légitimation de leurs productions et élaborations quotidiennes, pour affirmer des règles de comportement reconnues et acceptées comme contraignantes à l'intérieur d'une dimension associative capable en même temps de sauvegarder l'exercice de l'activité professionnelle dans les domaines et les réalités de travail les plus différentes[6]. La compréhension des processus d'institutionnalisation de la profession sociologique c'est importante, mais le parcours vers la reconnaissance sociale de la profession renvoie à l'indispensable consolidation de la position des sociologues dans le marché du travail et dans les situations demandant leurs compétences[7].

Parcours professionnels et modèles d'affirmations.

      Les sociologues vont se retrouver aujourd'hui face à une demande, sollicitant une sociologie appliquée et spécialisée qui doit répondre aux nouveaux enjeux de la société, sans avoir acquis une complète reconnaissance et légitimité professionnelle de leurs pratiques professionnelles. Les administrations publiques et l'univers hétérogène de la coopération sociale, associations, coopératives et entreprises sociales, font de plus en plus recours aux sociologues en tant qu'associés et/ou collaborateurs, consultants externes et professionnels indépendants, pour des contributions autour de thèmes et problématiques liées aux interventions dans le domaine du social et du territoire. Une réflexion au sujet des difficultés présentes dans l'engagement entre pratique sociologique et confrontation avec le terrain de recherche, demande nécessairement une observation attentive des implications données par la condition des sociologues travaillant en tant que professionnels intervenant en dehors d'un cadre institutionnel et académique.

      Les parcours professionnels demandent ainsi une réflexion sur les modèles d'affirmations qui sont en train de se construire actuellement; nous avons des nouvelles figures de professionnels autonomes posant la question de leur légitimité et des difficultés relevant de leur reconnaissance professionnelle. La capacité de définir dans ces conditions l'identité professionnelle influence le rôle que l'on peut s'attribuer soi-mêmes et celui que peuvent nous attribuer nos commanditaires, ainsi que les interventions que l'on peut accomplir avec les acteurs du privé social (associations, coopératives, entreprises) et ceux du secteur public (municipalités, écoles). Ces situations nous proposent d'examiner les pratiques professionnelles comme des constructions sociales, subordonnées aux facteurs objectifs et subjectifs dans la relation entre le sociologue et ses commanditaires. La pratique professionnelle exprime aussi une interdépendance ultérieure avec les pratiques d'autres professions avec lesquelles doit se confronter le sociologue, s'investissant dans un réseau de relations et de communications entre professions différentes qui vont se rapprocher dans le cadre d'applications sociales communes sur la base de connaissances et d'interventions partagées.

      Le rôle des associations qui représentent au niveau national les sociologues a fortement contribué à consolider leur identité professionnelle et à identifier leurs connaissances et compétences spécifiques. Il devient toutefois nécessaire de s'intéresser davantage aux rôles que les sociologues peuvent assumer dans l'actuel marché du travail et de renforcer les méthodologies et les pratiques que l'on doit déployer en fonction de ces rôles[8]. Il s'ensuit que reconnaissance et légitimité professionnelles sont moins dépendantes des processus officiels de tutelle juridique et sociale des professions; elles dépendent plutôt des conditions affectant la capacité d'affirmation professionnelle en fonction des négociations qui se construisent avec les sujets de la programmation sociale autour des capacités et des compétences sociologiques à trouver des solutions pour des problèmes concrets.

Orazio Maria Valastro

Notes:
1.- Piriou O., "La sociologie: métier ou profession? Quand les sociologues prennent position sur l'exercice de la sociologie.", L'Homme et la Société, n.131, janvier-mars 1999, pp.43-64.
2.- Payne G. et CROSS M., "An Active Ssociology?" (Une sociologie active?), Sociology in Action: Applications and Opportunities for the 1990s (Sociologie en action: applications et possibilités pour les années 1990), MacMillan, 1993, pp.1-21.
3.- Orru P., "Il destino sociale dei laureati in sociologia: i dati dell'Istat" (Le destin social des diplômés en sociologie: les données de l'Istat), Sociologia e Professione (Sociologie et Profession), n.20, 1990, pp.83-87.
4.- Statera G. (sous la direction de), Professione Sociologo: i laureati in sociologia e il mercato del lavoro a Roma (Profession Sociologue: les diplômés en sociologie et le marché du travail a Rome), 1e éd. Palermo, Palumbo, 1980, p.152.
5.- Luison L., "La ricerca sulla professione promossa dalla Società Italiana di Sociologia" (La recherche sur la profession réalisée par la Société Italienne de Sociologie), Sociologia e Professione (Sociologie et Profession), n.21, mars 1996, pp.83-88.
6.- Minardi E., "Per una nuova sociologia: documento programmatico di sociologia per la persona" (Pour une nouvelle sociologie: programme de sociologie pour la personne), Sociologia Generale: percorsi interattivi di apprendimento per gli studenti (Sociologie générale: parcours didactiques interactifs pour les étudiants), http://www.spbo.unibo.it/pais/minardi/spc_pers.htm, 25 juin 2001.
7.- Chiarenza A., "Sulla richiesta di riconoscimento professionale dei sociologi" (Sur l'instance de reconnaissance professionnelle des sociologues), Sociologia e Professione (Sociologie et Profession), n.31-32, 1998, pp. 17-42.
8.- Chiarenza A., "Certificazione e riconoscimento della professione di sociologo" (Certification et reconnaissance de la profession de sociologue), intervention au Colloque de l'Association Italienne Formateur et de la Société Italienne de Sociologie, La certification professionnelle pour les formateurs et les autres professionnels, Rome, 21 mars 2001.
Notice:
Valastro, Orazio Maria. "Le sociologue professionnel et la construction sociale de sa pratique.", Esprit critique, vol.04 no.02, Février 2002, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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