Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.03 No.10 - Octobre 2001
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Numéro thématique - Automne 2001
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Les rapports sociaux sur Internet: analyse sociologique des relations sociales dans le virtuel
Sous la direction de Jean-François Marcotte
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Articles
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Communautés virtuelles: la formation et le maintien des groupes sur Internet
Par Jean-François Marcotte

      Depuis l'avènement des moyens techniques permettant la communication en réseaux informatiques, de nouvelles pratiques sociales se sont intégrées au quotidien de nombreux individus. Le procès d'informatisation sociale s'est étendu à l'ensemble des sphères de la vie des individus. Sous l'influence de divers agents sociaux, des environnements de discussion en réseaux se sont développés. Graduellement, des individus se sont appropriés ces espaces virtuels de rencontres et participent à l'évolution d'un univers symbolique qui leur est propre. Des relations sociales se tissent entre ces individus et parfois des groupes prennent vie, c'est ce que l'on nomme "communautés virtuelles". Des groupes arrivent à se souder grâce à de nombreux processus sociaux. Toutefois, le contexte de communication, de même que les valeurs culturelles propres à ces personnes, influence la nature des groupes qui s'y forment. Dans cet article, nous allons tenter de comprendre ce qui permet la formation de ces groupes particuliers ainsi que les mécanismes sociaux favorisant leur maintien.

      La formation de communautés virtuelles est un phénomène qui existe depuis plus de trente ans. Depuis les premiers réseaux inter-universitaires d'Arpanet jusqu'aux groupes de discussion (IRC), en passant par les babillards électroniques (BBS), des groupes se sont formés. Au départ, c'est dans le milieu universitaire que les premières communautés virtuelles ont vu le jour entre des informaticiens chevronnés. Graduellement, des individus et des organisations ont développé des supports technologiques et l'évolution des usages sociaux de ces techniques a en retour orienté le développement des moyens informatiques de communication. Des environnements virtuels propices aux interactions se sont déployés et de nouvelles pratiques sociales ont émergées.

      Mais qu'est-ce qu'une communauté virtuel? Une communauté virtuelle n'est pas un site ou un environnement virtuel que l'on peut retrouver sur Internet! Il s'agit d'un groupe d'individus qui se forme à travers des relations sociales. Une communauté virtuelle n'est pas non plus un agrégat de personnes qui fréquente un environnement virtuel de rencontres. Il s'agit d'un ensemble d'individus qui partagent un univers symbolique qui leur est propre et qui ont des rapports réguliers à travers des processus sociaux complexes. Ainsi, il ne suffit pas de fréquenter ces espaces virtuels pour qu'une communauté virtuelle prenne forme. C'est le besoin ou le désir de s'unir dans un contexte de libre association qui détermine si des communautés virtuelles prennent naissance. Une communauté virtuelle existe dans la conscience de ses membres, et ce sont les relations permettant la formation du groupe qui se déroulent via une médiation technique. L'interaction sociale se réalise sous forme d'interaction en réseaux, mais conserve la médiation sociale habituelle permettant la formation de liens sociaux. Ces interactions en réseaux sont observables mais c'est ce lien social entre les individus qui est plus délicat à déchiffrer dans ce contexte, et qui permet pourtant de comprendre les mécanismes sociaux à la base de la formation des communautés virtuelles.

      Howard Rheingold définit les communautés virtuelles comme suit: "Les communautés virtuelles sont des regroupements socioculturels qui émergent du réseau lorsqu'un nombre suffisant d'individus participent à ces discussions publiques pendant assez de temps en y mettant suffisamment de coeur pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberespace."[1]. Cette définition fait ressortir les éléments importants en cause dans la formation de ces groupes sociaux. Une communauté virtuelle prend vie grâce à des interactions sociales, la formation de langages particuliers, le développement de valeurs et l'émergence d'un système de relations complexes. Le terme "communauté virtuelle" englobe un ensemble hétérogène de pratiques sociales, allant de l'association professionnelle aux groupes d'amis, et pouvant compter quelques personnes ou des centaines. On peut ainsi définir les communautés virtuelles comme des groupes sociaux qui prennent forme entre plusieurs individus par l'intermédiaire d'interactions en réseaux.

      La nature du groupe est susceptible d'influencer les rapports sociaux qui se déroulent en son sein. Dans le contexte d'une équipe virtuelle de travail, il y a souvent une contrainte extérieure, un but à atteindre, des échéances à respecter et des membres choisis. Dans le cas d'une communauté virtuelle professionnelle, il s'agit de personnes qui utilisent les réseaux pour favoriser la communication entre les acteurs d'un milieu et pour mettre en commun certaines ressources afin de bénéficier de l'expérience de chacun. Dans le cas des environnements virtuels de discussion, il s'agit alors d'individus qui discutent à loisir dans le but de se divertir, d'échanger de l'information ou de faire des rencontres agréables. C'est avec le temps que certains usagers trouvent un intérêt à se réunir plus régulièrement et à partager leurs connaissances ou simplement à s'amuser ensemble. C'est pourquoi il faut distinguer un rassemblement d'individus de la formation d'un groupe social. Pour qu'une communauté virtuelle se forme, il faut plus que des individus qui discutent ensemble, il faut que plusieurs mécanismes sociaux se mettent en place. C'est par l'attachement à un territoire, la présence d'un leader, un sentiment d'appartenance au groupe, des règles partagées, des valeurs communes, des langages particuliers, que peut prendre vie une communauté virtuelle.

La socialisation dans les environnements virtuels

      Le contexte dans lequel se déroulent les interactions sociales entre les usagers des environnements virtuels de rencontres influence la capacité de tisser des relations avec autrui. La distance géographique ne devient plus un obstacle et une relation peut désormais s'entretenir sur une base quotidienne entre des personnes de tous les coins du monde. Toutefois, le contexte d'interaction influence la façon dont les personnes peuvent communiquer avec autrui. La distance culturelle et l'absence d'expression non-verbale dans les échanges posent certaines difficultés pour décoder l'information sur l'autre et sur le contexte à travers l'interaction. Aussi, ce contexte apporte d'autres modes d'expression qui n'existent pas dans les interactions courantes hors des environnements virtuels. Ainsi, le développement d'une relation stable avec d'autres usagers demande une sensibilité particulière qui se développe graduellement par l'acquisition d'habiletés permettant de surmonter les obstacles au bon déroulement des interactions en réseaux.

      Les interactions en réseaux peuvent se former grâce à plusieurs moyens informatiques de communication. Si certains groupes se forment par des moyens comme le courrier électronique, il est toutefois plus fréquent d'observer la naissance de groupes dans des environnements virtuels de rencontres: forums de discussion, "Chats", etc. Dans ces environnements virtuels de rencontres, les usagers ont généralement une pratique individuelle et prennent plaisir à discuter avec d'autres usagers. Pour sa part, la naissance d'une communauté virtuelle demande que plusieurs facteurs sociaux soient rassemblés. Les gens doivent trouver un intérêt à se rassembler. Si la formation d'une équipe virtuelle de travail est souvent imposée, la formation des groupes virtuels résulte généralement d'un désir mutuel de se lier. D'ailleurs, cette appartenance n'est pas toujours explicite et c'est pourquoi il est souvent difficile de distinguer un ensemble d'individus qui discutent de façon ponctuelle d'un groupe basé sur des liens qui persistent dans le temps. En fait, les communautés virtuelles sont des groupes s'étant formés grâce aux interactions en réseaux, mais une fois formés, ils existent dans la conscience de leurs membres. C'est-à-dire que la communauté se vit par les relations avec les autres membres, et ces relations peuvent évoluer à travers plusieurs moyens de rencontres comme le courrier électronique, le téléphone, différents environnements virtuels et même les rencontres de personne à personne.

      Avant même qu'un groupe puisse se former, les usagers doivent acquérir les moyens sociaux et techniques permettant d'avoir des interactions viables et de développer des relations stables avec d'autres individus. C'est en observant les autres qu'un nouvel usager finit par acquérir les moyens de s'approprier la médiation technique et d'intégrer les éléments culturels des autres usagers. Car, en effet, avant de pouvoir développer une relation avec autrui, il faut d'abord maîtriser une machine et un logiciel, connaître les modes d'expression à sa disposition, il faut apprendre une nouvelle façon d'interagir avec autrui. Mais ce n'est pas tout, il faut ensuite s'approprier la culture des usagers de ces environnements, connaître les valeurs, le système hiérarchique, ce qui est admissible ou non, la façon d'amorcer une discussion, etc. Ainsi, ce premier travail, qui consiste à savoir interagir techniquement et socialement, est un travail qui peut nécessiter beaucoup de temps. Ce n'est qu'alors que l'on peut envisager qu'une relation plus régulière puisse prendre forme entre deux individus.

      Pour développer une relation stable dans le temps, plusieurs moyens particuliers doivent être développés, pour surmonter les éléments du contexte qui ne favorise souvent pas la possibilité de revoir les mêmes personnes. En effet, chaque usager d'un environnement virtuel de rencontres se branche à des moments différents, ce qui donne un caractère aléatoire aux rencontres. Ainsi, un usager qui désire entretenir une relation durable avec un autre usager doit développer des moyens d'y arriver. De plus, la pratique des usagers consiste souvent à visiter plusieurs environnements et plusieurs sites différents au sein de ces environnements. Ainsi, plusieurs usagers cherchent à faire la connaissance de nouvelles personnes et explorent ces environnements. Enfin, le caractère anonyme de certains environnements de discussion et l'usage de pseudonymes peuvent nuire à la possibilité d'établir une relation durable avec d'autres usagers. Pour développer une relation durable avec autrui, un usager doit d'abord développer des moyens de synchroniser ses rencontres avec certaines personnes. C'est par la fréquentation régulière d'un même espace et par les rendez-vous que les usagers arrivent à se rencontrer sur une base régulière. L'usage simultané de plusieurs outils informatiques favorise parfois cette possibilité de revoir les mêmes personnes, comme en utilisant le courrier électronique pour fixer des rendez-vous par exemple.

      C'est ainsi que plusieurs usagers arrivent à développer graduellement les moyens d'entretenir des relations interpersonnelles stables. Toutefois, la formation d'une communauté virtuelle nécessite d'autres apprentissages et d'autres moyens de maintenir la relation entre plusieurs membres d'un même groupe. Or, le contexte d'interaction de ces environnements ne favorise pas toujours la formation des moyens pour stabiliser les rapports entre les membres d'un groupe. D'abord, la culture courante de ces environnements virtuels favorise souvent l'épanouissement de soi, le développement d'une expérience individuelle et la formation d'un réseau personnel d'amis. Ainsi, les usagers cherchent souvent à faire de nouvelles rencontres ou à entretenir une amitié plutôt que de former un groupe durable. Dans ces environnements, les usagers veulent se divertir et trouver une certaine valorisation de soi à travers des relations interpersonnelles. Ainsi, les mécanismes sociaux nécessaires à la formation d'un groupe sont parfois difficile à rassembler.

La formation des communautés virtuelles

      Les motivations à pénétrer ces espaces virtuels sont aussi variées qu'il y a d'individus. Ils entrent en relation avec les autres par l'intermédiaire de logiciels de communication dans le but de se divertir, d'obtenir des informations et de rencontrer d'autres personnes. Ainsi, plusieurs usagers des environnements virtuels de rencontres n'ont pas pour objectif de se lier à un groupe. Chaque usager recherche les moyens technologiques lui permettant d'atteindre ses objectifs personnels: s'amuser, discuter, s'informer, ... Mais, une communauté virtuelle ne se forme pas toujours consciemment, c'est-à-dire que plusieurs individus qui échangent des informations sur une base régulière depuis plusieurs mois commencent à prendre une habitude, à connaître le langage des autres, à s'identifier à ce groupe, etc. Bref, une communauté virtuelle s'installe graduellement à travers les échanges. Avec le temps et la fréquentation des mêmes personnes, un individu finit par comprendre et partager certaines règles, valeurs, certains langages, etc. Progressivement, il s'identifie au groupe et intériorise les symboles et les valeurs. Ainsi, il ne s'agit pas d'un choix conscient, mais de l'identification ou de l'appartenance à un système de valeurs. Toutefois, les usagers se promènent souvent entre les espaces virtuels et développent des liens d'identification et d'appartenance à différents degrés et à diverses communautés.

      La formation d'une communauté s'appuie sur le rassemblement de plusieurs mécanismes sociaux. De plus, les communautés virtuelles sont de plusieurs natures. L'esprit de groupe qui se tisse entre des personnes semble se manifester plus couramment au sein de groupes restreints. C'est en effet à ce niveau que les relations sur une base régulière se réalisent, ce qui finit ultimement à permettre aux membres d'acquérir les aspects nécessaires à la consolidation du groupe. À la base, la constance des rapports entre des usagers semble être un facteur majeur permettant la formation d'un groupe. L'émergence d'un sentiment d'appartenance au groupe devient graduellement l'élément clé qui permet de consolider le groupe. L'acquisition d'un territoire propre aux membres du groupe et la présence d'un leader au sein du groupe sont des aspects majeurs permettant l'émergence de ce sentiment d'appartenance. Graduellement, un système de valeurs partagé prend forme ainsi que des modes d'expression propres aux membres du groupe. Le groupe s'organise et fournit un certain contrôle social par la consolidation d'un système social basé sur des valeurs, des langages et des règles propres aux membres du groupe.

      Toutefois, il semble que les valeurs générales de ces environnements virtuels de rencontres, comme la mise en valeur de l'individualité, nuisent à la formation de groupes. Le divertissement, la mobilité des usagers entre les espaces, le réseau personnel d'amis, sont autant d'éléments du contexte culturel qui ne mettent pas en valeur la volonté et les moyens d'aspirer à la formation de groupes. Ainsi, la formation de communautés virtuelles est possible mais ne constitue pas la pratique la plus courante dans les environnements virtuels de rencontres.

Le maintien des communautés virtuelles

      La formation d'une communauté virtuelle est un phénomène marginal puisqu'une grande quantité d'usagers de ces environnements de rencontres ont une pratique axée sur la mise en valeur de l'individualité. Et encore, des communautés virtuelles se forment mais se défont aussi constamment. Le contexte sociotechnique de plusieurs environnements permet cette pratique particulière qui favorise à la fois l'interaction mais moins la formation de groupes. Dans ce contexte, certains groupes persistent toutefois sur une plus longue période. Plusieurs facteurs bousculent continuellement la pratique des membres d'un groupe pour le ramener à une pratique plus individuelle. Ainsi, certains éléments doivent être rassemblés pour permettre à un groupe de se maintenir sur une longue période.

      Parmi les conditions qui nuisent à la formation et au maintien des communautés virtuelles. D'abord, la culture axée sur l'épanouissement de l'individu et des rencontres éphémères de certains environnement de discussion nuit au désir de former des groupes, qui peuvent être perçu comme une limitation à la liberté individuelle. Ensuite, plusieurs environnement virtuels de rencontres permettent des échanges sous le couvert de l'anonymat par l'utilisation de pseudonymes et ce contexte pose plusieurs problèmes à la possibilité de formation d'un groupe. En effet, dans ce contexte, plusieurs usagers trouvent plaisir à jouer avec leur identité et utilisent ce contexte pour expérimenter les interactions avec autrui. Aussi, la stabilisation de l'identité est parfois difficile, ce qui est pourtant nécessaire au maintien d'une relation stable avec une autre personne. Ce milieu particulier favorise une pratique du jeu et de l'individualité, mais ne favorise pas la stabilisation de relations sociales et la formation de groupes durables. Il en sera bien sûr autrement dans un contexte imposé, comme dans le cas d'une équipe de travail en réseaux. Ainsi, la formation de groupes sociaux est plus rare dans un contexte d'association libre.

      La stabilisation d'un groupe et la formation d'un système social capable de rétention de ses membres nécessite la mise en place de certains mécanismes sociaux. Parmi ceux-ci, la présence d'un leader, spontané ou choisi, constitue souvent un des meilleurs moyens de maintenir le groupe. La constance de sa présence constitue un facteur de stabilité du groupe. C'est aussi lui qui responsabilise les membres et motive ceux-ci à participer. De plus, il favorise l'intégration de nouveaux membres et contribue globalement au développement d'un sentiment d'appartenance au groupe. L'attachement à un territoire commun est un autre facilitateur du maintien d'une communauté virtuelle. Cet espace propre aux membres devient un repère et un point de rencontre pour favoriser des contacts fréquents entre les membres. Ces deux éléments font partie de la plupart des groupes qui arrivent à se maintenir sur une plus longue période.

      La stabilité de la composition du groupe favorise l'émergence d'un système social commun aux membres du groupe. À l'opposé, la mobilité constante des individus rend très difficile l'impression de permanence pour un individu qui voudrait s'attacher au groupe. Graduellement, d'autres mécanismes sociaux se greffent à ce système social en formation. Un sentiment d'appartenance se forme chez les membres en s'appuyant sur un univers symbolique propre aux membres. À travers les interactions en réseaux, les membres du groupe développent entre eux des codes, des modes d'expression, des valeurs et des normes propres au groupe. C'est avec le temps que se forme ce système et plus ce système symbolique commun arrive à se développer, plus le groupe pourra se maintenir.

      Chaque mode de communication a des avantages et des difficultés à rendre certains éléments d'une interaction. Si les relations de personne à personne fournissent davantage d'informations sur l'autre, sur le contexte d'interaction et sur le déroulement des échanges, il ne permet pas de jouer sur d'autres aspects. L'échange de messages par courrier électronique accentue l'importance des mots, permet un temps de réflexion entre la rédaction du message et l'envoie de la réponse, et permet enfin d'établir une relation avec une personne éloignée géographiquement. Pour sa part, un environnement virtuel de discussion favorise le dialogue, permet de discuter simultanément avec un ensemble d'individus éloignés géographiquement, tout en masquant une partie de l'information sur soi et sur les autres. Ainsi, chaque moyen de communication offre un contexte particulier favorable à certaines dimensions d'une relation à long terme et à éviter pour d'autres aspects. Il semble donc que la diversification des moyens de communication entre les membres d'un groupe peut jouer un rôle important dans le maintien d'une communauté virtuelle. En effet, les dialogues de groupe forment la pointe de l'iceberg et le maintien d'un groupe passe aussi par un réseau complexe de relations entre ses membres et par plusieurs moyens de communication. Certains individus peuvent développer un lien plus étroit entre eux et maintenir en sous-groupes des échanges par courrier électronique. De plus, plusieurs communautés virtuelles s'appuient sur des rencontres de personne à personne hors de l'environnement virtuel pour se maintenir. Chaque communauté virtuelle est unique et peut se maintenir grâce à la créativité de ses membres et au développement d'un système social propre aux membres du groupe.

L'émergence de nouvelles solidarités sociales

      Il existe donc plusieurs milieux virtuels dans lesquels se déroulent des interactions en réseaux. Un groupe isolé dans un contexte de travail imposé présente évidemment un cadre dans lequel le maintien sera forcé. Même dans ce contexte, les usagers doivent faire les efforts pour acquérir les habiletés techniques nécessaires à l'échange entre les membres. Ils doivent aussi s'investir pour organiser leur espace virtuel et rendre le travail fonctionnel et agréable. Le groupe a bien sûr plus de chance de se développer et d'établir les bases nécessaires à son maintien. Toutefois, la pratique des échanges en réseaux passe souvent par des environnements virtuels de discussion plus ludiques pour plusieurs personnes. Dans ce contexte d'association libre et d'échanges ludiques, la formation de groupes devient plus difficile. Les usagers de ces environnements développent leur pratique sur des valeurs particulières axées sur le développement personnel, le divertissement et la formation d'un réseau personnel d'amis. Pour plusieurs usagers, ces environnements constituent un nouveau milieu de vie et intériorisent profondément les valeurs et les pratiques partagées par les usagers. Ainsi, la fréquentation régulière de ces espaces virtuels influence grandement la socialisation de ces individus. Ils s'approprient de nouvelles représentations sociales, de nouveaux modes d'expression et un nouveau système de références identitaires.

      Dans un contexte éclaté, les communautés virtuelles ont généralement une faible capacité de rétention de leurs membres et une difficulté à se maintenir dans le temps. Toutefois, la créativité des acteurs sociaux impliqués favorise l'émergence de nouvelles structures de relations sociales, permettant à certains groupes de se maintenir. Globalement, les individus acquièrent une socialisation particulière à travers leurs relations sociales de toutes natures, et favorisent ainsi l'émergence de nouvelles formes de solidarités. Ces groupes particuliers s'inscrivent dans la conscience des individus et participent à l'ensemble de la vie social de ces individus. La transformation des sociétés contemporaines est ainsi affectée par la réintroduction de ces nouvelles valeurs, de ces nouveaux modes d'expression, etc.

      À travers les grandes transformations sociales du XXe siècle, les solidarités sociales ont amorcé une mutation profonde. À travers des interactions en réseaux et la participation à des communautés virtuelles, les formes de solidarité sociale subissent de grandes mutations. L'intensification de la division du travail a favorisé l'éclatement des modèles identitaires des sociétés contemporaines. Ces nouvelles formes de solidarité sociale favorisent maintenant l'émergence d'un procès personnalisé de socialisation dans lequel les individus construisent leur identité avec diverses caractéristiques identitaires empruntées dans diverses formes d'interactions et dans la confrontation de diverses cultures. Plusieurs environnements virtuels de rencontres favorisent l'émergence d'une culture de l'individualité et de la socialité interpersonnelle. De même, les individus apprennent à bâtir leur vie avec des identités multiples au sein de réseaux complexes de relations sociales. L'individu acquiert de nouvelles valeurs qu'il réintroduit dans ses rapports sociaux hors des environnements virtuels, ce qui rend pratiquement indélaçable les différents aspects sociaux qui pourraient distinguer des rapports dit "réels" et d'autres dit "virtuels". La participation sociale en réseaux et la vie hors réseaux font désormais partie d'un même objet de recherche, celui qui est commun à tous les sociologues.

Jean-François Marcotte

Notes:
1.- Rheingold, Howard. Les communautés virtuelles. Paris: Addison-Wesley France, coll. Mutations technologiques, 1995, p.6.
Références bibliographiques:

Breton, Philippe. La tribu informatique: enquête sur une passion moderne. Paris: Métailié, coll. Traversées, 1990, 190p.

Breton, Philippe et Proulx, Serge. L'Explosion de la communication. Louiseville: Boréal, Compact, 1994, 341p.

Cooley, Charles Horton. Social Organization: A Study of the Larger Mind. New York: Schocken Books, 1967, 425p.

Durkheim, Émile. De la division du travail social. Paris: Presses Universitaires de France, coll. Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1978, 416p.

Giddens, Anthony. Les conséquences de la modernité. Paris: L'Harmattan, 1994, 192p.

Goffman, Erving. La présentation de soi. T. 1 de La mise en scène de la vie quotidienne. Trad. de l'anglais par A. Accardo. Paris: Éditions de Minuit, 1973, 251p.

Lefebvre, Henri. Vers le cybernanthrope. Paris: Éditions Denoël, 1971, 213p.

Marcotte, Jean-François. Les communautés virtuelles: mécanismes de régulation et identités sociales. Mémoire déposé comme exigence de la maîtrise en sociologie. Montréal: Université du Québec à Montréal, Département de sociologie.

Newcomb, Theodore Mead, Turner, Ralph H. et Converse, Philip E.. Manuel de psychologie sociale: l'interaction des individus. Trad. de l'anglais par Hubert Touzard et Anne-Marie Touzard. Paris: Presses Universitaires de France, 1970, 639p.

Rheingold, Howard. Les communautés virtuelles. Trad. de l'anglais par Lionel Lumbroso. Paris: Addison-Wesley France, coll. Mutations technologiques, 1995, 311p.

Notice:
Marcotte, Jean-François. "Communautés virtuelles: la formation et le maintien des groupes sur Internet", Esprit critique, vol.03 no.10, Octobre 2001, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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