Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.03 No.02 - Février 2001
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Articles
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Les évolutions de l'école contemporaine au cours de ces dernières années.
Par Claude Faessel

Résumé:
Le monde éducatif a de tout temps chahuté la cinquième république avec une pointe en 1968. Les enseignants ont été stabilisés dans leur position administrative par la résorption de l'auxiliariat et amélioration de leur conditions d'exercice par professionnalisation de la fonction et revalorisation de cette dernière (avec plus ou moins de bonheur). Le paysage syndical s'est reconstitué mais l'exercice du métier voit l'enseignant fragilisé.

      Les familles de leur côté sont marquées par une nouvelle composition avec tissage de nouveaux liens et une modification des rôles au sein des familles.

      La décentralisation par contre, a engendré une nouvelle logique administrative et comptable. La massification a généré un nouveau rapport à l'école qui devient plus sensible aux problèmes de la société.

      Les établissement, malgré les soubresauts créés par les grèves fortes des collèges de la région parisienne et celles des étudiants, sont en restructuration. La fonction de l'enseignant est complètement revue dans les chartes du XXI ème siècle.

      A l'époque où se prépare le XXI ème siècle, c'est un regard sur l'évolution de l'école sous l'angle du primaire et du secondaire (centré plus particulièrement sur la deuxième moitié des années 90) qui est porté dans cet article. Cette évolution est resituée à l'aune des différents acteurs du mouvement éducatif sans oublier un retour en arrière dans le temps.

1. L'éducation nationale, l'enfant turbulent de la V ème République:

      Le mouvement universitaire, depuis la création de la cinquième république en France le 28/09/1958, est lié à la politique nationale. C'est jusqu'en 1962, un bastion de l'opposition à la guerre d'Algérie. Ce sera par la suite, comme dans de nombreux pays, un bastion de l'opposition à la guerre du Vietnam.

      Des institutions importantes aussi bien chez les étudiants comme le ou les UNEF [1], la MNEF [2], que chez les enseignants comme la FEN [3] qui est leur principal syndicat, se comportent comme de véritables contre-pouvoirs, au point qu'une certaine droite accusera le ministre Haby, initiateur du collège unique d'avoir fait une réforme sous la pression de la FEN. Lorsque la FEN éclata entre une FEN maintenue et que la FSU [4] devenue premier syndicat des enseignants prit le relais de l'opposition, c'est Claude Allègre, ministre de l'éducation qui engagea un bras de fer avec le SNES [5], composant principal de la FSU pour reprendre, à ses dires, son autonomie d'action. La Société des Agrégés est occultée de la liste officielle des contre-pouvoirs qui ont leurs entrées au ministère. C'est un mouvement corporatiste infiltré dans les rouages de l'administration centrale qui a un poids très lourd et qui agit sans faire parler de lui.

      Depuis la vague déferlante de 1968 (où pour première fois dans l'histoire de la Ve république, se sont manifestés les lycéens à travers les CAL [6]), plusieurs mouvements ont défrayé la chronique. En mars 1975 ce sont des manifestations de lycéens contre la réforme Haby (Présidence de Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac premier ministre). Toujours en mars mais en 1984 manifestations de 500 000 personnes pour l'enseignement libre alors qu'Alain Savary, ministre de l'éducation (Présidence de François Mitterrand, Pierre Mauroy premier ministre) propose un service public unifié et laïque d'éducation nationale, le SPULEN, incluant l'enseignement confessionnel. La réplique survient près de deux mois après: manifestations de 150 000 personnes pour l'enseignement laïque et contre manifestation deux mois après de 1 400 000 personnes pour l'enseignement libre. Alain Savary démissionne après l'abandon de son projet de loi. En 1986, se déroulent des manifestations d'étudiants contre la loi Devaquet (Présidence de François Mitterrand, Jacques Chirac premier ministre). Au cours d'affrontements avec la police, Malik Oussekine est tué. Devaquet démissionne. Fin 1987 face au "Plan d'urgence" Jospin (Présidence de François Mitterrand, Michel Rocard premier ministre), les lycéens descendent dans les rues de Paris. En décembre1993 (Présidence de François Mitterrand, Edouard Balladur premier ministre) eu lieu une manifestation contre le projet de révision de la loi Falloux, environ 700 000 personnes (projet cassé le 13-1-2023). En septembre 1994, F. Bayrou, Ministre de l'Education, réglemente le port des insignes religieux ostentatoires à l'école (Présidence de François Mitterrand, Edouard Balladur premier ministre). C'est ainsi qu'en février 1999 le conseil de discipline d'un établissement peut décider du renvoi de deux élèves portant le foulard islamique.

      En 1995, pendant les grèves de l'automne, les enseignants se sont ralliés au mouvement pour la défense de la sécurité sociale.

      Après le changement de gouvernement de 1997, l'année suivante a été riche en mouvements. De février à mai suite à de phénomènes de violence, le département de la Seine St Denis surtout a connu des grèves et manifestations dures. L'automne 98 a vu éclore le mouvement lycéen et la grève dans les IUT. Les départements d'outre mer ont eux aussi été touchés (avril 1998) comme l'indique la dépêche suivante: "Toutes les écoles, collèges et lycées de Guadeloupe sont fermées depuis jeudi dernier par suite d'une grèves des enseignants, constitués en intersyndicale, qui se plaignent de la surcharge de leurs classes et revendiquent la création de 169 postes. Les portails de toutes les écoles de l'archipel ont été cadenassées par les grévistes, qui occupent le siège du rectorat à Pointe-à-pitre depuis jeudi dernier." [7]

2. Les enseignants:

2.1 Une recomposition syndicale:

      Les forces de droite ont tenté de créer une confédération syndicale ouvrière dite indépendante, la CSL [8] en 1977. Elle prenait la suite de la CFT [9] fondée en 1959 et d'inspiration gaulliste. Elle s'appuie sur la défense de l'emploi et l'idée de la cogestion ouvrière. L'UNI [10] créé en 1968 en apparaît comme la branche universitaire.

      Le paysage syndical français reste cependant axé à gauche.

      La CGT rassemble les enseignants du technique.

      Eclatement de la puissante FEN qui regroupait différents niveaux de corps d'enseignants et organisé autours de quelques tendances à connotation politique: le SNI composé des enseignants du primaire et PEGC dirigé par la tendance UID (à caractère socialiste), le SNES composés des enseignants du secondaire (maîtres auxiliaires, certifiés, agrégés, adjoints d'enseignements) dirigé par la tendance UA [11] (communiste) et le SNE-Sup [12] de même tendance. La direction de la FEN est quand à elle dirigée par UID. Cette dernière, tente d'exclure la tendance concurrente UA. Il en ressort une rupture avec conservation d'une FEN amoindrie constituée essentiellement par l'ancien SNI et naissance d'un nouveau syndicat (printemps 1992) mais aussi d'un nouveau syndicalisme avec la FSU composée essentiellement d'une partie du SNI, du SNES et SNE-Sup. La tendance Ecole émancipée du temps de la FEN, rejoint le nouveau syndicat. Les élections professionnelles le feront apparaître comme premier syndicat des enseignants.

      Ce dernier apparaît en même temps que se produisent des dissidences dans d'autres centrales syndicales comme la CFDT (naissance de Sud-PTT), des recentrages syndicaux comme à FO. Un nouveau syndicalisme semble se créer combinant revendication et responsabilité.

2.2 Plan de résorption de l'auxiliariat:

      Depuis la mise en place des IUFM, la formation des enseignants est normalisée. Des efforts avaient été réalisés pour réduire les catégories d'enseignants (mise en extinction de corps comme les adjoints d'enseignement et PEGC) et résorber les maîtres auxiliaires employés généreusement à une époque de grand besoin. En 1995, un concours spécifique leur est ouvert pour un cinquième des postes ouvert aux autres catégories. La mobilité des enseignants est plutôt assurée par des titulaires-remplaçants ou titulaires académiques.

2.3 Revalorisation des enseignants:

      C'est Lionel Jospin, alors Ministre de l'Education, qui au début des années 90 lança un plan de revalorisation des enseignants. Il mit sur pied un ensemble de mesures de concernant l'évolution de carrière et les salaires. Cet ensemble de mesures s'accompagnait d'un contrat implicite dans lequel les enseignants devaient en contre partie être plus performant, accepter l'hétérogénéité et la pédagogie différenciée qui en découlait. Bien entendu, les orientations pédagogiques étaient fournies, le comment faire absent.

      Chaque corps d'enseignement est hiérarchisé. L'évolution dans la carrière s'effectue en fonction de l'ancienneté et de la notation administrative et pédagogique. Le personnel gravit donc des échelons auxquels sont associés des indices permettant une comparaison entre corps. En effet, chaque point d'indice représente une valeur monétaire identique pour tout corps [13].

      Ces deux dernières notations sont fonction de l'ancienneté dans le corps. Ainsi, un enseignant reconnu comme excellent, ne peut avoir une note de 20/20 surtout s'il est débutant. Une forme d'assouplissement est prévue: les notes sont mises dans une fourchette comprise entre un minimum et un maximum. La règle générale consiste à attribuer dans les cas classiques la note moyenne de l'échelon. Lorsque l'enseignant est stable dans son poste, il passe plus facilement à la notation maximum de l'échelon.

      Chaque corps possède 11 échelons (sauf les maîtres auxiliaires) à gravir à partir du premier. La durée maximum de séjour dans un échelon est fixée dans le tableau d'avancement. Plus l'on monte en échelon, plus la durée de passage s'accroît. En fonction de sa notation et de son ancienneté dans l'échelon, l'enseignement peut passer à l'échelon suivant plus rapidement. Il existe donc un passage dit au grand choix à la moitié du temps requis pour 25% (ou 1/7e) des titulaires, à la moitié du temps requis augmenté généralement d'un an pour environ un autre quart (passage au petit choix), les autres passant à l'ancienneté.

      Suivant le moment dans l'évolution de la carrière, il y a nécessité de demander une inspection pour pouvoir bénéficier d'un passage anticipé à l'échelon supérieur.

      Ainsi les instituteurs du primaire terminent au 11e échelon à l'indice 512, les maîtres auxiliaires (les seuls à terminer au 8e échelon) au mieux à l'indice 504, les PEGC du secondaire au 11e à l'indice 537, les certifiés à l'indice 655, les bi-admissibles à 685, les agrégés à 818. Ainsi plus on monte dans la hiérarchie scolaire (école, collège, lycée), plus on est diplômé et plus on gagne (mis à part les maîtres auxiliaires).

      Après le plan de résorption de l'auxiliariat (intégration des maîtres auxiliaires et adjoints d'enseignement, corps à statut transitoire), de nouvelles perspectives de carrière sont proposées aux enseignants. Des hors classes sont créées et accessibles en fonction de l'ancienneté. Ainsi la hors classe des PEGC les amène à l'indice 655 (au lieu de 537), indice de fin de carrière d'un certifié. Ils avaient bénéficié en 1981, d'un abaissement de l'obligation de service hebdomadaire de 21 heures à 18 H. Il y a donc bien là une revalorisation du corps des PEGC. Elle sera temporisée par un quota annuel dégressif qui ne permettra qu'à une minorité d'en bénéficier. Il y aura même une hors classe exceptionnelle qui permet d'atteindre l'indice 731 d'un certifié hors classe.

      De même sera créée une hors classe pour les certifiés (indice terminal 731 comme déjà dit) et une hors classe pour les agrégés allant jusqu'à l'échelon 960). Pour ces deux dernières catégories, la revalorisation sera vraiment efficace.

      Un nouveau corps pour le primaire vient cohabiter avec le corps des instituteurs. C'est celui des professeurs d'école qui sont issus de la transformation des écoles normales en IUFM. La logique d'avancement des PE est telle qu'au bout de 4 ans 6mois, un PE atteint le 5e échelon avec un indice de 436 alors qu'instituteur doit arriver au 9e échelon pour atteindre (avec 17 ans d'ancienneté) l'indice 438. Par contre les instituteurs partent à la retraite, sauf exception, à l'âge de 55 ans contrairement aux autres corps. Une fin de carrière pour les PE se fait à l'indice 655 pour la classe normale et 780 pour la hors classe.

      La cohabitation de ces deux corps au sein de l'école primaire a donc créé des rancoeurs. C'est pourquoi, l'intégration des instituteurs dans le corps des professeurs d'école par examen ou décision administrative a due être mise en place. Cette intégration n'inclue pas de reconstitution de carrière (sauf pour les lauréats des concours externes) et se fait en fonction de l'ancienneté. A l'heure actuelle, chaque instituteur peut espérer atteindre la classe normale des PE lors de son départ à la retraite. Claude Allègre, Ministre de l'Education s'y engage. Toute une frange d'instituteur est partie est la retraite sans pouvoir bénéficier d'une revalorisation. La revendication majeure du SNU-ipp (branche syndicale de la FSU) est l'intégration de tous les instituteurs dans le corps des PE.

      Pour améliorer l'avancement des PEGC, une possibilité d'intégration dans le corps des certifiés leur est offerte. Le décret 68 autorise les titulaires d'une licence à passer dans le corps des certifiés avec reconstruction de carrière. Le décret 93 (mis en place par Jack Lang, ministre de l'Education Nationale) autorise les non diplômés à intégrer le corps des certifiés sans reconstruction de carrière. Cependant les critères sont administratifs (accord de l'inspecteur de la discipline concernée) et surtout liés à l'ancienneté. Ainsi les PEGC qui ont profité de ces décrets avaient donc une ancienneté certaine et se sont vu couper des possibilités d'atteindre les hors classes de leur nouveau corps, même lorsqu'il y a reconstitution de carrière. En effet cette dernière minore l'ancienneté réelle, et ils ont renoncé à celle de leur ancien corps qu'il auraient peut-être atteint en raison de la forte diminution des effectifs de ce corps (départ à la retraite, intégration dans d'autres corps).

      De la même façon, les certifiés peuvent être intégrés dans le corps des agrégés mais le poids non négligeable de ce corps auprès du ministère a fait que les nouveaux intégrés ne peuvent bénéficier des mêmes avantages que les vrais agrégés. Faut-il y voir le pouvoir occulte de la Société des Agrégés ?

      Notons que depuis 1981, les réajustements de salaire liés notamment à la hausse du coup de la vie ne touche guère les fonctionnaires. Face à la dévaluation du pouvoir d'achat des enseignants, la seule évolution salariale restante est celle liée aux promotions de carrière. Elles ont donc une acuité plus forte.

      Il en résulte que les revalorisations des parcours sont limités (à cause de la loi de l'ancienneté) et ont généré pour la majorité de ceux qui en ont bénéficié de grandes frustrations. Seule une petite minorité a pu bénéficier d'une revalorisation réelle. Ceux pour qui la revalorisation a été payante sont les certifiés et agrégés, c'est-à-dire ceux qui en avaient le moins besoin et ceux qui sont considérés comme l'élite des enseignants.

      En ce qui concerne la revalorisation morale, elle tarde à venir. Considérés un temps avec le corps des fonctionnaires dont ils font partie, comme des "nantis" et des "privilégiés", ils ont courbé l'échine et se sont tus. Aucun ministre n'est parvenu à faire remonter leur aura. De récents sondages laissent à penser que la majorité des français ont une opinion favorable du corps enseignant.

      Une enquête de 1996 réalisée par la SOFRES et commandée par la FSU indique que 74 % des français jugent le travail des enseignants assez ou très satisfaisant, 52% considèrent que l'enseignement fonctionne assez ou très bien. C'est ce que confirme l'hebdomadaire Mariane dans un article provocateur "Les profs, ces héros" (no 56, mai 1998).

      Par contre le corps enseignant perçoit son ministre actuel qui a succédé à un ministre incolore, comme un fossoyeur de leur identité, autoritaire et méprisant. Chacune de ses interventions est mal perçue et la liste des expressions assassines qui lui sont attribuées s'allonge.

      Claude Allègre était le bras droit de Lionel Jospin lorsque ce dernier alors Ministre de l'Education à lancé la revalorisation des enseignants. Plusieurs années après devenu lui-même Ministre de l'Education, il leur reproche de ne pas avoir honoré leur contrat implicite par lequel ils se devaient d'être plus performant. Il manifestait déjà ses attentes au début de la revalorisation par des rapports basés sur l'idée que l'on pouvait faire du neuf avec du vieux.

      C'est pourquoi, devenu Ministre, il tente de lancer la vindicte populaire contre ses administrés par des petites phrases assassines visant à décrier le corps enseignant. Une fracture irrémédiable semble naître entre le corps enseignant que l'on voudrait moteur de l'évolution et son ministre initiateur du changement.

      Les grèves perlées du mois de février 1999 contre les fermeture de poste, ont généré le 15 mars une mobilisation des enseignants contre leur ministre et un violent désir le voir partir.

      Dans les réformes qu'il propose, rejetées par les syndicats, avec la "Charte de l'école du XXIe siècle" Claude Allègre cherche à rassurer les enseignants: "Vous restez les maîtres de vos classes. C'est à vous et à vous seul qu'il incombe de conduire et de piloter l'enseignement ... Nous vous donnons plus de souplesse, dans l'organisation de votre temps, ... Enfin, nous revalorisons le statut des enseignants [14]. ... cette charte traduit notre confiance et notre respect à l'égard de tous les enseignants ...". (extraits de la lettre d'accompagnement de la charte en date du 5 mars 1999, adressée à tous les enseignants).

2.4 Professionnalisation de la fonction:

      Les enseignants du primaire étaient traditionnellement formés par les Ecoles normales. Ceux du second degré, hormis les PEGC [15], corps en voie d'extinction par arrêt du recrutement, étaient peu formés à l'enseignement.

      La création des IUFM [16] permet de canaliser dans une même institution les futurs enseignants. Comme sa dénomination ne l'indique pas, l'IUFM est chargé de former des professeurs. Dorénavant, il n'y aura plus que des professeurs y compris dans le primaire où est créé le corps des professeurs d'école (PE) chargé de replacer les instituteurs. Tout enseignant est titulaire du niveau bac plus trois (trois enfants ou une licence). Une culture commune est dispensée à tout futur enseignant en complément de leur éventuelle spécialité.

      Les missions fixées par la formation initiale consistent à faire du nouvel enseignant quelqu'un qui connaît l'historique de ce qu'il enseigne, les grand débats qui animent la ou les disciplines, les enjeux épistémologiques. Il sait situer la culture disciplinaire par rapport aux divers champs de la connaissance. Il sait qu'il aura besoin d'une formation permanente tout au long de sa carrière. Il est capable de concevoir, préparer, mettre en oeuvre et évaluer des séquences d'enseignement qui s'inscrivent de manière cohérente dans un projet pédagogique annuel ou pluriannuel. Il sait conduire sa classe et créer dans la classe les conditions favorables à la réussite de tous.

      L'enseignant exerce sa responsabilité dans l'établissement en prenant en compte ses caractéristiques ainsi que celles du public qui lui est confié. Il s'implique dans le projet d'établissement et accepte de travailler avec les autres membres de la communauté éducative relevant de corps différents (police, gendarmerie, santé, justice...). "La formation initiale du professeur doit s'inscrire dans une double finalité: la première est de conduire le futur professeur à prendre la mesure de sa responsabilité en l'aidant à identifier toutes les dimensions du métier ; la seconde est de lui donner le goût et la capacité de poursuivre sa formation, pour lui permettre à la fois de suivre les évolutions du système éducatif et de sa discipline, et d'adapter son action aux élèves, très divers, qui lui seront confiés au cours de sa carrière". [17]

2.5 Fragilité des enseignants:

      "Un instituteur d'une école primaire de Montpellier a été condamné à une amande de 3 000 F avec sursis par le tribunal pour avoir donné un coup de pied aux fesses." (La Provence du 25/11/98).

      Depuis l'affaire du sang contaminé et le MonikaGate, ni un président, ni un ministre ne sont à l'abri de la justice, encore moins un enseignant.

      Deux cas liés au département des Bouches du Rhône sont très chargés en symbolique. Il s'agit du cas de Mme Luongo, directrice d'école à Fos sur mer, mise en examen dans le cadre des affaires de pédophilie. Les soupçons portaient sur un des ses adjoints. Alertée, elle a pris contact avec les parties concernées. Prise en contradiction entre la tradition administrative qui consiste à éviter de faire "des vagues" et la vindicte populaire qui réclamait des coupables, elle a été mise en examen pour avoir tardé à alerter la justice.

      Jean-Claude Colson, directeur d'école, a été mis en examen en raison d'un accident mortel lié à une sortie scolaire. Il lui a entre autre été reproché de ne pas avoir vérifié l'état du car ayant servi à effectué la sortie scolaire. Depuis beaucoup d'écoles du département boycottent les sorties scolaires.

      Corse-matin du 11 mars 1999 titrait "La directrice au piquet" à propos de la condamnation d'une directrice d'école de Calvi après plainte des parents pour un accident arrivé à un élève dans la cours d'école lors d'une récréation, la surveillance étant assurée normalement.

      C'est un précédent qui semble attribuer aux enseignants une responsabilité totale.

3. Les familles:

3.1 Une évolution de la notion de couple:

      Selon une étude de l'INSEE, la notion de couple a évolué depuis la fin de la guerre avec un point de rupture situé en 1972. Au cours des années 50 et soixante, la notion de couple rimait avec mariage, et précocité.

      Les mariages sont devenus moins fréquents et plus tardifs. La cohabitation qui concernait principalement les veufs et divorcés devient un prélude au mariage avant de devenir un mode de vie à part entière. En 1990, 90% des couples étaient constitués de deux conjoints mariés. Cependant, depuis 1993, le divorce ne fait que croître. La fragilité croissante du couple brouille les repères.

3.2 Une nouvelle composition familiale:

      Les repères familiaux sont plus complexes et moins lisibles. La ventilation de l'autorité nécessaire à l'éducation se disperse autours de plusieurs acteurs. La temporalité de cette déposition n'est plus permanente. Ainsi, un dépositaire de l'autorité peut l'être à un moment donné, ne plus l'être à un autre moment.

      Dans les pays nordiques (INSEE première no 493, octobre 1996) les enfants restent plus longtemps sous le toit familial. Il rassemble naturellement plus d'acteurs familiaux différents que dans les pays du Sud ou l'autonomie est plus grande.

3.3 Des familles monoparentales et recomposées:

      La désunion marquée jadis par le divorce prend de nouvelles formes depuis quelques années. Le divorce en progression (multiplié par 2,8 entre 1970 et 1985) commence à baisser à partir de cette dernière date.

      Les familles se séparent alors sans divorce ou forment de nouvelles unions pouvant générer de nouvelles familles. Le lien familial peut alors être rompu avec le parent qui n'a pas la garde de l'enfant ou maintenu. Dans ce dernier cas, la nouvelle union offre une nouvelle belle-famille avec des beaux-parents, beaux-grand-parents, demi-frères et demi-soeurs. On obtient alors des familles "structurées en réseaux" (Le Gall D., Martin C., L'instabilité conjugale et la recomposition familiale, in La famille: l'état des savoirs, Editions La découverte, Paris, 1992). Le remariage vient parfois institutionnaliser ces recompositions.

      La référence traditionnelle à la famille nucléaire rend plus flou les rôles et devoirs des différents acteurs. Le non-parent n'est plus détenteur de l'autorité naturelle que déférait la famille nucléaire au couple géniteur. C'est dans la négociation, en fonction des rapports des enfants avec leurs gardiens que se forgent les relations d'autorité.

      Lorsqu'il y a séparation d'avec le conjoint sans constitution de nouvelle union, on parle de famille monoparentale. En France, la reforme du divorce de 1975 et la reconnaissance de cet état de fait par la politique familiale (allocations familiales aux parents isolés) a facilité ce type d'évolution.

3.4 Une disparité des rôles et statuts:

      Dans tous les cas de désunion, le problème de la distance entre modèle familial nucléaire et le nouveau type de famille créé, génère un flou et la difficile lisibilité des devoirs et rôles de chacun, engendre une perte des repères traditionnels. Par la suite les repères des familles traditionnelles sont remis en question.

      C'est bien lorsque la lisibilité s'estompe que l'on repense les modèles et qu'ils se retrouvent mis à mal et perdent eux aussi de leur lisibilité.

3.5 Des stratégies différentes:

      Les ambitions scolaires des parents ne sont pas les mêmes envers les garçons que les filles. Les parents préfèrent une formation technique ou scientifique pour les garçons et acceptent des études plus poussées pour les filles. La réussite ou la non réussite affectent plus les familles à faible niveau d'instruction et est plus marquée pour les garçons que pour les filles.

      Pour les milieux aisés les modèles culturels auxquels se réfèrent les projets scolaires reflètent un soucis d'efficacité plus marqué pour les garçons valorisant les qualités personnelles (effort, dynamisme, sens moral). Pour les parents de niveau culturel plus faible ou moins aisés, sont privilégiées des qualités plus relationnelles, ambition ou débrouillardise. Pour ces derniers sont valorisés pour les filles les qualités traditionnelles de l'image de la femme: charme et sens de la famille.

      Les mères au foyers préfèrent la respectabilité (Duru-Bellat M., Jarousse J-P, Le masculin et le féminin dans les modèles éducatifs des parents in Economie et statistique, no 293 - 3, 1996).

      Zéroulou Z. [18] avait montré que la réussite des enfants d'immigrés tenait dans la mobilisation familiale autours d'un projet scolaire.

      C'est ce que confirme Malika Gouirir dans son intervention au colloque "Défendre et transformer l'Ecole pour tous" (Marseille, 3-4-5 octobre 1997) intitulée "Ouled El Kharij: les enfants de l'etranger, de la trajectoire des pères au devenir des enfants". Il montre que suivant l'ambition d'intégration en France ou le désir de retour dans le pays d'origine (Maroc) se jouait l'investissement des parents dans un projet de réussite scolaire pour leurs enfants: "C'est à cette condition que l'on peut espérer comprendre complètement tout à la fois le cursus scolaire, les engagements professionnels, les choix matrimoniaux des enfants en les rapportant à l'investissement éducatif et aux moyens mis en oeuvre par le père pour conserver et améliorer la position sociale de sa "famille" notamment dans son groupe de parenté. Le recours au système scolaire est inégal selon les familles et différencié au sein des fratries selon le type de capital à reproduire et selon les positions dans chacun des deux espaces nationaux (Maroc, France)".

      Pour Rochex J-Y, c'est le sens que l'élève donne à sa scolarité plus qu'une différence de capital culturel qui produirait l'échec ou la réussite [19].

4. La décentralisation (Gaston Deferre):

      Introduite par le Ministre de l'intérieur au début des années 1980, l'administration financière des différents secteurs de l'école relève dorénavant de sources différentes. Ainsi l'enseignement primaire est financé par les municipalités et relève administrativement des inspections académiques sous tutelle du Ministère de l'Education.

4.1 Des responsabilités délocalisées:

      Les collèges sont financés par les conseils régionaux et sous gestion administrative des rectorats sous tutelle du ministère de l'éducation.

      Les lycées professionnels et généraux sont eux financés par les conseils régionaux et sous gestion administrative des recteurs.

      Le personnel enseignant est payé par le ministère de l'éducation.

      Ces différents acteurs/payeurs participent financièrement aux activités pédagogiques et ont tendance à imposer des activités et du personnel de leur choix avec des soucis plus proche de la politique locale que de la pédagogie, sous couvert du bien de l'enfant, placé, rappelons-le par la loi d'orientation de 1989, au centre du processus éducatif.

      Ainsi dans les écoles maternelles et primaires, les subventions de fonctionnement relèvent de la municipalité ce qui n'est pas sans dérive possible (voir la municipalité de Vitrolles). Cette dernière est propriétaire des locaux. Le personnel enseignant relève pédagogiquement de l'inspection académique via l'inspecteur départemental. Il cohabite avec du personnel municipal. Le problème, pour la direction de l'école consiste à gérer du personnel qui ne relève pas de son autorité.

      En dehors des heures scolaires, la municipalité, détentrice des locaux, est libre de les prêter à toute association. Les différentes options de gestion du temps scolaire permettent de faire intervenir du personnel hors Education nationale pour des activités éducatives. L'enfant se retrouve pris en charge du matin au soir sans interruption, ce qui n'est pas toujours à son bénéfice mais satisfait un électorat à charmer lors d'élections locales de type municipal. Ainsi au nom des rythmes scolaires, on risque de saturer l'enfant d'activités tout au long de la journée.

      L'ingérence d'un gérant politique dans l'activité pédagogique représente une déviance possible que les états nord-américains et anglo-saxons connaissent. C'est le sens des interventions d'Agnès Van Zanten au colloque Défendre et transformer l'école pour tous (1997) sous le titre Libéralisme et managérialisme dans les systèmes d'enseignement: une comparaison France-Angleterre et au congrès du SNU-ipp 13 (BdR, 1998).

      La renaissance de pouvoirs locaux (municipaux, départementaux, régionaux) dus à la décentralisation fait apparaître de nouvelles féodalités [20] et de nouveaux seigneurs.

4.2 Une nouvelle logique administrative:

      A la logique de l'égalité républicaine est substituée celle de l'équité. Son principe réside en la discrimination positive. Les établissement reconnus comme en difficultés disposerons de moyens supplémentaires. La quadrature des budgets nécessite de prendre ces moyens sur les établissement qui sont considérés comme étant bien lotis.

      C'est alors la naissance des ZEP [21] en 1982 sous l'impulsion d'Alain Savary, ministre de l'époque. Une première carte apparaît en 1983. Chaque ZEP a des caractéristiques spécifiques. Il peut s'agir d'écoles isolées dans un territoire rural démuni aussi bien que d'une commune de banlieue. Entre ces deux extrêmes, il existe tout une variété de situations. Dans tous les cas de figure y dominent les inégalités sociales et l'échec scolaire.

      La ZEP est conçue à son origine non seulement comme un apport de moyens supplémentaires mais aussi comme un état transitoire devant mener à la sortie de ZEP. Il s'est avéré par la suite que les établissement classés en ZEP prennent en compte le confort apporté par les moyens supplémentaires qu'ils considèrent par la suite comme la normalité. Une sortie de ZEP correspondrait alors à leurs yeux à une régression voire à un désaveu des actions accomplies et en cours.

      En 1990, Lionel Jospin, ministre de l'Education Nationale de l'époque, entreprend de dynamiser à nouveau les ZEP, faisant progresser leur nombre de 363 en 1983 à 544 en créant une indemnité spéciale d'enseignement dans ces zones.

      En 1992, Jack Lang, ministre de l'Education Nationale à l'époque, introduit principalement dans les lycées le label d'établissements sensibles.

      En 1995, François Bayrou, ministre de l'Education Nationale de l'époque, adopte deux plans pour lutter contre la violence et renforce les aides dans les zones sensibles.

      En 1998, Ségolène Royal, ministre déléguée à l'Enseignement scolaire, annonce une relance des ZEP et présente en Février 1999 une nouvelle carte annonçant un nombre important de sorties de ZEP (environ 600) assorties de mesures d'accompagnement et encore plus d'entrées (environ 1 600). Ce redéploiement est peut-être du à l'action des lycéens de l'automne 1998.

      De nombreuses actions se sont engagées au coup par coup dans les ZEP sans véritable plan d'action et sans lendemains.

      Il en ressort cependant que, malgré la prime d'enseignement dans ces zones offerte aux professeurs, les ZEP restent les lieux privilégiés de première nomination pour les enseignants débutants et que le personnel n'y est absolument pas stable, alors que la logique imposerait que ce soient les professeurs les plus expérimentés qui y enseignent et forment un noyau stable.

      Avec la politique volontariste des ZEP, s'est développée, toujours sur le principe de la discrimination positive, la globalisation des moyens d'enseignement au niveau des académies et la distribution différentielle de ces mêmes moyens. C'est l'équation insoluble de la DGH [22 ] que connaissent les établissements secondaires chaque année aux alentours du mois de décembre.

      Cette DGH s'inscrit, au fur et à mesure que se rapproche l'échéance de la monnaie unique en 1999 associée à la réduction des déficits budgétaires qu'elle impose de façon arbitraire, dans une politique d'innovation à moyens constants. Cette option revient à pronostiquer que les changements peuvent s'effectuer à partir de l'existant en faisant alors surgir les ressources internes inexploitées en les optimisant. Faut-il comprendre qu'il s'agit d'une manière déguisée de changer de cap sans s'en donner les moyens ?

      La politique des ZEP devait être appuyée par une politique de la ville. Cette dernière ayant fait bien trop souvent défaut, les dés se retrouvent pipés. Un désenchantement fait alors place à l'enthousiasme du départ.

5. Un nouveau rapport à l'école:

      L'école et l'enseignant jouissaient d'une douceur harmonieuse. Elle correspondait à un consensus entre parents et institution où chacun y trouvait ses repères.

      L'école à niveaux assurait à chaque couche sociale une ascension claire. L'école primaire correspondait aux couches laborieuses, et offrait aux meilleurs élèves la possibilité d'atteindre le primaire supérieur. Le lycée était réservé aux couches supérieures. Le diplôme était reconnu comme gage de réussite sociale.

      Le système scolaire était parfaitement clair et un consensus en assurait le fonctionnement.

      C'est dans les années 1980-90 que la demande sociale de formation s'accroît et particulièrement dans les familles populaires en raison des effets de la crise des années 70. Une volonté des pouvoirs publics d'élever le niveau de formation s'exprime à travers l'objectif des 80% de jeunes au niveau bac. Dès lors la question scolaire devient d'une extrême sensibilité.

      Les familles s'impliquent de plus en plus dans les structures scolaires. Le Nouvel Observateur (no 1557, septembre 1994) titre en couverture et y consacre un dossier: "Comment mieux travailler à l'école. Douze conseil pour aider à apprendre".

      L'école hérite de structures périmées particulièrement au collège où il existe différents paliers de sortie. Il seront au cours des années 80-90 déplacés. Ainsi le taux d'élèves entrant en seconde passe de 38% en 1981 à 57% en 1991. Plus d'élèves entrent en 6e et c'est au lycée que la demande d'école s'engouffre le plus, passant de la 6e à la 2e. Le collège unique, voir le bac pour tous continuent à générer des inégalités sociales. Plus l'accès se généralise, plus les frontières de la ségrégation se déplacent.

      Ainsi le sens de l'école s'amenuise. Si le diplôme contribue toujours à la réussite sociale et si son absence est un handicap, les diplômes les plus utiles deviennent les plus longs à obtenir. Le rendement des études est reporté à plus tard, dans un avenir plus lointain. L'investissement familial est de plus en plus lourd et nécessite chez certaines familles une très forte mobilisation.

      D'autre part la fonction de l'école devient plus floue. Elle est chargée de former la personnalité, de fournir une culture commune et d'amener à un bon métier (depuis la loi d'orientation de 1989). Mais toutes ces aspiration deviennent contradictoires contribuant à brouiller ce que l'on en attend et ce que l'on y fait. Les motivations sont alors diverses. Si certains y trouvent du plaisir, d'autres y cherchent de l'utilitaire. L'épanouissement de l'individu entre en contradiction avec les contraintes scolaires.

      La motivation culturelle au travail est de plus en plus difficile avec la diversification des publics. L'école n'a plus le monopole de la diffusion du savoir. Elle véhicule un savoir scolaire qui n'est pas reconnu par tous. Il en va de même des règles scolaires. L'apprentissage n'est plus toujours considéré comme le travail de l'élève mais plutôt comme celui de l'enseignant. "Pour les enseignants comme pour les enfants qui réussissent, les cours, les leçons ont du sens en tant que tels. Pour les enfants des milieux dits défavorisés, nous savons que c'est loin d'être le cas. Apprendre à l'école, c'est avant tout pour eux l'activité du professeur, pas la leur. " Pour comprendre, il faut que le prof m'explique. Je ne comprends pas tout seul". Ils considèrent qu'ils ne peuvent pas apprendre par une activité intellectuelle personnelle. Si le prof explique bien, l'élève sait. Par contre, si le prof explique mal, l'élève ne sait pas. Ceux qui sont en échec disent d'ailleurs: "L'école m'a pas appris, le prof m'a pas appris". Cela génère un profond ressentiment contre l'institution en général et l'enseignant en particulier." (Charlot B., Interview dans l'édition électronique de la revue Pour du SNUIPP, janvier 1999). Tout est remis entre les mains de l'enseignant. Ce dernier se plaindra des familles qui ne suivent pas leurs enfants et de l'absence du nécessaire travail à la maison.

      L'école à deux niveaux [23] (ou trois) formait des acteurs de leurs destinées, elle ne forme plus que des individus. La motivation première de l'élève n'étant plus présente, l'enseignant est investi d'un nouveau rôle. C'est à lui qu'incombe la tâche de créer la motivation. Il doit séduire par les activités qu'il propose, fixer les objectifs, travailler sous forme de contrat et de projets. Ceci relève de capacités qui dépassent celle que manifestait l'enseignant il y a trente ans. Il doit faire à la fois office de pédagogue, de psychologue ou d'assistante sociale. Ceci contribue à le fragiliser, rend son rôle moins clair et contribue à jeter le trouble et le doute. Face à cette crise, la politique d'établissement est apparue comme un moyen de recentrer les motivations. Cependant, particulièrement dans les établissement des milieux populaires, la logique administrative obéissant à des impératifs budgétaires, a contribué à en casser la dynamique en brisant les équipes qui s'étaient constituées et les projets qui allaient de pair.

      L'école est traversée par tous les problèmes de société, chômage, paupérisation, politique, religieux. Ce dernier point a été stigmatisé par le problème du foulard islamique. C'est ce que manifeste le sondage effectué par la SOFRES à la demande SNUIPP auprès des instituteurs et professeurs d'école (Janvier 1999): "La société est d'abord perçue comme de plus en plus exigeante vis à vis de l'école pour 82% des instituteurs. Les problèmes d'échec scolaire, aux????2?i??¨i`i`iquels ils sont de plus en plus sensibles, sont à leurs yeux directement le produit de la société actuelle, c'est-à-dire le manque de disponibilité des familles (77%) et la situation sociale des familles (67%). Autrement dit: la société exporte ses fractures vers une école qui n'y est pas forcément préparée. ... Le résultat le plus visible aux yeux des enseignants est la dégradation perçue du comportement des enfants. Par rapport à il y a dix ou quinze ans, 68% les jugent plus violents, moins disciplinés (84%), mais aussi plus inquiets (42%). En revanche, 56% jugent les enfants du même niveau qu'il y a dix ou quinze ans. Face à ces problèmes, les enseignants renvoient clairement les parents face à leurs responsabilités." (compte rendu de la SOFRES, Site Web du SNUIPP, 1999).

6. Les établissements:

6.1 La culture de référence:

      L'école est chargée de transmettre une culture scolaire que les couches sociales moyennes reconnaissent comme proche de la leur. Or l'école et le collège sont ouverts à une masse importante d'élèves issus des couches populaires qui, eux, ne la reconnaissent pas comme la leur.

      Claude Allègre, ministre de l'Education depuis 1997, prétend dans un interview au Nouvel Observateur (article intitulé "Oui, l'ordinateur va révolutionner l'école" que la machine et le cyber-espace peuvent tout révolutionner. Faudrait-il alors que les élèves issus des couches populaires se sentent en phase avec la cyberculture , ce qui n'est pas impossible puisqu'il semble que plus on soit jeune, plus on y te????2?i??¨i`i`ind. Mais alors il faudrait qu'ils puissent la réinvestir dans le milieu de vie ambiant car c'est l'environnement social, l'environnement de vie, qui détermine pour chaque individu ce qui est norme culturelle. Le plan du ministre ne pourrait éviter de tomber à l'eau que s'il se greffait dans les familles populaires une cyberculture comme il s'y est greffée une culture télévisuelle. C'est ce que le plan Informatique Pour Tous voulait créer en s'ouvrant aux milieux associatifs implantés dans les milieux populaires.

      L'environnement peut-il donner un sens à la culture scolaire ? C'est le cas des familles immigrées qui se mobilisent autours d'un projet scolaire de l'un des leurs (Zerroulou Z., La réussite scolaire des enfants d'immigrés. L'approche en termes de mobilisation, in Revue Française de Sociologie, XXIX, 1988).

      L'école n'est plus la source unique de transmission de savoirs, l'environnement y supplée largement, particulièrement les médias populaires comme les radio locales, télévisions (câblées ou non) ou télévision étrangères (captées par parabole).

6.2 La charte de l'école du XXIe siècle:

      Elle est centrée de réussite scolaire pour tous. L'idée de laïcité comme celle de citoyenneté demeurent des références essentielles.

      Les trois points principaux en sont:

  • "Elaborer progressivement et collectivement de nouveaux programmes pour des temps nouveaux, centrés sur le thème apprendre à parler, lire, écrire, compter, articulant tous les contenus et les grandes orientations pédagogiques.

  • Mettre progressivement en place des rythmes scolaires adaptés à ceux de l'enfant. L'organisation de la journée scolaire doit tenir compte des nouvelles conditions sociales et permettre l'émergence d'une vraie égalité des chances.

  • Repenser "le métier de professeur d'école en permettant une plus grande autonomie dans les choix pédagogiques et en intégrant le travail en équipe, ce qui nécessitera des évolutions de la formation initiale et continue des enseignants." (Bâtir l'école du XXIe siècle, Ministère de l'Education nationale, Mission de la communication, Paris, 1999).

    6.3 Les collèges:

    6.3.1 Le nouveau collège:

          Le bilan du nouveau collège (comme nous l'avons déjà vu) fait apparaître une difficulté à enseigner le civisme.

          La mise en place d'une éducation à l'orientation mobilise tous les acteurs du collège. Elle pousse à construire un projet professionnel aux élèves en difficultés, c'est-à-dire à ceux qui ont le plus de mal à le concevoir et en dispense les meilleurs élèves, c'est-à-dire ceux qui pourraient le mieux le concevoir. Comment peut-on alors espérer concrétiser quelque chose de sérieux ? Nous en arrivons au paradoxe où ceux qui en ont le moins les moyens sont ceux qui y sont le plus incités.

          Claude Allègre, ministre de l'Education, a demandé une réflexion

    6.3.2 Le collège se rebiffe ou la grève du 93:

          Le collège de l'hétérogénéité devient ingérable devant la monté de la violence au point que tout un département (le 93, Seine-Saint-Denis) se lance dans la grève. La liste des collèges touchés par les arrêts de travail est impressionnante au cours des mois de mars avril et mai: collège Jean-Vigo d'Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), collège Elsa-Triolet de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), lycée professionnel Pierre- Mendès-France de Ris-Orangis (Essonne), collège Pablo-Neruda de Grigny (Essonne), lycée Romain-Rolland de Goussainville (Val-d'Oise), collège Louise-Michel de Clichy- sous-Bois (Seine-Saint-Denis) pour n'en citer que quelques uns.

          Dès la rentrée de septembre 1997 le ministère lance un audit sur le département de Seine-Saint-Denis, afin d'identifier les difficultés et de proposer des orientations "susceptibles d'améliorer la réussite des enfants issus des milieux défavorisés" confié au recteur Fortier. Son rapport est alarmant.

          Il y note que la Seine-Saint-Denis "cumule de manière exacerbée les handicaps sociaux de cette fin de siècle". Le département détient, entre autres records, celui du nombre de RMistes, de la proportion d'étrangers, du nombre de logements sociaux ou encore du taux de chômage. A cela s'ajoute une forte concentration aussi bien dans les cités que dans les écoles: 24 des 111 collèges du département accueillent plus de 800 élèves, la plupart recevant près de 50% d'élèves au-dessus de leurs capacités d'accueil.

          Il note que ce "mal-accueil", associé à la violence et à la malnutrition, fait de l'obligation scolaire "une sorte d'épreuve". "Mesure-t-on l'effort que réalise un collégien qui est le seul de la famille à se lever tôt pour aller travailler ?". En face de ces enfants, l'institution scolaire met des profs "jeunes et inexpérimentés", dont beaucoup s'efforcent de quitter le département le plus vite possible. Les équipes pédagogiques sont instables.

          Le rapport souligne l'importance de l'absentéisme et le nombre record de postes non pourvus: il manque environ 200 chefs d'établissement adjoints, conseillers principaux d'éducation, assistantes sociales et infirmières, faute de candidats.

          Il lui apparaît que sont réunies toutes les conditions d'un "retard massif dès l'école primaire".

          En novembre un plan de lutte gouvernemental contre la violence est mis sur pied. Il y inclut la quasi-totalité du département de la Seine-Saint-Denis, qui "pose un problème d'ampleur nationale". Le ministre annonce la création de plusieurs centaines de postes d'infirmières, d'assistantes sociales et de surveillants, ainsi que l'affectation de plusieurs milliers d'emplois-jeunes dans les sites sensibles.

          Le collège Louise-Michel de Clichy-sous-Bois se met en grève le 22 janvier pour protester contre la montée de la violence et le manque de moyens. Deux élèves sont blessés à l'arme blanche dans le collège lors d'une bagarre provoquée par l'intrusion d'une dizaine de jeunes extérieurs à l'établissement. Dans la bousculade, des surveillants sont frappés par des élèves.

          Le personnel du collège Pierre-Sémard de Bobigny vote le 5 février une grève reconductible. Les enseignants soulignent la baisse constante du niveau scolaire observé lors des tests d'évaluation à l'entrée en sixième, la multiplication des exclusions temporaires d'élèves, les violences physiques et les insultes dont ils font l'objet.

          Des informations contradictoires émanant de Ségolène Royal, ministre déléguée à l'Enseignement Scolaire et de Claude Allègre, ministre de l'Education Nationale, contribuent au dépôt de préavis de grève d'une dizaine de collèges, soutenus par le SNES (syndicat proche élus des communistes et très majoritaire dans le département)

          Le plan de rattrapage est présenté par Claude Allègre le 2 mars. Le 13 mars, plus de 2 000 parents et enseignants manifestent devant le ministère de l'Education à Paris. Le mouvement de grève touche une quarantaine d'établissements du département 93.

          Après trois manifestations le mouvement s'étend au primaire. La cinquième manifestation rassemble à Paris plus de 10 000 professeurs et lycéens.

          Début avril, à l'issue d'une nouvelle table ronde, les principaux syndicats estiment que les nouvelles propositions du ministre permettent d'engager la négociation. L'assemblée générale des établissements les juge en revanche "dérisoires", et se prononce pour la poursuite de la grève. A Paris, des lycéens de Seine-Saint-Denis occupent pacifiquement le lycée Henri-IV, "symbole, expliquent-ils, de la réussite qu'on nous refuse".

          Le mouvement continuera en mai.

    6.4 Les lycées:

    6.4.1 La consultation nationale:

          La consultation "Quels savoirs enseigner dans les lycées ?" a débuté le 23 janvier 1998 par la diffusion de trois questionnaires différents adressés à 2,3 millions de lycéens, 238 000 professeurs, et à 4 044 lycées d'enseignement général, technologique et professionnel (dont 1 411 établissements privés sous contrat).

          78% des élèves de lycées publics, 52% des enseignants y ont répondu ou individuellement ou collectivement. Tous les établissements ont apporté une contribution spécifique.

          Les parents d'élèves, tardivement associés à la consultation, y ont peu participé.

          Ce sera l'occasion pour Philippe Mérieux de faire des propositions.

    6.4.2 Les projets pour le lycée:

          Les propositions de Philippe Mérieux qui a l'aval du Ministère, portent sur les points suivants:

          Il est créé un lycée unique regroupant filières générales, technologiques et professionnelles. Cette dernière serait organisée autour de trois champs: les services, la production et l'artisanat et les métiers d'arts.

          Les programmes seront allégés et pensés sous forme de retour à l'essentiel.

          Il développera une culture commune à toutes les filières comprenant des savoir-faire sociaux et un ensemble de connaissances. Un approfondissement à l'informatique est prévu. La culture scientifique et technique, les maths sont présentes dans toutes les filières, les langues indispensables.

          La seconde générale et technologique reste une classe de détermination. Une initiation systématique aux sciences économiques et sociales, aux sciences technologiques industrielles et tertiaires doit être fournie. La culture informatique et artistique sont ajoutés.

          Les élèves auront accès à des permanences d'aide individualisée.

          Le décloisonnement des disciplines sera à pratiquer.

          De courtes séquences de découvertes de l'entreprise sont encouragées.

          Le lycée professionnel doit organiser la formation continue des adultes.

          Le baccalauréat subsiste avec une épreuve tridisciplinaire. Une épreuve anticipée a lieu en première.

          L'élève est soumis à 35 heures d'obligations scolaires hebdomadaires maximum.

          Le service des enseignants inclus 15 heures de cours hebdomadaires et 4 heures d'activités pédagogiques. Ils bénéficient de 35 heures annuelles de formation.

          Enseignants et surtout élèves sont plus associés à la vie de l'établissement. Certaines salles seront ouvertes le mercredi, samedi journée et pendant les vacances.

    6.4.3 La charte du lycée du XXIe siècle:

          Elle reprend les grands axes des propositions de Philippe Mérieux.

          Le lycée du XXIe siècle est celui du changement. Il inclue trois voies les voies professionnelle, générale et technologique placées sur un pied d'égalité.

          Les heures de cours varient de 26 à 30 h.

          Il est institué une aide individualisée en Seconde et des Travaux Personnels Encadrés en Première et en Terminale permettant une aide au plus en difficulté et une expression de la personnalité. Les effectifs seront réduits.

          La pédagogie différenciée est maintenue. L'interdisciplinarité sera privilégiée, les nouvelles technologies éducatives favorisant son introduction.

          Les programmes seront redéfinis dans une optique moins encyclopédique. Les enseignants seront associés à leur évaluation. Leur service sera redéfini sans augmentation des obligations de service.

          L'éducation civique sera amplifiée et fera l'objet d'un contrôle au baccalauréat. Une pratique citoyenne sera développée à travers l'exercice de la démocratie et l'institution d'un Conseil de la vie lycéenne. Les enseignements artistiques seront développés ainsi que les langues.

          Le baccalauréat reste l'examen final du lycée et constitue l'examen d'entrée à l'université. Quelques épreuves anticipées pouront se dérouler en classe de première et le rôle du dossier scolaire pourra être revu.

    6.4.4 Le mouvement lycéen:

          A l'automne 1998, un mouvement jette les lycéens dans la grève. Il traversera les vacances de la Toussaint qui permettront à toutes les parties de poser. Bénéficiant de la sympathie de l'opinion publique, les lycéens seront probablement victimes de la violence d'une jeunesse des banlieues qu'ils ne parviendront pas à contenir.

          Leurs revendications concernent leurs conditions de travail et de vie au sein de l'établissement. Ils réclament des mesures immédiates. Le lycée n'étant qu'une étape transitoire, passage pour trois ans, une revendication satisfaite ne peut apparaître pour les instigateurs que si elle l'est à très court terme, ce dernier étant optimisé dans l'immédiat.

          Ce qui frappera l'opinion est leur extrême maturité. Cela est peut-être du au fait que la majorité (à 18 ans en France) traverse le cursus lycéen et que ces derniers se sentent concernés par la crédibilité et la responsabilisation, notions qui permettent une bonne intégration au statut d'adulte.

    Conclusion:

          Le statut de l'enseignant, transmetteur de savoir face à des élèves réceptifs, a profondément été remodelé par la politique volontariste de démocratisation de l'enseignement mis en route par la cinquième république. L'enseignant du XXI ème siècle n'est plus enfermé dans sa classe, il n'est plus le seul acteur éducatif mais devient le coordonnateur des différents intervenants.

          Cette transformation ne s'est pas faite sans heurt. Face à un public diversifié, maniant des stratégies différentes, l'enseignant a du affronter l'hétérogénéité sans référents bien précis. Il a vu l'émergence dans l'école des contradictions sociales et a du y faire face de façon solitaire, ce qui contribue à rendre de moins en moins lisible la tâche à accomplir. Acceptant le primat de l'hétérogénéité, sa fragilisation sociale, aucune ligne de conduite à tenir ne paraît émerger. C'est donc un travail sur corde raide à accomplir dont le sens n'est plus évident. C'est pourquoi il se sent abandonné et se révolte par des actions de grève.

          Les perspectives offertes par l'administration ne pourront faire l'économie d'un débat public. Des associations indépendantes ou syndicales organisent des colloques. Ce n'est qu'un premier pas vers le débat public, qui pour l'instant ne reste réservé qu'à un public bien averti. A quand le vrai débat ?



  • Claude Faessel
    Notes:
    1.- Union Nationale des Etudiants de France, syndicat étudiant.
    2.- Mutuelle Nationale des Etudiants de France.
    3.- fédération de l'Education nationale, premier syndicat d'enseignant, issu de la rupture de la CGT en CGT maintenu et CGT-FO.
    4.- Fédération Syndicale Unitaire, actuellement premier syndicat d'enseignants.
    5.- Syndicat national de l'Enseignement Secondaire, issu de la FEN et constituant le noyau de la FSU.
    6.- Comité d'Action Lycéen.
    7.- Dépèche AFP (FP 281218 AVR 98).
    8.- Confédération des Syndicats Libres
    9.- Confédération Française du Travail
    10.- Union Nationale Inter-Universitaire
    11.- Unité-Action
    12.- Syndicat national des Enseignants du Supérieur
    13.- La valeur du point d'indice est d'environ 27,36 F au 01/04/2023 (à multiplier par l'indice pour le calcul du salaire brut.
    14.- Souligné dans le texte original.
    15.- Professeur d'Enseignement Général de Collège, corps issu de celui des instituteurs après formation spéciale à l'Ecole Normale. Ce corps est en voie d'extinction par arrêt du recrutement et disparition des Ecoles Normales.
    16.- Institut Universitaire de Formation des Maîtres.
    17.- Mission du professeur exerçant en collège, en lycée d'enseignement général et technologique ou en lycée professionnel, Circulaire no 97-123 du 23-5-97 / BO du 29 05 97, pp. 1571-1576)
    18.- ZERROULOU Z., La réussite scolaire des enfants d'immigrés. L'approche en termes de mobilisation, in Revue Française de Sociologie, XXIX, 1988.
    19.- Rochex J-Y, Pourquoi certains élèves défavorisés réussissent-ils ? in Sciences Humaines, no 44, novembre 1994 Bautier E., Charlot B., Rochex J-Y, Ecoles et savoirs dans les banlieues et ailleurs, Armand Colin, Paris, 1992
    20.- Certaines écoles financées par la région, refusent des élèves parce que les parents payent leurs impôts dans une autre région.
    21.- Zone d'Education Prioritaire.
    22.- Dotation Globale Horaire qui fixe les moyens dont dispose chaque établissement en fonction d'une estimation de l'effectif scolaire de la prochaine rentrée. Lorsqu'elle est fixée, les chefs d'établissement ne peuvent obtenir que des réaménagements mineurs.
    23.- Voir L'Ecole capitaliste en France, Baudelot C., Establet R., Maspéro, Paris, 1971

    Notice:
    Faessel, Claude. "Les évolutions de l'école contemporaine au cours de ces dernières années.", Esprit critique, vol.03, no.02, Février 2001, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
     
     
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