Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.02 No.12 - Décembre 2000
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Numéro thématique
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La recherche qualitative: objectivité et subjectivité en sociologie
Sous la direction de Jean-François Marcotte
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Compte rendu critique
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L'instant éternel, le retour du tragique dans les sociétés post modernes.
Par Georges Bertin

Ouvrage:
Maffesoli Michel. L'instant éternel, le retour du tragique dans les sociétés post modernes. Paris. Denoël, 2000. 249 p

      Parmi les sociologues français, Michel Maffesoli, professeur à la Sorbonne, fondateur d'une sociologie du quotidien entée sur les théories de l'Imaginaire, est sans doute celui qui, dans son oeuvre, sinterroge avec le plus de constance, tout au long de son oeuvre, sur le rapport que nos sociétés entretiennent à la question de la temporalité.

      En témoigne quelques titres: La conquête du présent (1979), l'Ombre de Dionysos (1982), Le Temps des tribus (1988), La Transfiguration du politique (1992) etc.

      Avec son dernier ouvrage (L'Instant éternel), il nous livre une de ces formes figures qu'il aime proposer à notre reconnaissance. Le rapport à l'immédiat, dont de nombreux indices lui sont fournis par les travaux des réseaux des centres de recherche sur l'imaginaire (on pense au Temps des rites de J.F. Gomez DdB 1999, au Brésil, pays du présent de Machado da Silva, DdB, 1999, aux Apparitions, disparitions de Bertin et al, DdB 1999), lui semble un des marqueurs principaux de notre époque post moderne "dans la répétition, le rituel, le concret, en bref toutes choses qui sont la marque de la vie courante et qui s'expriment au mieux dans le calendrier des fêtes de la religion quotidienne" (p.76).

      Cette vie quotidienne, liée à ce qu'il nomme le "Temps immobile", cèle un polythéisme des valeurs à la fois structural et récurrent face à une vie de contraintes politiques, sociales, professionnelles. Ceci le conduit à discerner plusieurs figures de cette socialité du présent:

  • la joie du monde, quand la vie vécue comme jeu signifie à la fois "acceptation du monde tel qu'il est" (p.94), et logique du vouloir être , du vouloir vivre plus. Et l'on distingue bien ici cette forme de l'imaginaire qu'est la possession développée voici presque 20 ans dans l'Ombre de Dionysos.

  • l'apparence comme creuset de la socialité dont MM identifie les images multiformes: cultes du corps, exacerbation du sensible dans tous les domaines. Il insiste particulièrement là sur la nécessité de relativiser notre vie sociale, tant ce repérage de niveaux de sens et de signifiants est la marque d'une grande complexité.

  • l'organicité des choses, le vitalisme réhabilitant à ce sujet celui que Kirkegaard nommait "le véritable homme ordinaire" qu'il caractérise "d'homme sans qualités", y voyant le spécialiste d'une philosophie libertaire de la vie, soulignant la coïncidence de la mort et de la vie, du corps et de l'esprit, de la nature et de la culture, pour lui, "une pensée du ventre", ou encore "sagesse démoniaque" à l'ouevr dans les divers archaïsmes post-modernes. "En homogénéisant la dimension sociale de l'humain, écrit-il, on se protège de ses excès en même temps qu'on en retire la substantifique moelle" (p.171).

          De là procède la réflexion très éclairante de MM sur le Tragique comme symbole de notre identité culturelle collective incarnée dans ce que l'auteur nomme viscosité sociale. Lui opposant le Drame, figure de la modernité, il nous montre que, ce qui émerge de nos jours, c'est l'identité de la vie en tant que bien collectif, soit "la vie pour elle-même. La vie multiple et une à la fois, la vie qui redit toujours et à nouveau l'éternité du monde" (p.202).

          La socialité y est vécue en termes de relations, tandis que resurgissent les figures féminines (il cite le complexe d'Ophélie chez Bachelard et nous ajoutons celui de Mélusine chez Breton), car "le féminin, l'éternel féminin est en osmose naturelle avec un tel flux vital" (p.208). Ceci permet d'intégrer les deux aspects de l'humaine nature, car "la féminisation est toujours synonyme de polythéisme, de valeurs plurielles et antinomiques" (p.203).

          Si Progrès, Histoire, Raison, Politique furent les maîtres mots de la Modernité, il semble bien que nous vivions aujourd'hui une participation mythique ou magique à la Nature et aux Arts, une fusion dans le tout naturel et social comme expression de ce tragique diffus dont Dionysos, la figure première de la sociologie maffesolienne, est l'emblème. Nous vivons ainsi un monde tragique et la vie comme un bien collectif . les travaux des centres du Cri se portent là tout naturellement sur l'exaltation des lieux mythiques, la multiplication des expériences festives -nous avons développé cette question dans notre thèse consacrée à l'imaginaire de la fête locale (Université Paris 8, 1989)-, les parcours initiatiques, nous renouons avec les terroirs tandis que les politiques se préoccupent des territoires, "tous lieux frontières où s'élabore une culture alternative" (p.287).

          Car le territoire permet de communier avec l'autre non plus en fonction d'un idéal lointain mais en référence à des valeurs vécues, au présent dans ces lieux où s'adoucit la charge tragique liée au présentéisme. Si la modernité renvoyait la question sociale aux lendemains qui devaient chanter, la sensibilité tragique s'emploie à vivre au jour le jour ces mêmes problèmes (p.231) dans "la dimension d'une divinisation de l'existence collective, d'une fusion naturelle et matricielle corrélative du tragique" (p. 214).

          Et comme dans sa saisie globale de l'existant, le poète a toujours raison, l'ouvrage s'achève sur un éloge de la poèsie, car il n'est d'ethique socialement acceptable, bien en delà des logiques du devoir être, que dans une esthétique du temps présent.

    Georges Bertin

    Notice:
    Bertin, Georges. "L'instant éternel, le retour du tragique dans les sociétés post modernes.", Esprit critique, vol.02 no.12, Décembre 2000, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
     
     
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