Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.02 No.02 - Février 2000
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Enquête
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Enquête sur le syndicalisme en France
Par Olivier Charles

      Je suis parti pour mon enquête de cette phrase: "Le taux de syndicalisme en France a diminué". Nous pouvons ici donner des chiffres plus précis: le taux de syndicalisme en France, s'il était environ de 25% au milieu des années1970 est actuellement à 9.1%. Si on reprend les termes de Durkheim et en constatant les statistiques, le phénomène de diminution du taux de syndicalisme est devenu "pathologique". Avant de commencer ce travail il faut aussi définir ce qu'est précisément un syndicat: "un syndicat est une association de personnes exerçant la même profession, ou des métiers similaires ou connexes, ou des métiers différents dans une même branche d'activité, et qui a exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits et des intérêts matériels et moraux, collectifs ou individuels de l'ensemble de ses membres. Le syndicat peut être d'entreprise ou local"[1]. Mais pour comprendre cette tendance, j'ai cherché à comprendre les causes de la perte d'audience des syndicats, je suis souvent parti de faits évoqués dans mon entretien que j'ai cité abondamment.

      La problématique est donc: pourquoi y a t-il un déclin d'audience des syndicats en France?

      Nous verrons tout d'abord que les raisons peuvent être non seulement économiques mais aussi organisationnelles, puis nous verrons qu'il y a une détérioration de l'image des syndicats.

      Les raisons sont d'abord économiques: le syndicalisme est confronté à l'évolution du marché du travail, mais elles peuvent être aussi organisationnelles: le pluralisme des syndicats actuels en France ne semble plus adapté.

      Les salariés du privé (qui représentaient environ 80% en France en 1998 sources INSEE) semblent avoir une image négative des syndicats: "Dans le privé, les gens ont peur, il y a une pression anti-syndicale qui n'existe pas dans le public où on sait qu'on a le rapport de force du fait du statut"**. Nous pouvons facilement comprendre cette opinion tout d'abord à cause de la situation actuelle: même si le taux de chômage diminue en France il est quand même actuellement à 11.1% selon le BIT(Bureau international du travail) , et il y a une augmentation constante des emplois atypiques. La situation actuelle souvent précaire et flexible des salariés du privé, contrairement au salariés de la fonction publique qui sont "protégés", les empêche de contester. En 1998, fonction publique mise à part, le nombre de jours de grève diminue par rapport à l'année précédente, pour atteindre 353 000, le plus bas niveau observé depuis plus de vingt ans. Cependant, comme le nombre de conflits dans la fonction publique progresse fortement, le nombre de journées individuelles non travaillées reste au total proche du million.[7] et donc par la même occasion de se syndiquer; on parle dans certaines entreprises de "déserts syndicaux"**. Par ailleurs, même si le droit syndical est acquis depuis la constitution de 1946, les patrons exercent une "pression anti-syndicale"**. La baisse d'audience des syndicats chez les salariés du privé semble être logique en observant l'état du marché du travail actuel.

      En outre, les salariés ne se reconnaissent plus dans un syndicat dont la structure est divisée. Les syndicats semblent être ancrés dans leurs convictions politiques: ce cloisonnement idéologique semble ne plus convenir aux salariés actuels. Les syndicats sont fragilisés par leurs positions partisanes différentes et se "meuvent dans un système, de positionnements stratégiques"[2]. L'organisation syndicale étant ainsi divisée, lors de l'entretien nous avons vu que les "salariés ne connaissent parfois même plus la couleur politique du syndicat qui les aide"**. Pour Jean-François Amadieu: "la forme actuelle de pluralisme syndical en France n'est pas souhaitable; il nous faut un système sain qui, tout en maintenant une compétition entre les organisations, la régule".

      Il est donc évident que la perte d'audience des syndicats concernant les salariés a des causes économiques indéniables, mais il y a aussi trop de divisions idéologiques dans les syndicats français.

      Il y a alors une détérioration de l'image des syndicats:les salariés ne se reconnaissent plus dans les grandes luttes de classes telles que les luttes corporatistes (défense des intérêts d'une profession ou d'une catégorie sans pris en compte des données de l'environnement) "cette forme de syndicalisme est désuète"**. Mais cette détérioration de l'image des syndicats est surtout valable chez les jeunes qui sont de moins en moins syndiqués.

      Les revendications des salariés (quand ils osent revendiquer) ont évolué; les salariés veulent voir des valeurs plus concrètes. Pour eux, les syndicats leur proposent des améliorations trop loin de leurs préoccupations et qui ne ne les concernent pas directement. Les revendications sont devenues plus matérialistes et n'ont plus pour objectif la remise en cause de l'ordre social dans sa globalité[3]: ce n'est plus "faire la révolution"**. Les salariés veulent de plus en plus un "syndicalisme de terrain"**, un syndicalisme plus actif localement qui se caractériserait par "la proximité du militant"**. Ils ont donc l'impression que les syndicats tel qu'ils le sont actuellement ne répondent plus à leurs protestations, à leurs demandes et "aux frustrations qui s'expriment"[4]. Ce n'est donc plus le salarié qui va au syndicat, mais c'est le syndicat qui est obligé de conquérir le salarié "c'est fini le temps où les gens venaient spontanément".** Les revendications des salariés étant en profonde mutation, les valeurs des syndicats actuels ne correspondent plus vraiment aux attentes des salariés et plus particulièrement des jeunes.

      Avoir 35 ans aujourd'hui et s'intéresser au syndicalisme, c'est aller à contre-courant et s'impliquer syndicalement, c'est presque être marginal.[5], "à part si vous avez une culture syndicale forte familiale syndicale"**. Comme disait un jeune: «On ne choisit pas d'être syndiqué. On arrive dans un milieu de travail et hop! on est membre du syndicat. Souvent c'est l'employeur qui nous remet notre carte... Cela ne nous dit rien.». Les jeunes ne sont donc pas actuellement syndicalisés et ne s'impliquent pas dans les rouages du syndicalisme (réunions, congrès...). Ils ont à la base une mauvaise image des syndicats un peu légitime apparemment "ils ont vu que ça ne servait pas à grand chose et que les syndicats ne s'entendent pas. On leur a montré le mauvais exemple."** De plus, les jeunes entendent souvent les gloires du passé concernant les combats syndicalistes (notamment au lycée) , mais ils s'aperçoivent que les gloires du passé restent du passé. Mais d'autres raisons s'ajoutent à cette liste: il y a le poids de la politique et de l'administration dans les syndicats qui ne les intéressent pas: "Ni anarchistes, ni révolutionnaires, ils sont à la recherche de nouvelles formes de participation politique, moins codifiées, moins hiérarchisées, qui se démarquent de la classification traditionnelle droite-gauche."[6] - On peut donc conclure en disant que les revendications des salariés ayant changé, le syndicalisme n'a pas pu suivre, entraînant une perte de son audience, en ce qui concerne les jeunes; c'est surtout sur la forme que le syndicalisme ne correspond apparemment plus.

      La baisse du taux d'audience du syndicalisme s'explique non seulement par l'évolution du marché du travail et des revendications des salariés mais aussi par un défaut dans l'organisation des syndicats actuels. On peut donc résumer la baisse du taux de syndicalisation par trois facteurs principaux: le marché du travail, les revendications des salariés, l'organisation des syndicats actuels.

Olivier Charles

Notes:
** Entretien effectué auprès d'un secrétaire syndicale de la CFDT.
1.- Le Quid(1990), Robert Laffont.
2.- Amadieu, Jean-François(1999), syndicats en miettes, Seuil.
3.- Dubet, François(1994), Sociologie de l'expérience, Seuil.
4.- Notat, Nicole, Je voudrais vous dire, Seuil/Calmann-Levy.
5.- De Sève, Nicole, les jeunes face à la "machine syndicale", Extrait de la revue Option no 15.
6.- Percheron, Annick(1987), Jeunes d'aujourd'hui: Regards sur les 13-25 ans en France, Paris, La Documentation française, 1987, p. 118.
7.- Documentation Française(1999), Les conflits du travail en recul en 1998 sauf dans la fonction publique, no 38.3.
Juan S.(cours 1999-2000), "Connaissance de la société française contemporaine".
Notice:
Charles, Olivier. "Enquête sur le syndicalisme en France", Esprit critique, vol.02 no.02, Février 2000, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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