Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Printemps 2004 - Vol.06, No.02
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Éditorial

L'approfondissement de la modernité


Lucien-Samir Oulahbib

L'auteur, Lucien-Samir Oulahbib, est docteur de l'Université Paris IV (Sorbonne). Sa thèse, Les meurtriers de l'Homme, a été publiée, réactualisée et remaniée, aux éditions l'Harmattan (2002), sous le titre Ethique et épistémologie du nihilisme, Les meurtriers du sens. Un autre livre sur le même thème et intitulé Le nihilisme français contemporain, fondements et illustrations est sorti en 2003 dans la même maison d'édition; un essai est en préparation sur ce sujet pour les éditions La Table Ronde. Par ailleurs, une étude sur Les Berbères et le christianisme vient d'être publiée par Les Editions Berbères.


Au-delà des chiffres, du bruit et de la fureur des conflits, petits et grands, mais au sein de leurs vicissitudes qui scandent historiquement le monde et en permanence, se lisent (et se lient), toujours, au moins deux tendances majeures qui traversent les individus et les groupes, et synthétisent des faits à la fois événementiels et qui découlent de divers aspects institutionnels composant la réalité humaine.

L'une est toujours dramatique, impose sa volonté jusqu'à marcher vers le pire, par exemple la guerre, qu'elle soit civile et/ou tournée vers l'étranger, parce que la volonté d'être peut aller jusqu'à imposer sa puissance telle quelle, ou parce que autrui ne comprend que la force; l'autre tend à mettre en forme l'immense accumulation de connaissances et d'expériences effectuée par le Genre humain en vue d'une sorte d'universel du mieux être; l'affrontement permanent entre ces deux tendances coextensives l'une à l'autre et que l'on pourrait nommer la vie à l'état brut, et la vie façonnée humainement (ou état de nature et Léviathan) constitue un visage d'époque sans cesse renouvelé.

Telle serait la constance de l'Histoire humaine, semble-t-il, du moins jusqu'à présent.

Quelle en serait la tournure actuelle?

La première de ces deux tendances indique, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la chute du Mur de Berlin et s'inscrivant dans un développement sans précédent des techniques et des désirs de l'ici et du maintenant, une amélioration des choses en ce sens que les inégalités injustifiées, c'est-à-dire les spoliations, les déchaînements de puissance, en un mot les injustices, qu'elles soient d'Etat ou issues des intentions individuelles, tendent à diminuer, toutes proportions gardées et du fait que les conflits qui existent peuvent les y forcer, surtout lorsqu'ils se déroulent dans un espace démocratique.

L'autre tendance exprime une volonté opiniâtre de certaines structures de refuser tout contre-pouvoir, toute critique, alors que la matérialisation de puissance sécrète toujours ses effets pervers puisque son émergence comme réel en plus crée des conséquences non prévues dans l'intention de départ d'une part; d'autre part parce qu'une propension à perdurer en l'état, à conserver le niveau de puissance atteint, y est coextensive. Ce qui implique dans ce cas la nécessité qu'il puisse exister des éléments contrebalançant cette tendance à la seule préservation, se déployant souvent à n'importe quel prix, du moins si la société concernée est en mesure de pouvoir le faire.

Dans ces conditions, à la fois transhistoriques et, en même temps, prenant forme dans un moment donné historiquement situé, l'effort de compréhension tente de repérer comment chacune de ces deux tendances se situe sur un spectre allant d'un moins à un plus en observant leurs influences au sein de chaque structure allant de l'individu à l'organisation la plus mondialisée.

A l'heure actuelle, il se trouve que la tournure prise par la lutte perpétuelle entre ces deux tendances faites de vie brute et de vie policée, et traversant les individus, les groupes et les structures qu'ils fabriquent, s'étend au monde entier et nécessite de plus en plus que la vie policée puisse s'institutionnaliser dans des structures fortes, tout en faisant en sorte que celles-ci puissent être réformables en permanence.

Mais cet effort nécessite une universalisation de certaines valeurs afin qu'elles dépassent leur seul statut de normes historiquement situées. Par ailleurs, une dialectique subtile entre conservation, réforme et révolution doit être pensée si l'on veut que la civilisation moderne telle que nous la connaissons, dans tous les sens de ce dernier terme, puisse maîtriser ses propres effets pervers, et atteindre une certaine qualité de vie posée comme possible pour toutes et tous, nous, les humains.

Les divers articles de ce numéro tentent de répondre à l'acuité de ce questionnement.

Lucien-Samir Oulahbib

Notice:
Oulahbib, Lucien-Samir. "L'approfondissement de la modernité", Esprit critique, Printemps 2004, Vol.06, No.02, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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