Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
-----
Accueil Information Archives Collaborer Aide
-----
-----
Automne 2003 - Vol.05, No.04
-----
-----
Dossier thématique
-----
-----
Article
-----

Pour une sociologie des réseaux
Par Sandrine Basilico

Auteur:
Docteur en Anthropologie de la Communication Sociale et chercheur au LAMIC (Laboratoire d'Anthropologie "Mémoire, Identité et Cognition sociale"), Université de Nice Sophia-Antipolis.


          Les sciences sociales, et plus particulièrement la sociologie, peuvent permettre d'interpréter et d'expliquer la dynamique des réseaux. Reste à savoir comment.

          C'est ce que nous nous proposons d'étudier dans cet article, en mettant l'accent sur une série de faits sociaux nouveaux: de la mondialisation des marchés à l'individualisme croissant en passant par la massification généralisée et le nouveau sentiment d'appartenance tribal, ces éléments clés de l'évolution sociale sont à même de nous donner un certain nombre de pistes pour penser la complexité [des réseaux], pour paraphraser Edgar Morin.

1. Mondialisation

          La croissance des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) est directement liée à l'émergence de filières de production mondiales qui permettent de délocaliser le travail. Nous entrons donc dans un système sociétal mondial. De moins en moins cantonnés aux espaces résidentiels, les réseaux sociaux sont donc directement conditionnés par ces transformations. C'est une transformation radicale entre les réseaux sociaux et leur territoire de référence que le développement des réseaux techniques entraîne.

2. Individualisme et communautés nouvelles

          La question de l'individualisme est à y rattacher. En effet, "les métropoles et les structures sociétales qui les engendrent, stimulent l'individualisme et le déclin des diverses formes de vie communautaire plus ou moins traditionnelles" (Galland, 1993, p4). Les individus adhèrent désormais à des réseaux sociaux plus souples, plus ouverts et souvent plus dynamiques; la constitution de micro-groupes se fait à partir du sentiment d'appartenance, dans le cadre d'un réseau de communication.

          Nous assistons donc, d'une part à la saturation du principe d'individuation, d'autre part à un développement permanent de la communication. Ce processus nous fait dire que la multiplication des micro-groupes n'est compréhensible que dans un contexte organique. Tribalisme et massification vont de pair.

3. Massification

          On remarque effectivement actuellement, une certaine indifférenciation, consécutive à la mondialisation et à l'uniformisation des modes de vie, qui peut aller de pair avec l'accentuation de valeurs particulières. D'où la mass-médiation croissante d'un côté, et le développement d'une communication locale de l'autre, comme si les grandes machineries économiques et idéologiques, par leur saturation, entraînaient à certains moments un recentrage et une ré-appropriation par l'individu de son existence. C'est cette proximité qui donne tout son sens au "divin social". Il y a un va et vient constant entre local et global, entraînant une hybridation sociale et culturelle sans pareille.

"La constitution en réseau des micro-groupes contemporains est l'expression la plus achevée de la créativité des masses" (Maffesoli, 2000, p176).

4. Sentiment tribal

          Conforté par le développement technologique, le sentiment tribal crée une matrice communicationnelle dans laquelle naissent et meurent des groupes, qui ne sont pas sans rappeler les archaïques tribus villageoises: temporalité propre, rituels d'appartenance, reconnaissance propre, mécanismes de régulation les caractérisent.

          Cette dernière fonction est à rapprocher de la proxémie de la cité antique qui faisait le lien entre les différents groupes ethniques. Qu'il s'agisse d'échanges "réels" ou d'échanges "symboliques", la communication emprunte les chemins les plus divers. Le terme de proxémie proposé par l'Ecole de Palo Alto rend ainsi compte des deux éléments culturel et naturel de la communication.

          De plus en plus déterritorialisés, agissant dans un espace plus vaste, les réseaux sociaux deviennent de nouveaux modes d'intégration des individus. Intégration nécessaire au maintien du lien social, comme le notait fort justement Watzlawick (1978, p91) qui parlait du "désir ardent et inébranlable d'être en accord avec le groupe".

Conclusion

          Les réseaux sociaux nouveaux, donnent naissance à une réalité collective nouvelle. Celle-ci se caractérise par la connexion d'un grand nombre et d'une grande diversité de partenaires, par la coexistence de l'ordre et du désordre, par la généralisation de l'incertitude. Les frontières deviennent plus floues, les notions de centre et de périphérie se transforment profondément, bien que ne changeant pas de nature. Dans ce collectif, l'incertitude prédomine, elle est admise et considérée comme une richesse et une chance. Elle produit de l'organisation et de la complexité et induit une capacité d'adaptation unique. C'est dans cette complexité que les acteurs sociaux élaborent des stratégies d'action en fonction de l'incertain, de l'adversité, de l'aléatoire. C'est cette complexité que la sociologie doit intégrer pour être à même de rendre compte de la dynamique des réseaux de communication.

Sandrine Basilico

Références bibliographiques:

Bassand M., Rossel P., 1990, "Métropoles et réseaux", Espaces et sociétés, no57-58, p. 196-208

Bassand M., Galland B., Joye D., 1991, Transformations techniques et sociétés, Lang, Berne

Barrel Y., 1982, La marginalité sociale, PUF, Paris

Dogan M., Kasarda J.-D., 1988, The Metropolis Era, 2 vol., Sage, London

Dumont L., 1991, Essais sur l'individualisme, Seuil, Paris

Durkheim E., 1960, De la division du travail social, PUF, Paris

Elias N., 1991, La société des individus, Fayard, Paris

Gurvitch G., 1957, La vocation actuelle de la sociologie, Tome 1, P.U.F., Paris

Morin E., 1990, Introduction à la pensée complexe, ESF éd., Paris

Le Goff J., Guieysse L., 1985, Crise de l'urbain. Futur de la ville, éd. Economica, Paris

Fischer C.S., 1982, To Dwell Among Friends. Personnal Networks in Town and City, The Uni? of Chicago Press, Chicago

Galland Blaise, "La réalité du virtuel", in Adelheid Bürgi-Schmelz, Günther Cyranek, Blaise Galland, (Ed.), Computer Science, Communications and Society: A Technical and Cultural Challenge, Lausanne, SSS/SSI, sept. 1993.

Harvew R., 1985, "The Geopolitics of Capitalism", in: Gregory D., Ury J., Social Relations and Spatial Structures, St-Martin's Press, New York

Maffesoli M., 2000, Le temps des tribus. Le déclin de l'individualisme dans les sociétés postmodernes, La Table Ronde, Paris.

Migot-Lefebvre Y., Lefebvre M., La société combinatoire. Réseaux et pouvoir dans une économie en mutation, L'Harmattan, Paris

Wellman B., Berkowitz S.D., 1988, Social Structures: A Network Approach, Cambridge Presse, Cambridge

Wallerstein I., 1974, The Modern World System, Academic Press, New York

Watzlawick P., 1978, La réalité de la réalité, PUF, Paris.


Notice:
Basilico, Sandrine. "Pour une sociologie des réseaux", Esprit critique, Automne 2003, Vol.05, No.04, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
-----
Revue internationale de sociologie et de sciences sociales Esprit critique - Tous droits réservés
-----