Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.04 No.11 - Novembre 2002
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Compte rendu critique
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Sociologie de classe. Lycéens à l'épreuve de l'exclusion
Par Brahim Labari

Ouvrage:
Cédric Frétigné (en collaboration avec Thierry Panel): Sociologie de classe. Lycéens à l'épreuve de l'exclusion, Paris, L'Harmattan, coll. Logiques sociales, avril 2001, 153 pages.

"Dur, dur d'être un bébé-sociologue...", c'est sous ce titre que j'aimerais rendre compte du livre de Cédric Frétigné.

     Auteur d'un remarquable ouvrage Sociologie de l'exclusion (L'Harmattan, 1999), Cédric Frétigné se propose dans un exercice à trois (le sociologue (lui-même), l'enseignant (Thierry Panel) et les élèves de la 1ère Economiques et sociales) de faire oeuvre de pédagogue en sollicitant les lycéens à apprendre à raisonner en sociologues. Le thème proposé est celui de l'exclusion.

     Cette idée est originale tant il est vrai que "l'apprenti sociologue aurait beau jeu de critiquer la surdétermination sémantique de la notion d'exclusion ou de se gausser de ses usages immodérés. Questionnement socialement dominant, la problématique de l'exclusion est en effet grevée d'imprécisions sémantiques, de définitions polymorphes qui ne sauraient satisfaire le chercheur en quête d'une rigueur conceptuelle. A l'instar des mots-valises "SDF" ou "ghetto", le vocabulaire de l'exclusion souffre, d'un point de vue scientifique, d'un déficit de sens"[1]. Originale aussi car la problématique de l'exclusion pourrait sensibiliser des individus au-delà de leur position sociale et de leur capital culturel. Le pari est accompli vu l'intérêt du sujet suscité chez les lycéens et de l'actualité foudroyante du phénomène. L'ouvrage comporte trois parties. La première "Les premiers pas" se propose de convaincre (chap.1) les lycéens de l'intérêt sociologique du sujet à traiter, de leur fournir les prémisses (chap. 2) de l'investigation sociologique, de les "former" (chap. IV) à la problématisation et à la méthodologie sociologiques. La deuxième partie porte sur les logiques d'engagement citoyen, du bénévolat et du don face au problème social qu'est l'exclusion. C'est là que la dimension humaine de l'exclusion apparaÓt avec netteté. La troisième partie "Et après..." porte sur la finalisation du travail effectué, un bilan somme toute positif.

     Le lecteur remarquera que le livre est un plaidoyer pour la connaissance rigoureuse des faits sociaux et une invitation à l'engagement citoyen nécessaire à la restauration du lien social entre les différentes catégories de populations.

     De l'intérêt du projet au bilan général du travail accompli, en passant par la mise en perspective de l'enquête sociologique et des représentations de l'exclusion, l'ouvrage s'apparente à un manuel de vulgarisation d'une discipline trop souvent ancrée dans un statut par trop intellectualiste. En cela, le livre regorge d'enseignements, bien qu'entaché de quelques travers. L'un des enseignements à faire valoir est d'ordre "positionnel", voire "identitaire" de notre discipline: la sociologie n'est pas seulement une science destinée à produire du savoir scientifique; elle doit se doter d'une dimension critique. En l'occurrence, la gravité même du thème traité (l'exclusion) inviterait et le sociologue, et l'enseignant, et les lycéens à se positionner contre un phénomène qui ronge nos sociétés contemporaines. Se positionner contre l'exclusion passe par un examen attentif et approfondi des alternatives citoyennes et bénévoles susceptibles "d'améliorer la situation des exclus". Nonobstant la "neutralité axiologique" louée comme un principe scientifique de base, le sociologue et les apprentis sociologues ne doivent pas seulement identifier le "profil" sociologique des exclus, leurs trajectoires sociales et les différentes transformations des figures de l'exclusion, mais rechercher, au-delà des constats, les "fabricants" de l'exclusion, et distinguer nettement ce qui a trait au "problème social" et à "l'objet sociologique". C'est le dur passage du premier au second qui s'avère l'élément fondateur de l'apprentissage du métier de sociologue. Entre les deux, se trouve l'assimilation d'une méthodologie et d'une démarche. Sans reprendre l'auteur, arrêtons-nous sur la position d'observation participante que C. Frétigné a lui-même pratiqué dans le cadre de son travail sur les SDF (sans domicile fixe), et dont, semble-t-il, il a tiré quelques valeurs heuristiques (p.36): "Au niveau de la transmission du savoir sociologique, la pratique du terrain a une vertu sociologique indépassable". Curieusement, l'auteur ne s'est attardé que sur l'observation sociologique, histoire de permettre aux apprentis sociologues de se doter d'un regard sociologique. A peine quelques mots sur l'observation participante qui aurait amené les apprentis sociologues à partager le peu quotidien des exclus.

     Les lycéens sont dépêchés dans des associations caritatives, ces lieux communs o˜ l'exclusion se donne à voir et à observer. Le relevé des observations effectuées par les apprentis sociologues fait ressortir dans un premier temps une certaine familiarité avec les individus observés, des évidences premières. Ensuite, en interrogeant ces évidences, les lycéens parviennent à s'arrêter sur des détails instructifs (la façon de tenir la cigarette par exemple peut être expliquée par des variables telles que l'’ge...). Il y a là (p.71-83) de quoi fournir aux enseignants de l'enquête sociologique quelques substances pour leurs cours. On se demande à la fin quelle valeur accorder à toutes ces pages o˜ l'on trouve pêle-mêle les apports théoriques (Durkheim, Weber...) à propos de la problématique de l'exclusion, les éléments de l'enquête sociologique, un immense carnet de bord des apprentis sociologues. Est-ce à conforter l'auteur dans son approche de l'exclusion et à la faire partager aux "profanes"? Est-ce encore à susciter l'engagement citoyen des lycéens face à un phénomène auquel ils sont familiers? Ou encore à faire valoir une démarche sociologique réflexive que les apprentis sociologues seraient invités à intégrer dans leur approche des problèmes sociaux de notre époque?

     Quoi qu'il en soit, le travail mené atteste des vertus du partenariat, de la coordination équitable d'une co-production d'un savoir sociologique.

     Le titre, Sociologie de classe peut prêter à confusion malgré un sous titre qui me semble tout aussi impropre. Si l'on s'arrête au titre, il peut incidemment induire un lecteur pressé à invoquer la sociologie marxiste dont les classes sociales constituent un invariant sociologique. Le sous-titre aurait été conforme au contenu et à l'esprit de l'ouvrage s'il avait été Les lycéens face à la problématique de l'exclusion... Car il faut en convenir: ce ne sont pas les lycéens qui sont à l'épreuve de l'exclusion, mais bien leurs semblables, leurs frères... Pourquoi avoir choisi les lycéens pour cet exercice? Est-ce par commodité de recherche? Ou alors ce choix est-il dicté par la considération que la sociologie n'est enseignée qu'à l'université, et que son enseignement depuis le lycée serait à envisager... L'implication de Thierry Panel dans la réflexion pourrait laisser supposer la validité d'une telle hypothèse...

     L'ouvrage de Cédric Frétigné permet aux non-sociologues de prendre connaissance de façon élémentaire du travail sociologique. Il va sans dire que cet exercice est indispensable, surtout pour des objets courants et qui nous sont familiers. Mais le processus d'apprentissage est laborieux comme en témoigne la citation d'une apprenti-sociologue placée en exergue en début d'ouvrage: "En retranscrivant ce carnet de bord, je me suis rendue compte que mon point de vue a changé sur certaines choses. Ce travail, fait tout au long de l'année a parfois été rebutant, mais m'a continuellement appris des choses que j'ignorais. J'ai vu qu'il n'était pas facile de s'organiser pour sauver le monde et qu'il ne suffit pas de donner. Il faut surtout participer. Un homme politique a dit un jour qu'une bonne loi valait mieux que mille dons humanitaires. Je suis d'accord avec lui et j'ajoute même qu'il est nécessaire de monter haut dans la hiérarchie sociale afin d'être en mesure de faire mouvoir les choses. Finalement, je peux dire que ce travail aura amplifié mes motivations quant à l'avenir". A défaut de se hisser au rang des sociologues confirmés, les apprentis sociologues ont fait leur l'engagement citoyen. Mais les deux dimensions sont complémentaires aux yeux de l'auteur, et surtout pour une tradition sociologique plus soucieuse du devenir humain aux lois sociales équitables.

Brahim Labari

Notes:
1.- Cédric Frétigné "Sociologie de l'exclusion", Paris, l'Harmattan, coll. Logiques sociales, 1999, p.13.
Notice:
Labari, Brahim. "Sociologie de classe. Lycéens à l'épreuve de l'exclusion", Esprit critique, vol.04 no.11, Novembre 2002, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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