Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.04 No.09 - Septembre 2002
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Articles
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L'enfance comme générateur d'identités
Par David Casado Neira

Résumé:
L'enfance est analysée comme une catégorie juridico-politique, résultat d'un processus de constitution et de stabilisation d'un ordre social, où l'enfance est le pilier central dont le stade d'adulte se nourrit.

Présentation de l'auteur:
Casado Neira, David. [email protected], Docteur en Anthropologie Sociale et Culturelle (Universidade de Santiago de Compostela). Professeur de Sociologie de l'Éducation (Universidade de Vigo). Domaines de recherche: Biomedecine (le don d'organes et du sang), identités contemporaines, usage des nouvelles technologies. Publications récentes: Dar o sangue. A lóxica do doar-non doar sangue na Comunidade Autónoma de Galicia (1993/1997). Santiago de Compostela: Universidade de Santiago de Compostela, 2001; (avec Andrés Davila et Eva Mouriño) "Del icono canónico a los cronotopos de la frontera. Un viaje de ida y vuelta por las Trincheras, el Muro y el Camino" Política y Sociedad no 36. Madrid, 2001.


1. L'enfance: catégorie juridique

1601 Septembre. Le XXVII. Louis XIII est né le XXVIIme en 1601. 1602 Juillet. Le XXIIIIme Mecredy. Vestu a sept heures. Prend plaisirir et se rit a plein poulmon quand la remueuse luy branle du bout du doict sa guillery. Mr de Souvré arrive. Me Guillaume est venu. A huict heures, porté a la chambre de la Roine aux fiançailles du baron de Gondy et de la Sra Polyxena Gonzaga l'une des filles de la Roine. Le Roy luy continue toujours ses caresses. (Héroard, 1989: 408-409)

     Grâce à l'apport d'Ariès (1975) et à ses études sur les enfants, la recherche sur l'enfance passe de l'aspect purement pédagogique à une mise en contexte historique qui nous révèle l'irruption de l'enfance dans la société moderne (comparons, par exemple, notre enfance avec les valeurs dans l'éducations de Louis XIII). Reprenant cette ligne d'interprétation, mon propos est d'analyser l'enfance comme résultat d'un processus de constitution et de stabilisation d'un nouvel ordre social (ordre marqué par l'apparition des états modernes occidentaux), où l'enfance est le pilier central dont, de la même manière, se nourrit le stade d'adulte. Quelle formalisation identitaire est implicite dans le processus de conformation de l'enfance moderne?

     Elschenbroich (1980) met en relation, de façon très lucide, le jeu et le rapport enfance/âge adulte en franchissant un pas: la nouvelle constitution du jeu marque une transition historique selon laquelle cette nouvelle différenciation sociale entre l'adulte et l'enfant apparaît de façon évidente. L'évolution du jeu et du jouet (ici jeu instrumentalisé) est à l'origine du libre jeu, caractérisé par son état intergénérationnel, ludique, où le corps même est l'instrument principal du jeu et aboutit, actuellement, au jeu didactique (surtout médiatisé par le jouet) qui éloigne le corps du champ d'expérimentation, orienté exclusivement vers un public constitué d'enfants, à finalité didactique et soumis à des strictes dispositions mettant en scène le jeu (en le réservant et le compartimentant à travers différents courants éducatifs).

     Ne nous égarons pas car la fonction du jeu (médiatisé par le jouet) n'est pas de préparer l'enfant à la vie adulte mais de marquer, au contraire, le caractère irréconciliable entre l'univers de l'enfant et celui de l'adulte, en établissant une insurmontable fracture entre la recréation simulée d'expériences para-adultes et le cadre de la disposition au vécu non instrumentalisée par le jouet didactique. Entre ces deux mondes isolés, les seules relations possibles sont soit soumises aux modèles de l'autorité paternelle (ou ses fictions), soit restreintes, de telle sorte que lorsqu'elles se produisent, le font de façon marginale et susceptibles d'éveiller les soupçons. Les relations enfant/adulte sont soumises aux formes légalement établies (formes paternel et filiales) ou bien à un lien peu fréquent.

     L'enfant comme "feuille en blanc" (Earle, 1628), est un être innocent dans sa double acceptation comme être non-contaminé (pur), qui doit être protégé de la corruption, pour cette raison on le munie du bouclier de l'éducation. Le fait d'être sexuellement pur lui ôte toute capacité de jouissance érotique (aussi auto-érotique) car il doit rester à l'état d'immaturité constante qui lui permettra d'être malléabilise par l'éducation, si bien qu'il parvient à jouir d'une "vie nouvelle" (Durkheim, 1975) construite en accord avec un modèle idéal d'individu (Sotelo, 1995). On doit faire en sorte que l'enfant demeure à l'état de matière première (Rousseau, 1972; Locke, 1996): l'éducation comme dispositif d'"infantilisation".

     Les enfants passent du stade de l'"enfant personne" à celui d'"enfant catégorie juridique", en faisant l'objet d'une politique et d'une restructuration sociale; l'exclusion des enfants des sphères restreintes au monde de l'adulte (travail, sexualité, productivité, décision politique...) reflète l'inquiétude à se pourvoir de corps vides, conformément à la métaphore de la "feuille en blanc" sur laquelle on peut écrire (qui?). Cela reste ainsi façonné par le mythe fondateur de l'enfance innocente:

     "Die Proklamation der kindlichen Unschuld ist begleitet von Anweisungen, wie diese Unschuld zu 'bewahren', d. h. eigentlich im definierten Sinn zuerst herzustellen sei." [La proclamation de l'innocence infantile est accompagnée d'instructions pour "préserver" cette innocence, c'est à dire, des instructions qui, en définitive, concernent la façon dont l'innocence doit se produire en premier lieu et, dans le sens où elle a été définie.] (Elschenbroich, 1980:130)

2. Est l'identité un jeu de miroirs?

     L'identité est le processus par lequel un acteur social se situe dans le monde; c'est aussi le véhicule menant à ce positionnement. Les frontières identitaires sont les moments (tranches de l'espace social) pendant lesquels s'établit la différence. Celle-ci est extrêmement fragile, plus ou moins évidente, toujours recréée et nommée, essayant de rendre incontestable l'arbitraire nécessaire à la dernière limite. La justification de la différence doit être évidente, puisque la différence est constituée a posteriori et, de même, est conséquence et non cause de l'établissement de la frontière identitaire.

     Ce dont je vais m'occuper dans ces pages concerne la frontière même et comment celle-ci est engendrée, ce qui me conduit à affirmer que l'unique chose de pertinente dans les identités est cette limite, compte tenu l'aspect méprisable de ce que nous appellerions le côté exclusif de tel ou tel groupe ou de tel ou tel acteur (exception faite de ce que projette la frontière). Ce qu'il y a de fondamental dans les questions identitaires repose sur les processus sur lesquels les frontières s'établissent et se consolident. Du mode de projection et de création d'une "identité forte" (pourvu qu'elle dispose de facultés propres à s'imposer et à devenir importante) traitent les stratégies développées pour marquer, légitimer et stigmatiser. En accord avec ces forces de consolidation et de constitution comme référents absolus de l'identité, l'articulation de certains référents de cohésion (valeurs positives) est réalisée comme d'autres de référence dissipatrice (valeurs négatives).

     Alors que les premiers consolident la frontière (dans une dynamique centripète), les seconds se situent sur la liminairité de la dangereuse ligne discutable (comme attirés par une force centrifuge), laissant apparaître le côté arbitraire de l'ordre et des mécanismes de domination sociale. L'identité, en tant que processus où ce groupe social hégémonique se constitue et est rendu légitime, mais aussi l'identité comme cadre créé pour que des identités sociales postérieures s'y activent.

     Prenons quatre grandes formes de strates de catégories sociales légalisées par des dispositifs juridico-politiques: âge, sexe, classe et race. Chacune d'entre elles s'articule autour d'un axe (axe d'identité) dont chacun des pôles est occupé par des catégories irréconciliables sur lesquelles tous les référents identitaires se structurent: l'âge articulé de l'enfance à l'âge adulte (lequel rend possible la justification du modèle hétérosexuel reproductif-cristallisé par la maternité comme instinct, l'autorité patriarcale et l'action pédagogique- le corps de l'enfant est aliéné, destiné à un objectif beaucoup plus transcendantal: de la pédérastie sexuelle à la pédérastie identitaire); d'un extrême à un autre, de l'hétérosexualité reproductive aux sexualités (et les sexes associés) non-reproductives; la classe établie par la décence du pouvoir d'achat et la suspicion de pauvreté (faible pouvoir d'achat); la race accompagnée du surgissement du racisme socio-biologique (Foucault, 1997) qui justifie la suprématie du contrôle des moyens de domination de la part d'une super-race (collectif isomorphe à la formation de l'état) sur une sous-race (collectif hétéromorphe) qui menace à l'intérieur d'un même état le maintien en vie des premiers (ariens/juifs, gitans/non-gitans,...).

     Les catégories stigmatisées profilent la limite d'une identité localisée au carrefour des quatre axes identitaires proposés, l'espace dont émanent les dispositifs de légitimation qui nourrissent l'identité génératrice. Voici un coup d'oeil à la 'cellule identitaire':


Figure 1
'Cellule identitaire'



Axe Identitaire:

Âge -Catégories axiales-: B (Enfance), A (Âge adulte)

Sexe -Catégories axiales-: II (Sexualité non-reproductive), I (hétérosexualité reproductive)

Classe -Catégories axiales-: b (pauvreté), a (consommation)

Race -Catégories axiales-: 2 (hétéromorphe), 1 (isomorphe)

Référents de cohésion: A, I, a, 1 (référents identitaires générateurs)

Référents dissipateurs: B, II, b, 2 (référents identitaires engendreurs)

Flèches: dynamique centripète et centrifuge

L'aire à l'intérieur de l'ovale représente le cadre central dont émanent les référents identitaires et où se situe 'l'identité forte'.

3. L'enfance générée génératrice d'identités

     Tel qu'il se présente, le monde apparaît confiné en deux moitiés (le dedans/le dehors, nous/les autres) conformément à une logique binaire qui, de surcroît, se cale proprement dans un schéma logique d'une évidence intuitivement écrasante. Mais alors: la logique de constitution des identités est-elle binaire? De quelle manière est-ce que le binairisme nous permet-il d'aborder l'étude des processus identitaires? Courtés et Greimas (1993) nous disent que la binairité ne caractérise qu'un type de structure: peuvent être considérées comme binaires uniquement les catégories dont la relation constitutive accepte son contraire (par exemple, assertion/négation). En conséquence, si nous essayons d'analyser la construction d'identités en accord avec le "paradigme de la frontière" (ou dans ce cas concret la relation enfance/âge adulte comme paire de contraires), les difficultés suivantes apparaissent:

a.- Les identités se présentent comme des états naturels et non comme des processus de construction de la réalité, ainsi l'autre ne pourrait exister uniquement et exclusivement qu'en étant ontologiquement opposé au "nous". Cela conduit à affirmer que les identités sont naturelles (et non construites).

b.- La dialectique du "dedans/dehors" ne correspond pas au "nous", étant donné que si la première est marquée par l'alter et l'intra-espace, la deuxième se situe à proximité des limites (ou faisant référence à eux). Par conséquent nous nous définissons en fonction de la frontière et non par opposition à une autre identité étrangère.

c.- Les identités seraient définies selon la présence ou l'absence d'un trait (ou plusieurs traits) définitoire: celui qui établit la différence irréconciliable des contraires. En tant que corollaire au point antérieur, les identités devraient être des parties symétriques d'un tout cohérent, où chacune des différentes identités serait caractérisée par ces traits et dont chacune nierait l'autre et vice-versa (dans un jeu continu de miroirs).

d.- Les états liminaires (de transition, marginalité ou métissage) se présenteraient comme des états indéfinis ou non-achevés, comme une excroissance de nature indéfinie en oscillation continue entre une identité ou une autre, chaque fois qu'elle serait rejetée ou assimilée successivement par l'une ou par l'autre, dépendant en fonction de la présence ou non du trait différenciateur. On refuse la possibilité d'existence d'identités liminaires (fidèles à leur état totalement complet). Comment aborder alors le métissage?

e.- Notre intuition pré scientifique et notre propre expérience nous disent que les processus identitaires ne sont pas de simples processus, réductibles à un être ou non-être, mais des processus complexes, diffus et fuyants, pour lesquels les états frontières sont précisément les états les plus passionnants et les plus appétissants.

     L'identité ne remplit pas la condition indispensable pour être une structure binaire, dans le cas où elle serait basée sur une relation de contradiction et d'exclusion mutuelle.

     Pour dépasser l'insuffisance du binaire simple Greimas et Coustés (1993) identifient deux types de relations binaires, l'une du type A/négatif de A résultat de la présence ou de l'absence d'un trait défini et d'autres relations du type A/non A (dans laquelle le même trait apparaît sous différentes formes). Chacun de ces axes se dédouble à son tour en une autre relation binaire (carré sémiotique), sans altérer la structure d'une relation du type:


Figure 2
'Carré sémiotique'



Dans laquelle s'établissent trois types de rapports:

A/négatif de A, rapport de contradiction (les deux termes impliqués ne peuvent pas être présents à la fois) laquelle rend logiquement possible l'existence de la paire non A/négatif de non A;

A/non A (et négatif de non A/négatif de A) rapport de contrariété (si la présence ou l'absence d'un des termes implique la présence ou l'absence de l'autre);

A/négatif de non A (et non A/négatif de A) rapport de complémentarité (selon lequel un terme implique l'autre). Un terme présuppose l'autre terme présupposé, celui dont la présence est la condition nécessaire à la présence du terme agent de cette présupposition, alors que la présence du terme agent de la présupposition n'est pas la condition nécessaire au terme présupposé.

     Appliquons le carré sémiotique aux processus de formation de l'identité, aussi bien dans le rapport enfance/âge adulte que dans l'établissement de la propre identité des enfants qui détermine comment se forme le sujet "enfant" comme catégorie juridique, en répondant dans les deux cas aux conséquences que ces projections impliquent.


Figure 3
'Carré sémiotique de l'identité'



L'agent générateur (A) correspond au collectif qui s'octroie les moyens de légitimation sociale; compte tenu de sa stabilité, puisqu'il se pose en tant que foyer du processus de normalisation, mais dépendant à la fois de la consolidation de l'agent ainsi engendré pour pouvoir se constituer comme tel: l'âge adulte.

L'agent engendré (négatif de A) est l'opposé direct (mais non exclusif) de l'antérieur étant donné que c'est sur l'espace social que les agents générateurs projettent le résultat. Finissant par occuper une position liminaire étant donné que l'identité des agents générateurs s'y construit dessus, ce qui lui accorde un réservoir de potentialités déstabilisant. Strictement restreinte aux paramètres du processus de normalisation et centrée sur celui qui la légitime, l'enfance jouit d'un privilège douteux.

L'agent déstabilisateur (non A) se situe dans l'espace central de l'identité (à l'instar de l'âge adulte, partie intégrante de celui-ci) mais l'identité est occupée par ces personnes qui ne partagent pas les processus de légitimation, bien que ces dernières se constituent également sur la base des processus. Cet agent est déstabilisateur en ce sens qu'il partage, dès le début, la caractéristique le définissant comme étant façonné en fonction de l'enfance; il ne partage pas non plus la projection identitaire qui revient à celle-ci: la perversion (surtout sur le terrain touchant au sexe: la pédophilie).

L'agent résiduel (négatif de non A) se crée sur la base du résultat de ce même processus, mais affectant les individus qui, sans être inclus dans la catégorie de l'enfance (ils ne répondent pas aux conditions requises par l'âge) échappent de surcroît au modèle adulte désiré. Ils peuvent être soumis à des processus de normalisation, les conduisant vers ce modèle idéal et se définissent comme éléments potentiellement déstabilisants, aussi bien du point de vue du statut de l'âge enfant que de celui de l'âge adulte, dès l'instant qu'il se situe en dehors de la logique d'articulation qui les constitue. Dans ce cas ils ne sont ni adultes ni enfants: ils occupent un espace indéfini qui ne satisfait pas la condition d'adulte. Même si on manque de dispositifs efficaces pour leur cas (tel que le permettait l'école dans le cas de l'enfance) l'agent résiduel peut être réorienté vers l'image de l'adulte: on parle de la jeunesse (Ibáñez, 1994:158-161).

     Ainsi dans ce passage de l'enfant à l'adulte, le dernier maillon est limité aux possibilités devant être réalisées tel quel, et quand la jeunesse ne trouve pas asile, ces possibilités sont réduites à néant. Il en résulte l'émergence d'un autre point de déstabilisation du concept de l'adulte. Ce qui suit montre comment se situe chacune des nominalisations de chaque agent: adulte (A), enfant (négatif de A), perverti (non A), jeune (négatif de non A).

     L'importance accordée à l'enfance aujourd'hui ne fait que refléter son origine dans les politiques explicites de protection de l'enfance (interdiction du travail des enfants, déclaration universelles des Droits de l'enfant, politiques de scolarisation obligatoire, puissance paternelle, lutte contre les abus sexuels de mineurs). En appliquant le carré sémiotique dans le cas de l'"agent engendré", nous obtenons les catégories qui se correspondent, associées à l'enfance normale, qui ne sont pas engendrées par les processus de légitimation/stigmatisation, mais par celui de la correspondance (positivement ou négativement) à l'idéal de l'enfant et par celui de la résidualité.

Si nous dédoublons en trois bandes la valeur "innocence", nous obtenons le carré suivant:


Figure 4
'Carré sémiotique de l'enfance'



     Le processus de formation de l'enfance engendre quatre catégories d'enfants qui incluent tout d'abord la situation de l'enfant en tant que catégorie rejetée par celle de l'âge adulte, puis trois autres qui se comportent comme des catégories résiduelles de l'enfance, dont l'action n'est autre que la satisfaction ou la non-satisfaction des caractéristiques définissant la première. Leur sort doit ou est ainsi susceptible d'être soumis aux contraintes d'un processus de normalisation.

     De l'enfant heureux (enfance normalisé) à l'enfant pervers (enfance anormale), sa catégorie opposée, le pervers infantile fait éclater en morceaux l'ordre social, étant entendu qu'il met en évidence l'aspect arbitraire des processus d'infantilisation. Dans son rôle de rebelle, il ne veut pas être un enfant et se détache de l'autorité parentale; dans celui du délinquant, sans le vouloir, il tue l'enfant et mine le système judiciaire, incapable de rendre la logique des processus d'infantilisation compatible avec celle de la punition propre de l'adulte. L'enfant pervers peut l'être dans beaucoup de sens, mais il est peut-être dans le domaine sexuel et criminel où se trouve aujourd'hui la dimension la plus relevante: les cas de prostitution volontaire et pédérastie consentante ou les délits de sang, y compris les enfants soldats. Le pervers est parfois traité comme un anormal parce qu'on parvient à expliquer la rupture de la nature de l'enfant seulement à travers de l'anormalité, d'où l'emploi du terme corrompu.

     L'enfant maltraité (enfance volée) est celui qui ne bénéficie pas des bienfaits d'une enfance digne, car aliéné par un cercle non-favorable. Ce qui n'est pas sans préoccuper le monde occidental pour toutes les situations qui impliquent une accélération de l'âge adulte. Par exemple le travail de l'enfant fait l'objet de campagnes politiques, présenté sous les traits de l'exploitation de la force de travail de l'enfant, même s'il arrive parfois que les enfants se chargent de le remettre en question. Lors de la conférence sur le travail des enfants qui s'est déroulé à Amsterdam en 1997, il y a eu confrontation entre les "officiels" et les "réalistes"; alors que le camp des premiers essayait d'obtenir une condamnation unanime et totale du travail des enfants, le second défendu par des représentants d'enfants et des ONG réclament le droit au travail et cherchent un changement des conditions de travail, sans prétendre pour autant ni l'abolition, ni l'interdiction de ce droit. Non pas innocent car pré-adulte, dans d'autres circonstances matérielles il est néanmoins un enfant.

     L'enfant sauvage (enfance insondable), condition de son état inconscient, échappe aux valeurs idéales établies et empêche d'accomplir pleinement le processus éducatif. Un enfant autiste ou atteint du Syndrome de Down (ou trisomie 21) ne remettent pas en cause les bases de la construction de l'enfance normale, mais ils ne permettent pas non plus de projection adéquate de l'adulte; car ce sont des sujets insondables. Les cas d'enfants sauvages sont récurrents tout au long de l'histoire. Mais il serait peut-être utile de rappeler la belle adaptation cinématographique de François Truffaut en 1961 "L'enfant sauvage" sur l'enfant sauvage de l'Aveyron, qui jamais ne réussirait, après des années d'isolement, à commencer une vie cognitive, affective et sensitive pleine. L'enfant est en permanence attardé: il n'évolue pas en fonction des objectifs mis en place. Il n'est pas corrompu mais il est dépourvu d'innocence utile.

     Les adultes protégés par les enfants et les personnes qui ne protègent pas les personnes adultes se situent à la frontière, un pied à l'intérieur et l'autre à l'extérieur de cette frontière. Protégeons l'enfance et nous nous sauverons. L'inter-espace (entre l'alter et l'intra-espace) est occupé de formes de vie plus complexes: pervertis, jeunes et enfants déchus (enfants maltraités ou faussement exploités, pervers ou sauvages). Le carré sémiotique permet de localiser les aires identitaires dangereuses (identités résiduelles et déstabilisantes) où l'on peut entrevoir des nouvelles relations et identités émergentes susceptibles de déstabiliser l'âge adulte comme agent générateur.

1605 Juin. Le XIme Sapmedy [...] Va avec la Roine en sa cambre. A une heure, despouillé et Madame aussi. L'on met ses habits au pied du lict: "Oté, gadé de faire mal a papa". Le Roy luy dict: "Si vous estes opimiastre, je me leveray". D. "Vou me serié papa, vous avé mal au pié (pied)". Mis nuds dans le lict avec le Roy, où ils se baisent, gazouillent at donnent beaucop de plaisir au Roy. Le Roy luy demande: "Mon fils, où est le paquet de l'Infante?". Le monstre, disant: "I (il) n'í poin d'o (os) papa". Duis comme il fust ung peu tendu: "Il y en a atheure il y en a quelque foi (fois)" [...] (Héroard, 1989: 682)

David Casado Neira

Références bibliographiques:

Ariès, Philippe. L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime. Paris: Éditions du Seuil, 1975 (1960), 316 pages.

Durkheim, Émile. Éducation et Sociologie. Paris: Presses Universitaires de France, 1975 (1922), 136, pages.

Earle, John. "Microcosmographie or a Piece of the World Discovered", in Essays and Characters.1628.

Elschenbroich, Donata. Kinder werden nicht geboren. Bensheim: Päd-Extra-Buchverlag, 1980 (1976), 220 pages.

Foucault, Michel "Il faut défendre la société", Cours au Collège de France, 1976, édition de François Ewald et Alessandro Fontana. Paris: EHESS/Gallimard/Le Seuil, 1997, 283 pages.

Greimas, Algirdas-Julien et Courtés, Joseph. Sémiotique: dictionnaire raisonné de la théorie du langage. Paris: Hachette, 1993 (1979), 454 pages.

Ibáñez, Jesús. Por una sociología de la vida cotidiana. Madrid: Siglo XXI, 1994, 328 pages.

Héroard, Jean. Journal de Jean Héroard (tome I et II), sous la direction de Madeleine Foisil. Paris: Fayard, 1989 (1868), 3127 pages.

Locke, John Locke. Some Thoughts Concerning Education. Bristol: Thoemmes Press, 1996 (1693), 276 pages.

Rousseau, Jean-Jacques. Émile, ou de l'éducation. Paris: Flammarion, 1972 (1762), 628 pages.

Sotelo, Ignacio. "Educación y democracia" Volver a pensar la educación (vol. 1), A Coruña-Madrid, Paideia-Morata, 1995, pages 34-59.


Notice:
Casado Neira, David. "L'enfance comme générateur d'identités", Esprit critique, vol.04 no.09, Septembre 2002, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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