Esprit critique - Revue électronique de sociologie
-----
Accueil Information Archives Collaborer Aide
-----
-----
Vol.04 No.08 - Août 2002
-----
-----
Articles
-----

Vie associative et citoyenneté
Par Georges Bertin

Introduction

     Le fait associatif est aujourd'hui, en France, une réalité sociale incontournable. Les estimations actuelles donnant le chiffre de quelques 700 000 associations dont 50% à durée limitée n'excédant pas dix ans[1]. Il s'en crée, chaque année, 5000. Il concerne tous les secteurs de l'activité. Ainsi, le champ de la formation continue, pour sa part, s'est constitué largement dans le cadre de la loi 1901. En 1991, pour un chiffre d'affaires total de 28 520 MF, les 7 450 associations actives dans ce secteur, sur un total de 24 850 organismes de formation déclarés et réputés actifs émargeaient à hauteur de 10 908 MF[2].

     Pour entrer dans la description du fait associatif comme lieu d'éducation personnel et social et en tirer profit, il nous semble d'abord nécessaire de nous poser la question de ses origines.

LES ORIGINES

Étymologie.

     Du latin as-sociare (mettre en commun mettre ensemble, joindre) le verbe associer exprime d'emblée une action collective pour la réalisation de laquelle plusieurs socii (compagnons, alliés) sont requis.

     Il se rapporte au radical indo-européen SEK w-1, lequel exprime l'idée de suite, en sanscrit sacä (avec) où nous retrouvons à la fois les idées de suite (et donc de leader), d'intermédiaire (et donc de médiation), de compagnonnage (védique sakka = compagnon) dans la poursuite d'un but commun.

     Ces idées sont d'ailleurs généralement connotées favorablement (secundeo = aider, sociabilis = sociable), sauf dans 'secte' qui implique une mise à l'écart, une coupure radicale avec le milieu d'origine.

     La forme associative se trouve ainsi, depuis toujours, présente aux racines de notre civilisation. Il nous apparaît même que sa lente évolution aie peu à peu marqué les représentations et les pratiques qui sont encore aujourd'hui les nôtres, le fait associatif relevant à l'évidence d'une culture marquée à la fois par les notions de contrat et d'Institution[3] d'abord prééminentes avant que n'apparaisse celle de liberté publique. Il inscrit dans la mémoire collective les notions de coopération, de solidarité, de participation en même temps qu'il interroge, par sa capacité d'initiatives le corps social.

Le fait associatif: symboles et histoire

     Des douze chefs des tribus d'Israël à l'époque de Moïse, aux douze apôtres du Christ via les trente-sept capitaines de David, ou les architectes du Temple de Salomon, c'est véritablement l'adhésion collective qui est fondatrice, qui établit l'association en tant qu'Institution.

     Nous retrouvons le chiffre douze ou l'un de ses multiples dans une autre tradition transcrite au Moyen-Age à partir de racines populaires. Les Romans de la Table Ronde mettent en scène un souverain, Arthur, qui rêve d'une société parfaite et, inspiré par Merlin, reçoit des chevaliers qui vont siéger auprès de lui autour d'une Table Ronde (égalité des membres où nul n'a préséance), soit un nombre défini de compagnons choisis en fonction de qualités qui leur sont communes (être preux, servir les dames et les faibles, etc.. et sur ces critères on écarte les mauvais) pour participer à la Quête du Graal. Nul n'y a préséance mais chacun y remplit une fonction bien particulière. Il s'agit là d'une évolution probable de la réalité associative avant la lettre puisque les chevaliers y adhèrent librement en rejoignant Arthur et ses aventures dont ils attendent honneur et gloire en même temps qu'ils y sont gratifiés sur le plan affectif: "Aussitôt assis, ils se sentent pleins de douceur et d'amitié"[4]. Un serment les unit, il est prononcé sur les reliques (donc sacré) puis écrit pour en garder trace (pacte) et on les voit jurer de ne jamais revenir avant d'avoir trouvé le vase sacré.

     Certes, il entre encore une part de désignation divine dans cette formation, puisque le nom des élus est gravé sur la table, et nous retrouvons là cette même formation symbolique d'une association de volontaires rejoignant un chef charismatique: à peu près tous les grands ordres religieux se structurent sur ce modèle et l'on se souvient de l'épopée de l'une des figures majeures de l'Occident médiéval, saint Bernard refondant les cisterciens au début du XIIème siècle en entraînant dans son idéal une trentaine de ses proches. Il inspirera également un autre type d'association, lequel ne sera pas sans laisser de profondes traces dans tout le bassin méditerranéen, l'ordre religieux et militaire du Temple de Jérusalem, qui fera école et aurait réussi l'unité européenne s'il ne s'était violemment heurté aux prémisses de l'absolutisme royal nationaliste. Ceci tendrait bien à montrer que l'association est peut-être par effet, sinon par nature, espace de liberté, s'oppose aux centralisme et aux absolutismes de toutes sortes.

     Ce rapport étroit entretenu à l'association est présent dans toutes les formations sociales du Moyen-Age, période obsédée par le collectif, par le groupe, où le travailleur isolé ne pouvait que mal faire et où le grand péché consistait à se singulariser[5]. De fait, l'individu médiéval pris dans un réseau de solidarités, et aussi de soumissions, ne trouvait guère de sens à sa liberté ou plus exactement la confondait avec les privilèges qui lui garantissaient son statut. Comme la liberté est indissociable de la communauté, elle ne pouvait exister que dans la dépendance. C'était vrai dans les communautés rurales ou la proximité entraînait ipso facto la fraternité et la communio soit la communauté et en milieu urbain, où la Ville voyait s'organiser corporations et confréries, où la cathédrale, maison commune, était l'institutrice du peuple. On trouve ce fonctionnement, dans l'orbite des grands chantiers des cathédrales, chez les compagnons-bâtisseurs qui doivent affirmer leur solidarité, se rendre visite en cas de maladie, se prêter mutuellement assistance grâce à des caisses de secours. En ce sens, le compagnonnage est l'ancêtre de la mutualité comme cela été établi dans la thèse de J.P. Duroy[6]. Il est aussi lieu d'éducation mutuelle, chacun devenant le précepteur de son compagnon, lui apprenant, au hasard des étapes, les secrets du métier. La tâche commune à accomplir est valorisée par l'émulation qui règne dans chaque atelier où l'on se lance des défis et où les jeunes doivent satisfaire professionnellement aux exigences des anciens. C'est le devoir et l'on appelle encore les compagnons les devoirants. L'égalité de tous devant la loi du groupe est également marquée dans les réjouissances par la convivialité qui y règne comme par les rituels de fraternité soulignés au moment de l'intégration, souvent parsemée d'embûches et qui se termine par la prestation d'un serment de respect des lois du groupe après transmission orale des secrets du métier.

     Une autre forme d'association participait également de cet état d'esprit, elle nous est décrite par Durkheim[7]: les corporations. Ces associations professionnelles, débordant le cadre de la famille tendaient à dépasser l'état d'anarchie en contractualisant les rapports socioprofessionnels de manière à lutter contre l'inégalité sociale. En effet "dans la mesure où l'individu est abandonné à lui-même, dans la mesure où il est affranchi de toute contrainte sociale, il est affranchi de toute contrainte morale"[8].

     Sur cette question des corporations, nous retrouvons sous la plume de Durkheim, les impératifs qui sont à l'origine même des associations et fondent selon lui une morale civique. Dans la société, il est indispensable que les individus se regroupent sur des centres d'intérêt dépassant leurs occupations individuelles. Cet attachement aux intérêts du groupe est fondateur de morale dans la mesure où l'activité se socialise et se règle dans le groupe. Il estime en effet que la société est trop loin des intérêts spéciaux et ne peut jouer elle-même ce rôle de modérateur qu'il reconnaît aux groupes corporatifs et, par extension, aux groupes secondaires les mieux à même de s'intercaler entre l'individu et l'État. Il souligne l'idée de contrat, prééminente, et envisage même de reprendre ce principe comme base des futurs groupements professionnels.

     Sur le thème "Avoir ou ne pas avoir de culture", le débat engagé au Moyen-Age se trouve toujours dès lors, et encore aujourd'hui, d'actualité. Il reflète un rapport ambigu entretenu, par les classes les plus laborieuses, avec la culture dominante.

     Si, à l'époque du Haut Moyen-Age, ce sont les clercs qui possèdent l'usage exclusif de la Science, une évolution est sensible dès le XIIème siècle avec l'accès de laïcs aux enseignements universitaires tandis que la Culture profane gagne du terrain en même temps que l'on redécouvre les auteurs antiques.

     A la Renaissance, les humanistes (Rabelais, Erasme, Thomas More), tendront à accréditer l'idée qu'il vaut mieux une tête bien faite que bien pleine et mettront l'accent sur la question des "intérêts", mais l'érudition reste un idéal social dont tous participent et l'on connaît la célèbre description du Collège de Coqueret où sont formés plusieurs des membres de la Pléiade et dont les conditions de travail tiennent plus du monastère que de l'école. Mais déjà, à cette époque, la culture passe dans le domaine profane. Elle n'est plus le seul apanage des Clercs, les "litterati".

     Dans le mouvement renaissant, d'abord attaché à promouvoir l'individu, l'homme, cette notion est moins valorisée qu'elle pouvait l'être au Moyen-Age, plus collectif.

     Erasme, (1469-1536), surnommé par ses contemporains le "Prince de l'Humanisme", fortement déçu, au cours d'un voyage à paris, par l'enseignement scholastique de la Sorbonne, va s'exercer à tenter de concilier éducation physique et acquisitions intellectuelles faisant reposer sur l'Amour les relations entre les partenaires de l'acte éducatif et prônant la nécessité d'un changement fondé sur la reconnaissance de l'intérêt. Il insiste également sur une transformation des rapports entre l'école et la société, la démocratisation de l'enseignement.

     Parallèlement, avec la Renaissance, les formes repérables de la vie associative évoluent, et l'on en connaît plusieurs descriptions bien marquées. L'une nous est donnée par une des plus magistrales oeuvres littéraires d'inspiration populaire de l'époque: François Rabelais, né en 1494, à la Devinière, prés de Chinon:

  • dans sa pédagogie qu'il fonde sur le principe d'une rationalisation des apprentissages et des acquisitions (la tête bien faite), il prône l'importance du dialogue entre maître et élèves mais aussi entre élèves entre eux. Gargantua a de la compagnie: on devise, on converse, aux moments des repas, en se promenant. C'est une méthode d'apprentissage et l'Education apparaît plus ouverte que dans les modèles scholastiques,
  • quant aux aventures rabelaisiennes, elles mettent en scène une véritable communauté attachée à la recherche d'un genre de vie où s'exercent les règles de la liberté en toute chose ("fais ce que vouldras") et qui adopte, elle aussi, au terme de ses aventures, un modèle résolument collectif, celui de l'abbaye de Thélème, lieu d'Education par excellence de la jeunesse. Ainsi, il nous raconte, dans le Pantagruel et les livres suivants, comment son héros constitue en quelque sorte une association pour aider son ami Panurge à accomplir un voeu: consulter l'oracle de la Dive Bouteille. Lorsqu'il prend la mer, il est en effet accompagné, outre de Panurge lui-même, de Frère Jean des Entommeures, d'Epistémon, de Gymnaste, d'Eusthénes, de Rhizotome, de Carpalim, de Ponocrates et de Xénomanes. Tous forment une joyeuse cohorte au sein de laquelle chacun aide l'ensemble à progresser dans les voies qu'ils se sont tracées, les noms fantaisistes des compagnons de Pantagruel évoquant des fonctions diverses et complémentaires.

     On peut aussi évoquer, à pareille époque, le groupe de La Pléiade, formé d'écrivains de renom (Ronsard, du Bellay, du Baïf, Dorat, Etienne Jodelle, Pontus du Tyard, Peletier du Mans et Remi Belleau) qui ne sont pas sans avoir influencé profondément notre littérature.

     On y trouve, outre le fait qu'ils aient fréquenté pour plusieurs d'entre eux le même collège de Coqueret: centre d'intérêt commun (la Défense et l'illustration de la Langue française), principes, oeuvres qui sont déjà la marque d'une association.

     Au XVIIème siècle, la figure de l'"Honnête Homme" va imposer l'exercice d'une discipline scientifique ou artistique dont il s'attachera à cultiver l'excellence.

     Renouant avec la tradition humaniste de la renaissance, Coménius (Jean Amos Komensky, I592-1671), formé dans la communauté des Frères Moraves (Eglise de l'Unitas fratrum bohemorum dont il fut ministre), est aussi considéré comme un des précurseurs de l'Education Nouvelle. Dans sa "Grande Didactique" (1628), il met l'accent sur la fonction de la culture comme élément de préparation à la vie, l'école devant offrir à l'homme, de la naissance à vingt-quatre ans, des connaissances qui lui serviraient toute sa vie. Il apporte l'idée d'une science qui rend capable de communiquer, d'agir dans le monde où nous habitons.

     Locke (1632-1704), insistera encore plus sur la formation du caractère, du corps, pour qu'il devienne un serviteur obéissant de l'esprit et de la volonté, quitte à négliger un peu les Belles-Lettres. Avec la montée du Rationalisme, on voit poindre l'idée de la démocratisation de l'accès à la Culture en même temps que "l'idéal d'abîme de science" des Humanistes fait place à la formation du jugement.

     A l'aube des Lumières, comme elle l'avait été dans les ordres chevaleresques et monastiques, la notion d'éducation collective est encore présente dans une société issue du compagnonnage, du moins celui des bâtisseurs: la Franc-Maçonnerie. Ses divers rites, en effet, semblent agis par le sentiment d'un pareil devoir, celui d'une tâche sacrée, à accomplir collectivement, et par celui du respect d'une règle faisant fi des différences de conditions sociales, des hiérarchies de fortune, de religion et de philosophie; c'est une pédagogie mutuelle par le groupe avant la lettre où chacun reçoit un enseignement de ses égaux dans la liberté et l'émulation.

     Au XVIIIème siècle, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), dénoncera la société où il vit comme coupable d'étouffer la Nature et la liberté originelle de l'être humain. Sa méthode éducative repose sur la formation du jugement par une existence simple et une formation pratique. Il s'agit de réaliser en l'homme les caractères tels qu'ils y sont. Partant de l'individualisme absolu, et estimant légitime une certaine non-intervention de l'éducateur, un renoncement à son autorité (éducation négative), Rousseau aboutit aux préoccupations sociales les plus nettes: une société nouvelle, saine et légitime parce que naturelle. Il s'agit de se rendre libre par une adhésion de l'être à lui-même.

     On voit poindre ici l'idée que la Culture est affaire personnelle, d'usage de la raison et qu'elle ne doit point emprunter ses cadres de référence à l'extérieur.

     Diderot (1713-1784), lui, comptera sur l'Etat pour distribuer aussi largement que possible l'instruction et la science, Celles-ci étant dues à tous et Condorcet (1741-1794), imprégné de rationalisme et de foi dans le progrès humain, traduira dans un texte législatif cet idéal. Présenté les 20 et 21 avril 1792 à la Convention nationale, il est considéré comme le texte fondateur de l'Education Populaire car il met l'accent sur la nécessité pour les pouvoirs publics d'assurer à chacun: bien-être, connaissances et faculté d'exercer leurs droits et leurs devoirs et énonce que l'usage de la raison est possibilité d'émancipation.

"Tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d'une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d'utiles vérités; le genre humain n'en resterait pas moins partagé en deux classes, celle des maîtres et celle des esclaves".

     Les philosophes du XVIIIème siècle, en prônant l'Universalité de la Culture, engageront irréversiblement l'humanité à la conquête de sa liberté culturelle. Le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804), a certainement réalisé, de ce point de vue, la plus vaste synthèse.

     Charles Fourier (1772-1837), pour sa part, énonce le plus clairement les principes essentiels à une science du groupe[9]. Cet utopiste, estimant que l'homme fait exception à l'harmonie universelle du fait d'une éducation erronée qui a en lui réprimé les passions, le situe d'emblée comme un être groupal qui doit entreprendre de s'employer à satisfaire les passions dont certaines se rapportent aux liens affectueux. Là doit se jouer la loi de l'attraction passionnelle concourant à l'harmonie recherchée par combinaison entre les passions selon leur intensité respective chez chaque homme.

     Il définit donc une communauté idéale, par jeu des tendances fondamentales dans laquelle doivent se rencontrer 810 caractères arithmétiquement possibles et qui réunira 1 620 personnes à raison d'un représentant de chaque sexe pour chaque caractère, c'est la phalange qui s'établira sur un territoire appelé phalanstère. Chacun y travaille selon ses goûts, en fonction des complémentarités de rôles et des affinités. Ainsi les impulsions naturelles ou attractives tendent à former des groupes contrastés dans lesquels tout entraîne "à l'industrie devenue attrayante et à la vertu devenue attractive". Il y a dans l'oeuvre de Fourier, en germe, le contenu même de la dynamique des groupes et du socialisme communautaire.

     On trouve en Angleterre une idée semblable chez l'industriel socialiste Robert Owen, né en 1771. Disciple des philosophes français du XVIIIème siècle. Dénonçant le machinisme, les conditions de vie insupportables des ouvriers, il en vint à proposer un modèle communautaire aux Etats-Unis, nommé New Harmony, et en Angleterre, à développer les premières coopératives, affirmant qu'une communauté doit prévoir l'éducation totale et permanente de ses membres pendant toute la vie et combattre l'ignorance sous toutes ses formes, notamment politiques. Il est aussi fondateur des premiers Trade Unions qu'il organise en sections locales, appelées loges, qui doivent se donner les moyens de fournir à leurs membres des installations "permettant les rencontres et les réunions en vue de conversations amicales, d'instruction mutuelle, d'amusement raisonnable ou de récréation"[10].

     Pour permettre cette appropriation, pédagogues, réformateurs sociaux et philosophes vont s'employer à résoudre les contraintes qui pèsent sur la société de leur temps, laquelle se trouve en pleines mutations (1ère et 2ème révolutions industrielles).

     Une illustration très frappante du succès de ce courant d'idées nous est donnée par le mouvement saint-simonien, du nom d'un noble frappé par les idées révolutionnaires, Henry de Rouvroi, Comte de Saint-Simon, (1760-1825) qui avait conçu l'ambitieux projet de réorganiser l'ordre social, la Science et l'Industrie en donnant la primauté au social sur le politique. Remarquant qu'un phénomène général dominait toutes les Sciences Humaines: l'association, c'est-à-dire la combinaison dans l'intérêt général de tous les travaux individuels, il estimait qu'il fallait tendre à ce but de "rechercher la loi qui préside à cette combinaison des efforts individuels vers un but commun". En découlait une morale sociale éliminant les oisifs, la société à constituer étant celle des producteurs, unis dans un but commun sans distinction de naissance. Saint-Simon est à l'origine de l'un des courants du socialisme utopique français. L'un de ses disciples, Enfantin, alla même jusqu'à fonder une communauté de l'amour à Ménilmontant, bientôt fermée par le gouvernement.

     Là encore apparaît le triptyque de l'égalité, de la tâche et du collectif à fonctions sociales.

L'EDUCATION POPULAIRE

     C'est donc sur ces bases qu'émerge au XVIIIème siècle l'idée d'Education populaire, elle est concomitante de la démocratisation du pouvoir et impensable sans elle. Chacun est en effet libre devant la tâche à accomplir mais cette liberté est tempérée par le devoir de Fraternité et l'obligation d'Egalité, fondées sur l'idéal chrétien d'amour de l'humanité. Mué en solidarité à l'égard des citoyens, il est fondateur d'Egalité. Par rapport aux formes précédentes, un basculement s'y opère qui voit des égaux se choisir entre eux et ne plus être subordonnés au choix d'un chef. Ils préparent la Révolution française et joueront un grand rôle, par exemple dans l'adoption de la Constitution civile du clergé en 179O. Le terme même "association" figure en toutes lettres dans la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (article II): "le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme". Les sociétés populaires, situées à gauche de l'Assemblée, appuieront l'idée d'une démocratie pure en s'attachant à éliminer le principe royal. Le plus célèbre d'entre eux est celui des Jacobins qui dominera le pouvoir républicain avec Robespierre. Les clubs sont en effet l'un des lieux où se forment les nouveaux hommes de pouvoir. Leur influence restera grande tout au long du XIXème siècle et notamment au moment de la Révolution de 1848 [11]. Force nous est cependant de constater que du point de vue associatif, la Révolution aura surtout pour ambition d'abolir les corporations entachées d'illégalité car susceptibles d'entretenir l'inégalité en mettant en avant une philosophie individualiste, égalitaire et libérale. Et l'on retiendra de cette époque l'interdiction de s'associer renforcée par le code napoléonien qui réprimait comme délit toute association de plus de vingt membres.

     Aux XIXème et XXème siècles, l'histoire de la culture et de l'éducation populaires témoigne d'une volonté d'autonomie: on veut ETRE cultivé. Reprises par les éducateurs[12], ces idées sont également manifestes chez Froebel (1782-1852) qui, influencé par Pestalozzi, fonde l'Institut général allemand d'Education en Thuringe. Il est l'un des premiers à y employer la notion d'équipe en montrant l'importance du jeu dans la vie de l'enfant et fera des émules avec les pédagogues du Scoutisme, Célestin Freinet, etc.

     Le philosophe américain Dewey (1859-1952) enseigne à l'Université de Chicago que l'Education est un processus social qui a pour but de former des citoyens par l'action en stimulant les intérêts de l'enfant et passe à la pratique par le recours aux entreprises collectives, au travail manuel, en équipes pour "donner le sens de la loi et habituer à s'y soumettre".

     A la même époque, Kirchensteiner (1855-1932), professeur de mathématiques à Munich, insiste sur le développement du sens civique par le travail commun en équipes qui forme à la discipline, par l'expérience, la pratique, l'action.

     Pour tous ces réformateurs, il est évident qu'une population illettrée ne peut connaître de véritable développement culturel. Des combats politiques et sociaux s'engagent dès lors pour obtenir la scolarité obligatoire, seul moyen d'assurer l'égalité des chances et l'accès à un répertoire commun à tous les citoyens. La liberté de l'enseignement sera la grande préoccupation de l'époque:

1831: loi Guizot: obligation à chaque commune d'entretenir une école.

1850: loi Falloux sur l'enseignement secondaire,

1881: Jules Ferry rend l'instruction laïque et obligatoire et crée les jardins d'enfants.

En 1884, une loi libératrice avait été nécessaire pour les syndicats professionnels tandis que les catholiques et la droite, à la fin du XIXème siècle réclamaient le droit à l'association comme liberté nécessaire.

1901: Waldeck-Rousseau fait voter la loi relative au contrat d'association; elle avait pour but premier de prendre à contre-pied les congrégations religieuses vouées à devenir des exclues du droit public en les soumettant à l'autorisation préalable craignant leur influence sur la jeunesse (la moitié des élèves de l'enseignement secondaire fréquentaient des établissements religieux). Elle eut deux effets: l'un à court terme et l'autre à long terme.

     Comme elle prévoyait la liberté des associations laïques autres que professionnelles sans s'étendre aux congrégations, elle permit la création de véritables partis politiques (parti radical et radical socialiste, alliance républicaine, fédération républicaine) qui organisèrent la gauche et la conduisirent à remporter les élections de 1902.

     Au-delà des péripéties de l'époque, elle consacrait la possibilité pour les citoyens français de mettre en oeuvre un phénomène collectif distinct de l'Etat lui-même, de créer une Institution. C'est-à-dire que les législateurs de l'époque créaient une machine destinée à produire des contre-pouvoirs.

     La constitution de 1946 reconnaît la liberté d'association comme un principe fondamental garanti par les lois de la République, tandis que celle de 1958 indique que le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme. Un arrêté du Conseil d'Etat le confirme le 24 janvier 1958: la liberté d'association est une liberté constitutionnelle, ce qu'a confirmé le Conseil Constitutionnel en 1971 (16 juillet).

"L'association est une liberté publique garantie par la Constitution, elle tient une place éminente en démocratie. Elle permet aux individus de participer à une infinité de groupements qui constituent le tissu politique, culturel, éducatif, scientifique; social de la nation. L'association, source d'innovations conditionne le progrès de la société, elle peut même dans certains cas défendre cette dernière contre la toute puissance de l'État, lequel ne saurait avoir le monopole du bien public"[13]. De fait, l'histoire du développement du fait associatif nous paraît indissociable de celui de l'Education populaire: "large mouvement social et humanitaire, qui, de la seconde moitié du XVIIIème siècle au début du XIXème, à la suite des philosophes, a contribué à peu près dans tous les pays d'Europe, à la création de cours d'enseignements publics et privés destinés à apporter un peu d'instruction aux masses déshéritées, l'Education populaire est à la fois un fait personnel, un fait social, un fait de civilisation. Plus que contenu à transmettre, elle est construction personnelle, elle contribue à la synthèse, réalisée en chacun de nous, par nous-mêmes, des éléments de l'espace et du temps dans lesquels nous agissons. Elle est le contraire de l'égocentrisme et de la certitude. Elle est le doute, l'ouverture, le dialogue, la compréhension. Elle est volonté, raison, imagination, action. Elle est amour, dépassement de soi, aspiration à l'universel, et, dans le même temps, préservation de nos racines. Elle est l'expression de la morale, de l'éthique, que nous avons reçue des autres, mais que nous adaptons à la dimension du monde. Elle définit notre orbite personnelle dans le temps et l'espace, et tend à nous situer par rapport à l'éternité." LucienTrichaud[14].

     En effet, la lente germination des idées et la maturation des esprits qui s'y manifeste depuis le débat engagé au Moyen-Age sur le thème de l'appropriation culturelle n'a pas été sans influer profondément sur la reconnaissance du fait associatif consacré par la loi du 1er Juillet 1901. D'abord, la question centrale à l'Education populaire, est celle d'une appropriation culturelle souvent entendue sous deux formes:

a) une pratique militante visant à permettre aux classes défavorisées ou tenues à l'écart par les pouvoirs, d'obtenir l'accès à ce que celles-ci sont supposées détenir. C'est la culture pour le peuple, l'accès de tous à "la" Culture, toutes expressions que l'on retrouve fréquemment dans les discours de campagne électorale. Dans cette acception, le peuple est supposé, par définition, inculte, au moins au départ.

b) des modes de vie, usages, langues et traditions, coutumes (cf. "folk-lore", littéralement: la langue du peuple). C'est la définition "anthropologique" de la culture, où le concept de CULTURE est opposé à NATURE et comprend lui-même plusieurs acceptions:

  • ce qui est pourvu de sens, (aspect intellectuel des activités) ou sur ce qui prend sens dans des conduites observables, à condition de l'y chercher.
  • tout ce qui témoigne du patrimoine commun à un peuple, une région, une province: rites, valeurs, normes, comportements, c'est la conception de la Culture populaire répandue dans les pays scandinaves. Ont contribué à son développement les études des Sagas et langages symboliques initiées par S. Gruntwig (1783-1872) dans les folkhogeskole pour réveiller la culture scandinave et qui eurent pour effet de permettre aux paysans d'accéder à la vie politique[15].
  • sociologique: tout ce qui exprime d'une façon partagée ou susceptible de l'être personnalité et adhérence sociales.

"Admettre le peuple au pouvoir, disait Jules Ferry, c'est l'appeler au savoir". En 1936, au moment du Front Populaire, François Bloch-Laîné écrivait: "l'Education Populaire, est l'ensemble des moyens qui tendent à accroître les connaissances, à former les jugements, à développer les sensibilités des travailleurs, en dehors de leur éducation principale, les dits travailleurs étant normalement éloignés de leurs ressources par l'objet de leur profession et par leurs habitudes, de la plupart des manifestations de la vie culturelle"[16].

La formation extra-scolaire

     A côté des jeunes, il faut aussi des adultes conscients pour participer au développement culturel et aux conquêtes sociales de l'époque. L'éducation permanente est née, plusieurs mouvements auront à coeur, pour des raisons et avec des motivations diverses de mettre en place des "classes d'adultes".

     La bourgeoisie commerçante créera, dans les premières années du XIXème siècle, des cours d'adultes dans le département de la Seine (1815: société pour l'instruction primaire). En 1834, il existera 6 écoles qui accueilleront 1 300 étudiants en dessin et instruction générale.

     Les oeuvres de jeunesse protestante créeront les Ecoles du Dimanche, et animeront des mouvements de solidarité et de coopération.

     Le conservatoire des Arts et Métiers entreprendra, en 1819, des cours pour adultes, publics et gratuits: en 1927, 112 villes présenteront des cours de géométrie et de mécanique appliquée.

     L'association Polytechnique (élèves Saint Simoniens), organisera des cours d'adultes à Paris. En 1830, 1 200 ouvriers les fréquenteront dès la première année.

     Les mouvements de catholicisme social ne seront pas non plus inactifs: oeuvre de Paul Ozanam (1813-1853) qui fonde la Conférence de St Vincent de Paul et la Société d'encouragement Mutuel qui permirent à de nombreux responsables issus des milieux populaires de se former à la prise de responsabilités.

     L'armée, elle-même, met en place de nombreuses structures éducatives notamment dans le domaine de l'Alphabétisation.

     Les travailleurs s'organisent également: journaux populaires, enseignement mutuel, bibliothèques. Un ouvrier, Emile Aubry, est l'auteur en 1868, d'un projet de réorganisation de l'enseignement, de nombreux groupes de travail sont formés dans les bourses de travail entre étudiants, intellectuels et ouvriers. Autour de l'Affaire Dreyfus et de l'émotion qu'elle suscita, l'élite va se mobiliser: Ligue des Droits de l'Homme et Universités populaires en sortiront[17], où se côtoient fraternellement intellectuels et ouvriers attelés à une semblable recherche égalitaire du savoir vers une émancipation qu'on souhaite collective.

     L'Université populaire est, selon la déclaration constitutive de son président M. Séailles: "Association intellectuelle et morale d'égaux volontaires, l'idée qui est au principe de son existence est l'idée de la société meilleure qu'elle commence. Son ambition est d'aider les hommes à s'élever jusqu'à la vie humaine, pour cela de les rendre de plus en plus capables de s'affranchir, en les libérant de la servitude intérieure qui entraîne toutes les autres"[18]. Créées le 12 mars 1898, les Universités populaires vont se développer tant en province qu'à Paris. En 1914, elles auront 633 000 auditeurs et 500 000 cours.

     A la même époque, Jean Macé fonde la Ligue de l'Enseignement et de l'Education permanente à partir de son expérience des bibliothèques communales du Haut Rhin. Vers 1890, tout un réseau fonctionnera: cours publics, lecture publique, et tentera la rencontre du peuple et des intellectuels par des conférences animées avec lanterne magique.

     Dans la mouvance catholique, c'est Le Sillon de Marc Sangnier qui se propose de mettre en valeur la personne humaine au service de la Cité et crée les Cercles d'Etudes fondés sur un idéal de Fraternité et de Liberté en basant sa méthode sur la rencontre, le respect, l'amitié et l'estime mutuelle, soit des lieux éducatifs où il n'y ait ni maîtres ni élevés. On y étudie les questions politiques et sociales et notamment l'association[19]. Son ambition: "mettre en valeur la personne humaine pour la vouer au service de la cité". Il s'y attaque en entreprenant l'éducation des milieux ouvriers populaires et veut, parallèlement, une démocratisation de l'ordre social. "La démocratie, écrit-il, est la forme sociale et de gouvernement qui tend à porter au maximum la conscience et la responsabilité de chacun".

     Après la guerre de 1914-18, ce sera également le projet des Compagnons de l'Université Nouvelle de tendre à la suppression des barrières en prolongeant la scolarité obligatoire. Objectif bientôt rejoint par de nombreux mouvements d'Education populaire de tous bords.

Libérer le Temps

     En 1936, les lois du Front Populaire vont introduire un appel important pour l'exercice des loisirs en permettant aux travailleurs de s'adonner à des activités de culture personnelle, seuls ou en groupes. C'est la naissance des Auberges de Jeunesse, des Cinés clubs, des colonies de vacances (CEMEA), du théâtre populaire etc. En 1981, le gouvernement de Pierre Mauroy, lui-même ancien responsable national de la Fédération Léo Lagrange, fonde le ministère du Temps Libre.

Vers une professionnalisation?

     Pour contribuer à résoudre ces problèmes, les associations vont recruter des personnels capables d'intégrer leurs objectifs. D'abord militants politiques et sociaux prenant eux-mêmes en charge ces questions, il va bientôt s'agir avec la diversification de la demande de formateurs professionnels venant bénévolement dispenser leurs savoirs, puis l'évolution se poursuivant, apparaîtra, avec le développement des "cercles" d'études, un nouveau modèle de formation basé sur la convivialité, l'égalité devant l'accès au savoir.

     L'animation est entrée dans l'histoire de la culture populaire. A la suite du Sillon, les mouvements d'éducation populaire adopteront cette forme de rapports égalitaires dans l'accès au savoir, ce partage des compétences et des centres d'intérêt jusqu'à ce qu'apparaissent, la spécialisation et l'efficacité nécessitée par les mutations sociales aidant, les premiers professionnels de l'animation, d'abord enseignants détachés puis bientôt véritable corps professionnel recruté sur des critères pédagogiques et techniques spécifiques.

     A l'époque de l'Education populaire succède celle de l'animation socioculturelle... une nouvelle histoire commence. Comme l'Education populaire, elle reste profondément marquée par le fait associatif dans le moule duquel elle s'est glissée, les notions d'éducation populaire et de liberté associative étant, on l'a vu, intimement liées tant l'histoire de l'Education populaire des mouvements culturels dans leur ensemble révèle l'importance que prend la dimension sociale dans les processus mis en oeuvre.

Les principes de la liberté associative

     Ceux-ci sont contenus, quant à l'esprit, dans le premier article de la loi du premier juillet 1901: "l'association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d'une façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations".

     Les articles suivant précisent les conditions de libre adhésion ainsi que les incompatibilités, puis viennent les questions liées aux modalités pratiques. Trois notions nous semblent devoir être isolées dans cette déclaration:

  • la notion de contrat,
  • celle d'Institution,
  • celle de liberté publique.

A) le contrat

     Il crée des obligations pour les parties en présence, comporte des obligations réciproques et s'exécutant sur une période plus ou moins longue. L'association est un contrat et seuls sont sociétaires ceux qui ont contracté. L'association est d'abord un contrat, une convention régie par les principes généraux du droit applicables aux contrats. De fait, comme tout contrat, l'association est soumise au principe du droit français de l'autonomie de la volonté selon lequel la volonté humaine est elle-même sa propre loi, crée sa propre obligation. En vertu de ce principe, les individus ont une double liberté: celle de ne pas contracter ou de contracter et celle de déterminer librement le contenu de leur contrat (statuts)[20]. Il est donc normal que la loi 1901 n'impose aucune disposition particulière concernant le fonctionnement même de l'association. Bien entendu, ce contrat peut avoir des fins altruistes (satisfaction de plaisirs, telles les associations de loisirs, de vacances, ou altruistes (associations politiques, humanitaires, de défense etc.).

     Elle reste un organisme de droit privé, une personne morale et agit comme telle. Pourtant, de nos jours, la pratique consacre une extension de la notion contractuelle, des missions de service public pouvant être confiées contractuellement à des associations par l'Etat, les collectivités locales etc. De façon générale, les éléments du contrat d'association sont au nombre de trois[21]:

  • un but commun entre les associés, soit un engagement réciproque des partenaires impliquant la mise en commun de certains moyens,
  • la permanence, indépendante de la durée, au-delà des personnes elles-mêmes,
  • un but autre que le partage des bénéfices: le projet des membres est le seul à prendre en compte, c'est lui qui garantit la réalité du contrat d'association. Les membres en acceptent par avance le caractère collectif et les bénéfices éventuels retirés de leur commune action ne sauraient être redistribués entre eux quels que soit le zèle apporté à sa poursuite.

B) L'Institution

     L'association possède sur la base de ses statuts, une personnalité qui lui est propre (personne morale) et qui la distingue de la somme des intérêts de chacun de ses membres. Elle est dès lors indépendante de ses auteurs, mais conçue avec leur accord, ce qui fait que l'individu, au sein de l'association devra se plier au vote de la majorité. On a pu ainsi dire que l'association formait un véritable banc d'essai du citoyen, et l'on sait le rôle joué par la vie associative dans la formation de l'esprit civique d'une part et dans celle des cadres de la vie politique de l'autre.

C) La Liberté associative

     Garanti par la Constitution, le droit à l'association est imprescriptible. L'association est l'expression d'une liberté publique, elle n'est donc soumise à aucune autorisation ni déclaration préalables. A ne pas confondre avec le dépôt légal qui n'a en principe que des fins d'identification. De fait, la publication au Journal officiel n'est exigée par aucun texte et son absence ne peut être sanctionnée. Nul ne peut être contraint d'adhérer à une association mais nul ne peut non plus en être empêché. La Loi 1901 a ainsi aboli l'article 291 du Code pénal qui soumettait à l'agrément du gouvernement toute association de plus de vingt personnes. Elle participe du Bien public dont l'État ne saurait avoir le monopole. En effet, par les associations, les citoyens peuvent participer à l'accomplissement de tâches d'intérêt général.

     C'est si vrai que des associations de plus en plus nombreuses se voient confier des missions publiques, que l'État et les Collectivités participent à leur création, à leur fonctionnement.

Caractéristiques

     Formation: en droit, tout groupe de deux citoyens peut fonder une association, c'est-à-dire passer convention entre eux dans un but commun. Les buts peuvent ainsi être multiples:

  • caritatifs et de solidarité sociale (enfance inadaptée, action sanitaire, sociale, médecine préventive, clubs de quartiers, comités de défense, d'usagers); aujourd'hui, pour le secteur de la consommation, 20 associations de défense des consommateurs sont agréées au niveau national s'appuyant sur des réseaux locaux très importants. Dans son rapport au CESN, M T Cheroutre distingue quatre grands courants contribuant à la représentation, à la défense et aussi à l'éducation des consommateurs: consumériste (UFC), coopératif, familial et syndical.
  • éducatifs et culturels, de loisirs: sports (127 650 créations d'associations entre 1975 et 1990), chorales, échanges internationaux, comités des fêtes (16 700 créations de 1975 à 1990), péri et post scolaire, de gestion des écoles privées, de formation permanente, d'études; ainsi chaque année, 200 000 spectacles occasionnels seraient organisés dans notre pays par les associations, de même, c'est la structure associative qui sert de support aux formes les plus élaborées du spectacle (théâtres nationaux, compagnies nationales)[22],
  • économiques et professionnels (foires, expositions, centres techniques, associations commerciales, de propriétaires, assurances mutuelles, caisses de chômages, jeunes chambres économiques, porteurs d'actions),
  • civiques et politiques (partis, de contribuables, ligues, d'écologie, d'élus locaux, de jumelages),
  • philosophiques et religieux (cultes, formation biblique, associations pour la diffusion de la pensée d'un maître spirituel, comités d'éthique, sociétés d'études de psychologie, d'esthétique),
  • amicaux: anciens élèves, de thérapie de groupe, de philatélistes...

     Et l'on pourrait imaginer sur ce recensement diverses typologies selon les orientations, les missions (certaines rendent un service public), leurs objets. Ces buts sont consignés ainsi que les modalités de fonctionnement que les associés se donnent dans des statuts adoptés majoritairement par l'ensemble des membres et souvent accompagnés d'un règlement intérieur. En principe, l'autorité administrative ne peut s'opposer à une déclaration (sauf si ses buts sont explicitement illégaux, contraire à la morale publique...). => ce qui n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes entre ce qui relève d'une association d'éducation populaire par exemple (céméa, ligue de l'enseignement, francas, etc.) et une association sectaire (dont les buts annoncés sont bien souvent aussi éducatifs...) En effet, selon l'article 2 du décret de 1901, toute personne a droit de prendre communication sans déplacement au secrétariat de la préfecture ou de la sous-préfecture, des statuts et déclarations ainsi que des pièces faisant connaître les statuts et modifications.

Vie associative et besoins sociaux

     Au-delà du fait que le droit d'association définit un espace de liberté supplémentaire pour les individus, il se trouve aujourd'hui, alors que nous vivons une époque de grandes mutations sociales, que les associations ont souvent pris à bras le corps, parfois dans l'urgence, la résolution de problèmes sociaux révélés par des secteurs non couverts par les pouvoirs publics. L'association, du fait de sa proximité de terrain, est en effet un "guetteur social", mieux à même que l'appareil techno-administratif de comprendre les besoins sociaux. Ceux-ci, et les réponses apportées par le mouvement associatif, peuvent s'analyser dans plusieurs champs.

a) besoins économiques

     Autour de la notion d'économie solidaire, après avoir mis en avant les questions éducatives, les loisirs, la culture, etc., les associations répondent aujourd'hui à de nouveaux besoins. Tout se passe en fait comme si elles étaient les révélateurs des nouvelles formes d'organisation sociale lesquelles, se cherchant, adoptent la forme associative pour exister. On l'a vu avec les associations de défense, avec l'action humanitaire, on le voit désormais avec l'insertion par l'économique. On constate ainsi un nombre de plus en plus important de postes FONJEP sur des profils d'animateur économique, d'agents de développement...

La vie associative joue là son rôle de:[23]

  • révélatrice de besoins sociaux,
  • créatrice de nouvelles solidarités, de nouveaux liens sociaux,
  • éducatrice à la prise de responsabilité collective,
  • vulgarisatrice de nouvelles technologies.

     On reconnaît ainsi que la vie associative participe de l'économie globale. Elle se différencie de l'économie du profit et tend à promouvoir une économie solidaire. Elle est facteur d'émergence de la conscience politique, de la redéfinition d'une masse sociale impliquant tous les acteurs de la vie sociale, économique et culturelle, Son originalité réside moins dans la fabrication ou la vente de produits que dans une démarche de mise en relation, de concertation. Un des corollaires de l'émergence de ces nouveaux investissements de la vie associative c'est que les associations se trouvent désormais sur un marché concurrentiel et doivent s'y adapter en professionnalisant leur personnel, en adaptant leurs modes de gestion. Nul ne veut savoir aujourd'hui que la vie associative emploie, en France, autant de personnes que le secteur métallurgique!

     Par rapport à l'Etat, elle montre la nécessité croissante de l'innovation, sans doute parce que plus proche des réalités de la vie sociale et de ses blocages, car elle est par nature investie dans les conduites symboliques des habitants qu'elle contribue à activer après les avoir révélées dans un monde voué à l'idéologie de la techno efficacité.

b) besoins d'hommes responsables, d'acteurs du développement

     Sur trente ans, on distingue, nous l'avons vu, un triple glissement qui jalonne l'histoire de la vie associative.

  • du bénévole au permanent, d'un bénévole qui consacre son temps libre à l'association et devient le permanent-salarié,
  • la constitution de professions d'animateur ou de gestionnaires associatifs maîtrisées par le secteur lui-même,
  • la diversification des formations publiques et des recrutements: les associations n'y occupent plus qu'une part réduite, les rapports bénévoles professionnels faisant l'objet de redéfinitions toujours passionnées.

     Attention, je ne sais pas qu'elles ont été les dernières décisions prises à ce sujet. En 2000-2001, le débat et les conflits allaient bon train avec le gouvernement pour la création de statuts de 'volontaires' - pour désigner les bénévoles qui se professionnalisaient dans ce secteur. Les choses ont du bouger depuis.

     Le concept même d'Education populaire semble avoir perdu de sa force notamment à cause de la montée des classes moyennes (où se recrutent les responsables) et du travail effectué par les associations elles mêmes qui ont fait passer dans les faits le principe d'une éducation accessible à tous.

c) besoin d'un nouveau contrat social

     Les associations produisent un discours qui s'élabore essentiellement à partir du faire, elles réalisent, mettent en oeuvre des projets, c'est ce qui fonde leur reconnaissance. Elles préfigurent les données d'un nouveau contrat social du fait de leur créativité, que serait la société sans leurs réalisations? Elles sont aussi encore utiles de par le contre-pouvoir qu'elles manifestent devant les pouvoirs publics, poil à gratter qui contrebalance les effets des politiques de l'Etat Providence. Elles constituent toujours les cadres d'émergence d'une nouvelle citoyenneté: lieu de pratique civique, de participation à la vie de la Cité, à l'enrichissement démocratique.

De fait, elles sont à la fois:

  • le lieu d'énonciation d'une demande,
  • le lieu d'élaboration d'une réponse,
  • et dans ces deux positions rencontrent l'action des pouvoirs publics avec lesquels elles n'ont pas intérêt à être confondues.

     A la demande sociale, elles répondent par des actes, des structures, qui trouvent leur place dans le champ économique et social.

     Les logiques sont en fait très différentes: verticales et sectorielles pour l'Etat, horizontales et globales pour les associations. Entre l'institué et l'instituant, entre l'Universel et le Particulier, elles doivent emprunter, pour se rencontrer et agir sur le social, les chemins nécessairement divers de la mobilisation. Elles débouchent alors sur le singulier.

     Avec Michel Maffesoli[24], on peut estimer que les associations participent du repérage de ce qui constitue la vie de nos sociétés, soit le local, le territoire, la proxémie, toutes choses qui en appellent à un savoir local et non à un vérité projective et universelle. L'ethos communautaire renvoie ainsi à une subjectivité commune, à une passion partagée, alors que tout ce qui a trait à la société est essentiellement rationnel. La dimension communautaire est le moment fondateur de la socialité et sa reconnaissance permet seule sans doute de passer de l'économie généralisée à l'écologie généralisée, celle qui entend fonder des sociétés sur la qualité de la vie. La multiplicité des groupes secondaires dont la vie associative est un des phénomènes les plus marquants à condition qu'elle reste consciente de sa spécificité, la création des réseaux associatifs dont la configuration évolue du vertical (celui des fédérations et mouvements) à l'horizontal accéléré par les nouveaux moyens télématiques, nous indique assez la perdurance d'un esprit de corps qui vient interroger radicalement le social institué de la modernité policée en le confrontant à l'institution imaginaire de la société.

     Elle est pour nous signe d'une société en train de naître.

Georges Bertin

Notes:
1.- Brichet Robert, Associations et syndicats, Paris, Litec Droit, 1992, 713 p. 6ème édition.
2.- Exercice et développement de la vie associative dans le cadre de la loi du 1er Juillet 1901, rapport présenté au nom de Conseil économique et social par M.T. Cheroutre. JO no4, 1/04/1993.
3.- Brichet Robert, op. cit.
4.- Les Romans de la Table Ronde, éd. Boulanger, 10/18, UGE, 1973 au Livre de Merlin: fondation de la Table Ronde.
5.- Le Goff J. La Civilisation de l'Occident médiéval, Paris, Arthaud, 1964, p.347-348
6.- Duroy J.P. Le compagnonnage, initiateur de l'économie sociale, thèse de doctorat sous la direction de Mr Albert Pasquier, Université du Maine, Le Mans, 1982.
7.- Durkheim Emile, Leçons de sociologie physique et sciences des moeurs, Paris, PUF, 1969, 244 p.
8.- op cit p.46
9.- Anzieu D. et Martin J.Y. La Dynamique des groupes restreints, Paris, PUF, 1971.
10.- Trichaud L. L'Education populaire en Grande-Bretagne, Paris, Ed. Ouvrières, 1968, p.106 sq.
11.- Furet François, La Révolution, Histoire de France, Hachette, 1988.
12.- Leif J. et Rustin G. Pédagogie générale par l'étude des doctrines pédagogiques. Paris, Delagrave, 1966.
13.- Brichet op.cit. p.5
14.- Trichaud Lucien, intervention au Colloque du ministère de la Coopération titre de l'intervention?, Paris, 1990.
15.- Trichaud Lucien, L'Education populaire en Europe, Editions Ouvrières, 1968.
16.- Léon A., Histoire de l'Education populaire en France, Nathan, 1983
17.- Caceres B. Histoire de l'Education Populaire, Paris, La Découverte, 1985.
18.- Poujol G. L'Education populaire, histoire et pouvoirs, Editions Ouvrières, 1981.
19.- Cacerés op.cit. p.64-65
20.- Lamy associations, Paris, Lamy SA, février 1989, p I-100.
21.- Brichet op.cit.p.6
22.- Cheroutre MT rapport au CESN op cit p.118
23.- Trainoir Gérard, éducation populaire et action économique, FONJEP, CNAJEP, 1992.
24.- Maffesoli Michel. Le Temps desTribus.compléter Méridiens, 1988.

Notice:
Bertin, Georges. "Vie associative et citoyenneté", Esprit critique, vol.04 no.08, Août 2002, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
-----
Revue électronique de sociologie Esprit critique - Tous droits réservés
-----