Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.01 No.01 - Novembre 1999
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Quel avenir pour les jeunes diplômés de sociologie?
Par Vincent Aubert

      Aujourd'hui, quelles sont les chances des jeunes diplômés de sociologie fraîchement sortis des universités de s'insérer professionnellement? A priori, elles sont faibles pour tous ceux qui souhaitent poursuivre dans cette voie et qui espèrent mettre en pratique le savoir accumulé au cours de leurs années d'études.

      On l'a beaucoup entendu et on l'entend de plus en plus, les universités ne fournissent plus un enseignement en adéquation avec les attentes des entreprises. Plus qu'une préparation à la vie active, l'université aujourd'hui est un lieu qui permet à chacun d'acquérir un savoir plus qu'une compétence professionnelle. Le doyen de la faculté de sociologie où j'ai étudié était d'ailleurs très clair sur ce point lorsqu'il présentait aux nouveaux étudiants de Diplôme d'Etat Universitaire Général (DEUG) le cursus de sociologie. Selon lui, cette science n'était plus apte à fournir des débouchés professionnels mais restait un fantastique outil de développement de la culture générale. Cette constatation qui peut paraître choquante à un étudiant de première année pour des raisons facilement compréhensibles, n'est pourtant pas si éloignée de la réalité.

      Aujourd'hui, les entreprises ne reconnaissent plus ce savoir comme elles le faisaient par le passé. Elles souhaitent embaucher des jeunes rapidement opérationnels, connaissant les rouages du monde du travail grâce à une préparation pratique obtenue au cours des études et que l'on trouve dans les filières techniques souvent courtes (les Brevets Techniques et Scientifiques en alternance par exemple). La lutte entre les entreprises qui souhaitent intégrer l'université et le combat de cette dernière qui cherche à garder son indépendance sont connus. Celle-ci est toujours parvenue jusqu'à aujourd'hui à résister à cette pression et à ouvrir ses portes au plus grand nombre. Cette louable indépendance a cependant quelques inconvénients et ce sont les étudiants qui en paient de plus en plus chèrement le prix: des amphithéâtres surchargés, certaines spécialisations maintenues artificiellement en vie dont l'intérêt ne dépasse pas l'enceinte de la faculté, et un gros problème d'insertion professionnelle pour les jeunes diplômés en fin d'étude[1]. S'il n'y a aucune sélection au départ du cursus de sociologie, celle-ci s'opère en fin d'étude, au moment de la recherche du premier emploi. Le nombre croissant d'étudiants diplômés est bien trop important face à un nombre de postes qui s'amenuise. Le déséquilibre entre l'offre et la demande génère cette sélection et seuls les mieux préparés pourront prétendre occuper une place en rapport avec leur formation. Cette préparation n'est pas toujours explicitée par les universitaires qui se débattent tant bien que mal avec ce gonflement des effectifs de plus en plus difficile à gérer.

      La recherche ou l'enseignement qui étaient autrefois les principaux débouchés des diplômés de sociologie ne recrutent quasiment plus. Peu préparés aux nouvelles attentes des entreprises ou des collectivités territoriales, ils se doivent pourtant de répondre à ces nouveaux besoins.

      D'après le Centre d'études et de recherche sur les qualifications (CEREQ), les sociologues sont de tous les diplômés de sciences humaines, ceux qui ont le plus de difficultés à séduire les employeurs. La plupart d'entre eux ne parviennent qu'à trouver des emplois précaires ou des vacations. Ces vacations sont parfois obtenues par le biais de professeurs d'universités dont les laboratoires de recherche mènent des études pour certaines entreprises. Néanmoins, dans certaines universités, seuls les étudiants peuvent prétendre à ces vacations car les jeunes diplômés au chômage occasionnent un surcoît au niveau des charges sociales. La reconnaissance du savoir acquis varie en fonction du niveau d'étude. Elle est quasiment inexistante lorsque ce niveau est bas. Pour la plupart des enseignants, mais également des entreprises ou des cabinets-conseils, on ne peut prétendre faire de la sociologie un métier qu'à partir de bac+5. Pourtant, même à ce niveau, le taux d'insertion est différent en fonction des facultés choisies. Une étude menée à Strasbourg sur 208 titulaires d'une maîtrise, Diplôme d'Etudes Approfondies ou Doctorat de sociologie révèle que trois à cinq ans après l'obtention de leur diplôme, près du quart de ceux qui avaient une activité professionnelle n'avaient que des emplois précaires ou de surveillants d'écoles.

      La forte concurrence de certaines facultés comme sciences politiques ou les écoles de commerce limite l'accès des sociologues aux domaines de l'urbanisme, de la gestion de personnel ou du marketing.

      Face à ces difficultés pour s'insérer le jeune diplômé s'oriente peu à peu vers d'autres emplois d'un niveau bien inférieur à celui de ses compétences. En effet, bien que certaines entreprises reconnaissent tout de même certaines capacités aux jeunes diplômés, dont les principales sont celles du contact facile et de l'adaptation rapide à un milieu de travail, elles les cantonnent à des postes ne demandant qu'une faible qualification. Cette déqualification est facilement observable: si vous êtes un jeune diplômé ou si vous en connaissez, regardez autour de vous. Combien sont ceux qui travaillent aujourd'hui dans la vente ou l'accueil à des postes de niveau bac+2 maximum. Combien sont ceux qui lassés par la précarité des petits boulots se lancent dans les concours administratifs à faible niveau d'étude, sachant qu'engorgés de diplômés, leur niveau a fortement augmenté. La mise en place des emplois-jeunes dégrade davantage la situation. Les associations qui ont souvent souhaité s'offrir les services d'un sociologue pour mener des études sur leurs possibilités de développement ou pour réaliser un audit social en vue de la mise en place d'une action mais qui n'en avaient pas les moyens, sont les principales bénéficiaires de ces emplois. Elles n'hésitent plus à recruter au Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance (SMIC), comme cette loi les y incite, des jeunes qu'elles souhaitent titulaires d'un diplôme bac+3 minimum, et avec expérience de surcroît. La multiplication des emplois-jeunes réduit encore les possibilités pour les diplômés de sociologie de trouver un emploi dont la rémunération serait en adéquation avec leur niveau d'étude.

      On sait aujourd'hui que les candidatures spontanées sont quasiment inutiles et que l'Agence Nationale Pour l'Emploi ne peut répondre aux besoins de cette population. Elle avoue elle-même ne pas parvenir à s'occuper efficacement des diplômés en sociologie, et qu'il appartient à chacun de se débrouiller seul pour trouver du travail. Aussi, la meilleure solution est celle qui consiste à se brancher sur des réseaux en côtoyant des professionnels. Cependant, cette technique étant très connue, ces derniers assistent à un véritable défilé de chercheurs d'emploi et sont de moins en moins motivés. Lorsque l'on a pas travaillé préalablement avec eux et que certains liens ne se sont noués, ils orientent systématiquement les jeunes diplômés sur les mêmes circuits dont les résultats sont peu probants. Souvent désarmés face au problème de l'emploi chez les jeunes diplômés en sociologie, ils font néanmoins preuve d'une solidarité motivante. A ce niveau, pour tous ceux qui ont suivi leurs études à plein temps et qui n'ont en poche que leurs diplômes, le problème est quasiment insoluble. Ce sont ceux qui finissent par occuper les emplois cités plus haut.

      Alors comment peut-on acquérir une formation professionnelle qui répondra aux attentes des deux parties? S'il n'existe pas de recette miracle sur un marché de l'emploi extrêmement mouvant, certaines pistes sont à privilégier. La préparation à l'emploi se doit de commencer très tôt dans les études. Il faut se spécialiser rapidement en favorisant les Unités de Valeurs proposant des stages en entreprises ou au sein de bureaux d'études. Se faire connaître reste la démarche la plus efficace. La spécialisation se doit de correspondre à une demande réelle du monde du travail. Les débouchés qu'elle présente doivent apparaître clairement et ne doivent pas placer le futur candidat à l'emploi en concurrence avec d'autres formations dispensées dans les grandes écoles. Il faut se tenir à l'écoute des vacations proposées par les laboratoires de recherche universitaires. Celles-ci permettront d'acquérir une expérience de terrain utile à divers niveaux: alliance de la théorie et de la pratique, ouverture sur le monde du travail, création d'un tissu relationnel, etc.

      Enfin, aussi fort que puisse être l'intérêt que l'on porte à la sociologie, elle ne suffit plus à s'insérer professionnellement. Il faut étoffer ses connaissances en suivant parallèlement un enseignement d'économie ou de droit par exemple. Même s'il souhaite occuper un poste intéressant, le jeune diplômé ne doit pas être trop impatient. Il lui faudra du temps et de la persévérance pour y parvenir. Vacation après vacation, il pourra affermir ses capacités à négocier une étude et à communiquer avec différents publics. L'expérience ainsi acquise légitimera son aptitude à travailler sur de nombreux sujets. La motivation restera toujours son meilleur atout et c'est d'elle que dépendra son avenir. Alliée à l'émergence de quelques opportunités, elle sera garante de sa réussite professionnelle.

      La sociologie permet d'appréhender les faits sociaux et non de les manipuler. Après quelques années d'études, le jeune sociologue se sentant détenteur d'un savoir qui selon lui, pourrait le rendre bien plus malin que le commun des mortels, peut perdre de vue cette notion fondamentale: le regard extérieur porté à la société ne doit pas se muer en un regard supérieur. Le sociologue n'est pas un messie et on ne l'attend pas comme tel. Chaque jour en cherchant un emploi, bon nombre de jeunes diplômés en reprennent conscience. La réalité des difficultés rencontrées démystifie la portée d'une science qu'ils pensaient fondamentale et la replace dans un monde où sa position n'est plus centrale. Pourtant, quel que soit le domaine professionnel où chacun finira par évoluer, les connaissances accumulées marqueront définitivement une certaine vision de la société et de son fonctionnement.

Vincent Aubert

Notes:
1.- Pour une meilleure compréhension des mutations de l'université après 1968 et de ses effets, on pourra se réf&#eacute;rer au livre de Raymond Boudon: Effets pervers et ordre social, Quadrige/Presse Universitaire de France, Paris, janvier 1989.
Notice:
Aubert, Vincent. "Quel avenir pour les jeunes diplômés de sociologie?", Esprit critique, vol.01 no.01, Novembre 1999, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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